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PQ

2070

1877

500632

V. 32

UV

COMMENTAIRES

SUR CORNEILLE

REMARQUES

SUR HERACLIUS

EMPEREUR D'OCCIDENT,

TRAGÉDIE REPRÉSENTÉE EN 16471.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

Louis Racine, fils de l'admirable Jean Racine, a fait un traité de la poésie dramatique, avec des remarques sur les tragédies de son illustre père. Voici comme il s'explique sur l'Heraclius de Corneille, page 373:

« On croiroit devoir trouver quelque ressemblance entre Heraclius et Athalie, parce qu'il s'agit dans ces pièces de remettre sur un trône usurpé un prince à qui ce trône appartient; et ce prince a été sauvé du carnage dans son enfance. Ces deux pièces n'ont cependant aucune ressemblance entre elles, non-seulement parce qu'il est bien différent de vouloir remettre sur le trône un prince en âge d'agir par lui-même, ou un enfant de huit ans,

1. C'est en avant de cette pièce que fut imprimée, en 1764, la traduction de l'Héraclius de Calderon. (Voyez au tome VII.) Corneille a-t-il tiré de l'espagnol le sujet de sa tragédie? Voltaire a cru que oui, mais la critique française actuelle le conteste formellement.

32.

COMM. SUR CORNEILLE. II.

i

mais parce que Corneille a conduit son action d'une manière si singulière et si compliquée que ceux qui l'ont lue plusieurs fois, et même l'ont vu représenter, ont encore de la peine à l'entendre, et qu'on se lasse à la fin

D'un divertissement qui fait une fatigue 1.

« Dans Heraclius, sujet et incidents, tout est de l'invention du génie fécond de Corneille, qui, pour jeter de grands intérêts, a multiplié des incidents peu vraisemblables. Croira-t-on une mère capable de livrer son propre fils à la mort, pour élever sous ce nom le fils de l'empereur mort? Est-il vraisemblable que deux princes, se croyant toujours tous deux ce qu'ils ne sont pas, parce qu'ils ont été changés en nourrice, s'aiment tendrement lorsque leur naissance les oblige à se détester, et même à se perdre ? Ces choses ne sont pas impossibles; mais on aime mieux le merveilleux qui naît de la simplicité d'une action que celui que peut produire cet amas confus d'incidents extraordinaires. Peu de personnes connoissent Heraclius; et qui ne connoît pas Athalie?

« Il y a d'ailleurs de grands défauts dans Heraclius. Toute l'action est conduite par un personnage subalterne, qui n'intéresse point c'est la reconnoissance qui fait le sujet, au lieu que la reconnoissance doit naître du sujet, et causer la péripétie. Dans Heraclius, la péripétie précède la reconnoissance. La péripétie est la mort de Phocas : les deux princes ne sont reconnus qu'après cette mort; et comme alors ils n'ont plus à le craindre, qu'importe au spectateur qui des deux soit Héraclius? Il me paroît donc que le poëte qui s'est conformé aux principes d'Aristote, et qui a conduit sa pièce dans la simplicité des tragédies grecques, est celui qui a le mieux réussi. >>

J'avoue que je ne suis pas de l'avis de M. Louis Racine en plusieurs points 2. Je crois qu'une mère peut livrer son fils à la mort pour sauver le fils de son empereur; mais pour rendre vraisemblable une action si peu naturelle, il faudrait que la mère eût été obligée d'en faire serment, qu'elle eût été forcée par la religion, par quelque motif supérieur à la nature or c'est ce qu'on ne trouve pas dans l'Heraclius de Pierre Corneille; Léontine même est d'un caractère absolument incapable d'une piété si étrange; c'est une intrigante, et même une très-méchante

1. Boileau, Art poetique, III, 32.

2. Voltaire n'aimait pas la personne de Louis Racine, qu'il appelait le petit Racine, et il aimait encore moins son livre de remarques. (G. A.)

femme, qui réserve Héraclius à un inceste1: de tels caractères ne sont pas capables d'une vertu surnaturelle.

Je ne crois pas impossible qu'Héraclius et Martian aient de l'amitié l'un pour l'autre ; je remarque seulement que cette amitié n'est guère théâtrale, et qu'elle ne produit aucun de ces grands mouvements nécessaires au théâtre.

