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du courage pour la dire avec cette modération qui donne tant de force à la raison, telles sont les qualités qu'on remarque dans tout ce qu'il a écrit sur l'histoire, et qu'on ne peut lui refuser sans injustice: c'en est assez pour croire que, s'il n'a rien dit des motifs de la conduite particuliere de Louis XIV envers La Fontaine, c'est qu'il n'a pu les pénétrer. Peut-être certaines fables de cet auteur, où il s'est montré meilleur philosophe qu'habile courtisan, éclairciroient-elles cette difficulté '.

Quoi qu'il en soit, La Fontaine trouva d'illustres Mécenes dont les secours généreux le sauverent

(1) L'histoire en donne la vraie solution, et dissipe même tous les doutes qui pourroient s'élever à cet égard dans l'esprit du lecteur: on en va juger par le détail suivant.

Tout le monde est instruit de la disgrace de Fouquet; mais on ne sait point assez que La Fontaine, sensible à ses malheurs, et sans craindre d'offenser les ennemis puissants de ce ministre, eut le courage de se montrer publiquement un de ses plus zélés défenseurs. Colbert, que la chûte éclatante et terrible du rival auquel il succédoit auroit dû fléchir, puisqu'elle satisfaisoit en même temps sa haine et son ambition, eut la foiblesse et l'injustice de persécuter tous ceux que la reconnoissance ou l'amitié attachoit à Fouquet, et La Fontaine fut une des victimes de son ressentiment. Colbert ne lui pardonna point son élégie sur la disgrace du surintendant, et lui fit expier pendant tout son ministere le crime d'être resté fidele à son bienfaiteur. Avec plus de

de l'indigence, et réparerent en quelque sorte l'oubli du souverain, ou plutôt l'effet des vengeances particulieres' de son ministre. Sans ces ressources, ce grand homme auroit été forcé d'abandonner ses parents, ses amis, tous les objets les plus chers à son cœur, de chercher sa subsistance de contrée en contrée, et, par une fuite involontaire, de couvrir de honte aux yeux des étrangers son ingrate patrie. Parmi ceux qui s'empresserent de pourvoir à ses besoins, on lit avec un plaisir mêlé d'attendrissement les noms du duc de Bourgogne, de la Sabliere et d'Hervart; ils rappellent des actions qui font honneur à l'humanité 2.

ressort, plus de dignité dans l'ame, et plus de soin de sa propre gloire, Colbert auroit fait valoir auprès de Louis XIV la conduite également noble et ferme de La Fontaine, et auroit sollicité en sa faveur des récompenses qui, lorsqu'elles sont aussi méritées, honorent plus encore celui qui les accorde, que celui qui les reçoit. (1) Voyez la note précédente.

« A la vérité, dit l'historien de l'académie, ses poésies lui << eurent bientôt acquis de généreux protecteurs. Il reçut en di«< vers temps diverses gratifications de M. Fouquet, de MM. de << Vendôme, et de M. le prince de Conti. Mais tout cela venoit << de loin à loin; et il auroit eu besoin de bien d'autres fonds plus << sûrs et plus abondants, s'il avoit long-temps continué à être son « économe. »>>

(2) « Je ne dois

pas oublier que M. le duc de Bourgogne, le

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La Fontaine demeura chez madame de la Sabliere près de vingt ans, pendant lesquels il fut délivré de tout soin domestique : ce qui convenoit également à sa paresse et à son incapacité absolue pour les affaires'. C'est sans doute cette indifférence pour les biens de la fortune, cet amour du repos et de la liberté, cette disposition habituelle à vivre d'une vie incertaine et précaire, sans s'occuper de l'avenir, sans prévoir même les besoins du lendemain, que madame de la Sabliere vouloit exprimer, lorsqu'un jour, après avoir congédié tous ses domestiques à la fois, elle disoit avec autant de grace que de finesse: Je n'ai gardé auprès de moi que mes trois animaux, mon chien, mon chat, et La Fontaine.

<< jour même qu'il apprit que La Fontaine avoit reçu le viatique, << lui envoya une bourse de cinquante louis. Il lui faisoit souvent << de semblables gratifications; sans quoi, apparemment, La Fon«<taine se fût transplanté en Angleterre, etc. ». (Voy. l'hist. de l'Acad. franç.)

(1) Voici ce qu'il écrivoit à Racine en 1686: «< On m'a dit que « vous preniez mon silence en fort mauvaise part, d'autant plus « qu'on vous avoit assuré que je travaillois sans cesse depuis que « je suis à Château-Thierry, et qu'au lieu de m'appliquer à mes « affaires, je n'avois que des vers en tête. Il n'y a de tout cela que « la moitié de vrai : mes affaires m'occupent autant qu'elles en

A la mort de cette femme dont il fait l'éloge1 le plus flatteur, il se retira chez M. d'Hervart son ami; et ce fut à cette occasion qu'il dit ce mot si touchant, si naïf, et qu'on peut appeller un mot de caractere. Quelques jours après avoir perdu madame de la Sabliere, il rencontre M, d'Hervart: « Mon cher La Fontaine, lui dit cet homme esti<< mable, j'ai su le malheur qui vous est arrivé. Vous << étiez logé chez madame de la Sabliere; elle n'est plus : j'allois vous proposer de venir loger chez « moi ». — J'y allois, répondit La Fontaine.

(C

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Un autre mot plus connu peut-être, mais qui ne mérite pas moins d'être rapporté, c'est celui de Moliere. Il soupoit avec La Fontaine, Boileau, Racine, et quelques amis communs: La Fontaine,

<< sont dignes, c'est-à-dire nullement; mais le loisir qu'elles me << laissent, ce n'est pas la poésie, c'est la paresse qui l'emporte. » Ce fragment a toute la grace, le naturel, et cet heureux abandon des lettres de Voltaire.

(1) Après avoir loué

Ses traits, son souris, ses appas,

Son art de plaire et de n'y penser pas,

il avoue qu'il ne peut peindre qu'imparfaitement la beauté de

son ame;

Car ce cœur vif et tendre infiniment

Pour ses amis, et non point autrement;

plus distrait encore qu'à l'ordinaire, paroissoit occupé de profondes méditations; Racine et Boileau, voulant le tirer de sa rêverie, le railloient très durement. Moliere trouva qu'ils passoient les bornes de la plaisanterie; alors, prenant à part un des convives, il lui dit avec vivacité : Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bon homme.

La Fontaine consacra les dernieres années de sa vie à la piété, à la pénitence la plus austere. Il mit en vers les hymnes de l'église : mais il étoit vieux alors' et souffrant; sa verve étoit éteinte, son imagination glacée par l'âge, sa tête affoiblie par une longue maladie, et son corps épuisé par les remedes souvent pires que le mal même. Cette traduction est absolument ignorée aujourd'hui : mais on se souvient toujours de ses fables; à tout âge, dans tous les instants, dans toutes les circonstances de la vie, on les lit avec le même plaisir; et Moliere, Racine, La Fontaine et Voltaire, sont

Car cet esprit qui, né du firmament,

A beauté d'homme avec grace de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer.

Liv. XII, fab. 15.

(1) « J'espere, écrivoit-il à son ami Maucroix, que nous attra

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