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tèrent de toutes parts; mais ils les affranchirent sans nombre, par générosité, par avarice, par foiblesse (1): les uns vouloient récompenser des esclaves fidelles; les autres vouloient recevoir en leur nom le blé que la république distribuoit aux pauvres citoyens ; d'autres enfin désiroient d'avoir à leur pompe funèbre beaucoup de gens qui la suivissent avec un chapeau de fleurs. Le peuple fut presque composé d'affranchis (2); de façon que ces maîtres du monde, non-seulement dans les commencemens, mais dans tous les temps, furent la plupart d'origine servile.

Le nombre du petit peuple, presque tout composé d'affranchis ou de fils d'affranchis, devenant incommode, on en fit des colonies, par le moyen desquelles on s'assura de la fidélité des provinces. C'étoit une circulation des hommes de tout l'univers: Rome les recevoit esclaves et les renvoyoit Romains.

Sous prétexte de quelques tumultes

(1) Denys d'Halicarnasse, livre IV.

(2) Voyez Tacite, Annal. livre XIII. Late fusum d corpus, etc.

arrivés dans les élections, Auguste mit dans la ville un gouverneur et une gar nison; il rendit les corps des légions éternels, les plaça sur les frontières, et établit des fonds particuliers pour les payer; enfin il ordonna que les vétérans recevroient leur récompense en argent, et non pas en terres (1).

:

Il résultoit plusieurs mauvais effets de cette distribution des terres que l'on faisoit depuis Sylla la propriété des biens des citoyens étoit rendue incertaine. Si on ne menoit pas dans un même lieu les soldats d'une cohorte, ils se dégoûtoient de leur établissement, laissoient les terres incultes, et devenoient de dangereux citoyens (2); mais si on les distribuoit par légions, les ambilieux pouvoient trouver contre la république des armées dans un mo

ment.

Auguste fit des établissemens fixes pour la marine. Comme, avant lui, les Romains n'avoient point eu des corps

et

(1) Il régla que les soldats prétoriens auroient cinq mille drachmes; deux après seize ans de service, les trois autres mille drachmes après vingt ans de service. Dion, in Aug.

(2) Voyez Tacite, Annal. liv. XIV, sur les soldats menés à Tarente et à Antium.

perpétuels de troupes de terre, ils n'en avoient point non plus de troupes de mer. Les flottes d'Auguste eurent pour objet principal la sureté des convois, et la communication des diverses parties de l'empire car d'ailleurs les Romains étoient les maîtres de toute la Méditerranée; on ne naviguoit dans ce tempslà que sur cette mer; et ils n'avoient auçun ennemi à craindre.

les

Dion remarque très-bien que, depuis. empereurs, il fut plus difficile d'écrire l'histoire: tout devint secret; toutes les dépêches des provinces furent portées dans le cabinet des empereurs ; on ne sut plus que ce que la folie et la hardiesse des tyrans ne voulurent point cacher, ou ce que les historiens conjecturèrent.

CHAPITRE X I V.

TIBÈRE.

COMME COMME on voit un fleuve miner lentement et sans bruit les digues qu'on lui oppose, et enfin les renverser dans un moment, et couvrir les campagnes

qu'elles conservoient; ainsi la puissance souveraine sous Auguste agit insensi blement, et renversa sous Tibère avec violence.

Il y avoit une loi de majesté contre ceux qui commettoient quelque attentat contre le peuple romain. Tibère se saisit de cette loi, et l'appliqua non pas au cas pour lesquels elle avoit été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n'étoient pas seulement les actions qui tomboient dans le cas de cette loi; mais des paroles, des signes et des pensées même; car ce qui se dit dans ces épanchemens de cœur, que la conversation produit entre deux amis, ne peut être regardé que comme des pensées. Il n'y eut donc plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidé lité dans les esclaves: la dissimulation et la tristesse du prince se communiquant par tout, l'amitié fut regardée comme un écueil, l'ingénuité comme une imprudence, la vertu comme une affectation qui pouvoit rappeler dans l'esprit des peuples le bonheur des temps précédens.

Il n'y a point de plus cruelle tyrannie

que celle que l'on exerce à l'ombre des loix, et avec les couleurs de la justice; lorsqu'on va, pour ainsi dire, noyer des malheureux sur la planche même, sur laquelle ils s'étoient sauvés.

Et comme il n'est jamais arrivé qu'un tyran ait manqué d'instrumens de sa tyrannie, Tibère trouva toujours des juges prêts à condamner autant de gens qu'il en put soupçonner. Du temps de la république, le sénat, qui ne jugeoit point en corps les affaires des particuliers, connoissoit, par une délégation du peuple, des crimes qu'on imputoit aux alliés. Tibère lui renvoya de mème le jugement de tout ce qui s'appeloit crime de lèse - majesté contre lui. Ce corps tomba dans un état de bassesse qui ne peut s'exprimer; les sénateurs alloient au devant de la servitude; sous la faveur de Séjan, les plus illustres d'entre eux faisoient le métier de délateurs.

Il me semble que je vois plusieurs causes de cet esprit de servitude qui régnoit pour lors dans le sénat. Après que César eut vaincu le parti de la république, les amis et les ennemis qu'il avoit dans le sénat concoururent éga

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