A l'égard du dénoûment, je crois que le critique a entièrement raison; mais je ne conçois pas comment il a voulu faire une comparaison d'Athalie et d'Hèraclius, si ce n'est pour avoir une occasion de dire qu'Hèraclius lui paraît un mauvais ouvrage.

Il faut bien pourtant qu'il y ait de grandes beautés dans Héraclius, puisqu'on le joue toujours avec applaudissement, quand il se trouve des acteurs convenables aux rôles.

Les lecteurs éclairés se sont aperçus sans doute qu'une tragédie écrite d'un style dur, inégal, rempli de solécismes, peut réussir au théâtre par les situations; et qu'au contraire une pièce parfaitement écrite peut n'être pas tolérée à la représentation. Esther, par exemple, est une preuve de cette vérité rien n'est plus élégant, plus correct, que le style d'Esther; il est même quelquefois touchant et sublime; mais quand cette pièce fut jouée à Paris, elle ne fit aucun effet; le théâtre fut bientôt désert : c'est, sans doute, que le sujet est bien moins naturel, moins vraisemblable, moins intéressant, que celui d'Hèraclius. Quel roi qu'Assuérus, qui ne s'est pas fait informer, les six premiers mois de son mariage, de quel pays est sa femme, qui fait égorger toute une nation parce qu'un homme de cette nation n'a pas fait la révérence à son vizir, qui ordonne ensuite à ce vizir de mener par la bride le cheval de ce même homme! etc.

Le fond d'Heraclius est noble, théâtral, attachant; et le fond d'Esther n'était fait que pour des petites filles de couvent, et pour flatter Me de Maintenon.

Vers 4.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

Crispe, il n'est que trop vrai, la plus belle couronne
N'a que de faux brillants dont l'éclat l'environne, etc.

1. Corneille dit au contraire, dans la Préface de sa pièce, que Léontine avertit Héraclius de sa naissance pour empêcher l'alliance incestueuse du frère et de la sœur.

On trouve souvent dans Corneille de ces maximes vagues et de ces lieux communs, où le poëte se met à la place du personnage. S'il y a dans Racine quelque passage qui ressemble au début de Phocas, c'est celui d'Agamemnon dans Iphigénie :

Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,

Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché!

Mais que cette réflexion est pleine de sentiment! qu'elle est belle! qu'elle est éloignée de la déclamation!

Au contraire, les premiers vers de Phocas paraissent une amplification; les vers en sont négligés. Ce sont les faux brillants qui environnent une couronne; c'est celui dont le ciel a fait choix pour un sceptre, et qui en ignore le poids; ce sont mille et mille douceurs qui sont un amas d'amertumes cachées.

J'ajouterai encore que cette déclamation conviendrait peutêtre mieux à un bon roi qu'à un tyran et à un meurtrier qui règne depuis longtemps, et qui doit être très-accoutumé aux dangers d'une grandeur acquise par les crimes, et à ces amertumes cachées sous mille douceurs.

Vers 3. Et celui dont le ciel pour un sceptre a fait choix,

Jusqu'à ce qu'il le porte, en ignore le poids.

Jusqu'à ce qu'il le porte; on doit, autant qu'on le peut, éviter ces cacophonies. Elles sont si désagréables à l'oreille qu'on doit même y avoir une grande attention dans la prose. Que sera-ce donc dans la poésie? Tout y doit être coulant et harmonieux. Vers 5. Mille et mille douceurs y semblent attachées,

Qui ne sont qu'un amas d'amertumes cachées :
Qui croit les posséder les sent s'évanouir.

Si ces douceurs sont des amertumes, comment se plaint-on de les sentir s'évanouir? Quand on veut examiner les vers français avec des yeux attentifs et sévères, on est étonné des fautes qu'on y trouve.

Vers 5. Surtout qui, comme moi, d'une obscure naissance,

Monte par la révolte à la toute-puissance;

Qui de simple soldat à l'empire élevé,

Ne l'a que par le crime acquis et conservé;

Autant que sa fureur s'est immolé de têtes,

Autant dessus la sienne il croit voir de tempêtes.

Cette phrase n'est pas correcte, qui comme moi s'est élevé au trône, il croit voir des tempêtes; cet il est une faute, surtout quand ce qui comme est si éloigné.

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