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On doit donner une grande altention aux disputes des théologiens, mais il faut la cacher autant qu'il est possible; la peine qu'on paroit prendre à les calmer les accréditant toujours, en faisant voir que leur manière de penser est si importante, qu'elle décide du repos de l'état et de la sureté du prince.

On ne peut pas plus finir leurs affaires en écoutant leurs subtilités, qu'on ne pourroit abolir les duels en établissant des écoles où l'on raffineroit sur le point d'honneur.

Les empereurs grecs eurent si peu de prudence, que quand les disputes furent endormies, ils eurent la rage de les réveiller. Anastase (1), Justinien (2), Héraclius (3), Manuel Comnène (4), proposèrent des points de foi à leur clergé et à leur peuple, qui auroient méconnu la vérité dans leur bouche, quand même ils l'auroient trouvée. Ainsi, péchant toujours dans la forme, et ordinairement dans le fond; voulant faire voir leur pénétration qu'ils auroient pu

1) Evagre, liv. III.

(2) Procope, histoire secrète.

(3) Zonare, vie d'Héraclius.

Nicétas, vie de Manuel Comnène.

si bien montrer dans tant d'autres affaires qui, leur étoient confiées, ils entreprirent des disputes vaines sur la nature de Dieu, qui, se cachant aux ṣavans, parce qu'ils sont orgueilleux, ne se montre pas mieux aux grands de la

terre.

C'est une erreur de croire qu'il y ait dans le monde une autorité humaine à Tous les égards despotique; il n'y en a jamais eu, et il n'y en aura jamais; le pouvoir le plus immense est toujours borné par quelque coin. Que le grandseigneur mette un nouvel impôt à Constantinople, un cri général lui fait d'abord trouver des limites qu'il n'avoit pas connues. Un roi de Perse peut bien contraindre un fils de tuer son père, ou un père de tuer son fils (1); mais obliger ses sujets de boire du vin, il ne le peut pas. Il y a dans chaqué nation un esprit général, sur lequel la puissance même est fondée; quand elle choque cet esprit, elle se choque elle-même, et elle s'arrête nécessaire

ment.

La source la plus empoisonnée de

(1) Voyez Chardin.

tous les malheurs des Grecs, c'est qu'ils ne connurent jamais la nature ni les bornes de la puissance écclésiastique et de la séculière; ce qui fit que l'on tomba de part et d'autre dans des égaremens continuels.

Cette grande distinction, qui est la base sur laquelle pose la tranquillité des peuples, est fondée non-seulement sur la religion, mais encore sur la raison. et la nature, qui veulent que des choses réellement séparées, et qui ne peuvent subsister que séparées, ne soient jamais confondues.

Quoique chez les anciens Romains. le clergé ne fit pas un corps séparé, cette distinction y étoit aussi connue que parmi nous. Claudius avoit consacré à la liberté la maison de Cicéron, lequel, revenu de son exil, la demanda: les pontifes décidèrent que si elle avoit été consacrée sans un ordre exprès du peuple, on pouvoit la lui rendre sans blesser la religion. « Ils ont déclaré, dit Cicéron (1), qu'ils » n'avoient examiné que la validité de la consécration, et non la loi faite

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(1) Lettres à Atticus, lettre IV.

» par le peuple; qu'ils avoient jugé le » premier chef comme pontifes, et » qu'ils jugeroient le second comme

>> sénateurs. »

CHAPITRE XXIII.

1. Raison de la durée de l'empire d'Orient. 2. Sa destruction.

APRÈS ce que je viens de dire de Fempire: grec, il est naturel de demander comment il a pu subsister si Jong-temps. Je crois pouvoir en donner les raisons.

Les Arabes Payant attaqué, et en ayant conquis quelques provinces, leurs chefs se, disputèrent le caliphat; et le feu de leur premier zèle-ne produisit plus que des discordes civiles.

Les mêmes Arabes ayant conquis la Persé, et s'y étant divisés ou affoiblis, les Grecs ne furent plus obligés de tenir sur l'Euphrate les principales forces, de leur empire.

3

Un Architecte nommé Callinique, qui étoit venu de Syrie à Constantinople, ayant trouvé la composition d'un

feu que l'on souffloit par un tuyau, et qui étoit tel, que l'eau et tout ce qui éteint les feux ordinaires, ne faisoit qu'en augmenter la violence; les Grecs, qui en firent usage, furent en possession, pendant plusieurs siècles, de brûler toutes les flottes de leurs ennemis, surtout celles des Arabes qui venoient, d'Afrique ou de Syrie, les attaquer jusqu'à Constantinople.

Ce feu fut mis au rang des secrets de l'état ; et Constantin Porphyrogénète, dans son ouvrage dédié à Romain son fils, sur l'administration de l'empire, l'avertit que lorsque les Barbares lui demanderont du feu grégeois, il doit leur répondre qu'il ne lui est pas permis de leur en donner; parce qu'un ange, qui l'apporta à l'empereur Constantin, défendit de le communiquer aux autres nations; et que ceux qui avoient osé le faire, avoient été dévorés par le feu du ciel dès qu'ils étoient entrés dans l'église.

Constantinople faisoit le plus grand et presque le seul commerce du monde, dans un temps où les nations go. thiques, d'un côté, et les Arabes de l'autre, avoient ruiné le commerce et

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