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première, les classes n'ayant entre elles aucun rapport nécessaire peuvent être disposées selon les parties du discours, substantifs, adjectifs, verbes, adverbes, et au dernier rang on mettra les expressions synonymes par syntaxe, c'est-à-dire celles qui ne diffèrent que par l'ordre des mots : mal parler et parler mal, savant homme et homme savant. Mais pour les synonymes à préfixes différentes et pour ceux à terminaisons différentes, l'arrangement des classes offre plus de difficulté. Chacune devra présenter d'abord la détermination de la valeur propre à une préfixe ou à une désinence particulière; puis des articles dans lesquels des termes ayant cette préfixe ou cette désinence seront comparés avec d'autres termes, leurs synonymes, dénués de préfixe et de désinence, qui seront par conséquent des radicaux purs; et enfin des articles dans lesquels des termes commençant par cette préfixe ou finissant par cette désinence seront comparés avec d'autres termes, leurs synonymes, ayant d'autres préfixess ou d'autres désinences. Or, la valeur de celles-ci aura dû être assignée dans des classes précédentes. En ordonnant les classes, il faudra donc prendre garde à deux choses: premièrement, faire en sorte que des mots ayant la préfixe ou la désinence dont il s'agit dans chaque classe, se trouvent avoir des synonymes parmi les mots à préfixes ou à désinences déjà examinées : secondement; avoir soin de disposer chaque classe de façon qu'il y ait des mots ayant la préfixe ou la désinence dont elle traite synonymes d'autres mots à préfixes ou à terminaisons qui seront considérées dans les classes les plus prochaines. Ainsi régnera entre les classes une correspondance essentielle : chacune contiendra des mots ayant la préfixe ou la désinence en question mis en présence d'autres mots à préfixes ou à désinences précédemment étudiées, et ensuite, en fixant la valeur de telle préfixe ou de telle désinence, clle préparera la distinction des mots qui en sont pourvus d'avec d'autres à préfixes ou à désinences dont l'exacte signification sera bientôt déterminée.

En troisième lieu, nous venons de dire, au sujet des synonymes à préfixes et à terminaisons différentes, que les mots ayant telle préfixe ou telle terminaison doivent être mis en rapport avec leurs synonymes sans préfixe et sans terminaison, mots simples qui entrent dans la composition des premiers. Or, le caractère propre de ces mots simples ne tenant ni à leur valeur primitive, puisqu'elle leur est commune avec leurs synonymes auxquels ils servent de radicaux, ni à leur préfixe, puisqu'ils n'en ont pas, ni à leur terminaison, puisqu'ils n'en ont pas de significative, d'où se tire leur différence d'avec les composés dont ils sont à la fois synonymes et radicaux? D'où se tire, par exemple, celle de plaire inconnus ou moins connus dans la nôtre. Ainsi, elle a beaucoup de synonymes grammaticaux, qui tirent toute leur différence de la place de l'accent, comme μισητὴ εἰ μισήτη, μοχθηρός et μοχθηρος, μύριοι εἰ μυρίοι, πάγετος et παγετός, σύνεργος et συνεργός, ἀληθὲς et ἄληθες, ἀτέχνως et ἀτεχνῶς, ȧypoïxos et άypoixo;; d'autres qui ne diffèrent que par la longueur ou la brièveté d'une syllabe, commе яάoασlα, avec la première syllabe longue, et яácaoba, avec la première syllabe brève; d'autres qui n'ont pas le même sens parce qu'ils n'ont pas le même esprit, comme sont &pa et pa; d'autres enfin parmi les verbes, dont la différence provient de ce qu'ils n'appartiennent pas au même mode de conjugaison, à la même voix; tels sont : ἐννοεῖν et ἐννοεῖσθαι, εὑρεῖν et εὑρέσθαι, θύειν et θύεσθαι, διδάσκω et διδάσκομαι.

et de complaire, de râle et de râlement? Elle ne dépend pas tout entière, comme on pourrait le croire, de la valeur propre de la préfixe ou de la terminaison dont est privé le simple et pourvu le composé. Abstraction faite de cette valeur, par cela seul que de deux mots synonymes l'un est le radical pur et nu qui entre comme élément principal ou comme base dans la composition de l'autre, il n'y a point entre eux identité; car le premier a, lui aussi, des traits caractéristiques. Il exprime l'idée commune sans modification, d'une manière simple et absolue, c'est-à-dire, suivant les cas, d'une manière complète et non partielle, sous tous les points de vue et non sous tel ou tel; ou bien objectivement, en soi, et non subjectivement, en rapport avec un agent, avec sa manière d'être, d'agir et de penser; ou bien, si l'idée commune est une idée d'action, le simple la représente comme elle a lieu d'ordinaire, sans rien de remarquable dans son mode ou dans la manière dont l'agent se porte à la faire. Mais cette règle si générale ne pouvant pleinement ni se comprendre ni se justifier sans des détails et des exemples trop nombreux pour figurer ici, le lecteur voudra bien pour les applications recourir à l'ouvrage même 1.

Une dernière observation regarde principalement les synonymes à terminaisons différentes. Deux mots composés peuvent avoir un seul et même radical, et pourtant différer par ce radical même. Il suffit pour cela que le radical commun ait, avant de devenir la base de ces mots, subi des influences grammaticales diverses en passant par diverses parties du discours. Ainsi l'identité de radical s'aperçoit d'abord dans les synonymes sac et saccagement, outrageux et outrageant, prudemment et avec prudence. Cependant sac n'est devenu saccagement qu'après avoir servi à former le verbe saccager avec lequel il a contracté une sorte d'affinité ; outrageux vient immédiatement du substantif outrage, et outrageant du verbe outrager; prudemment, et non pas prudence, a été formé de l'adjectif prudent. C'est une considération qu'il ne faut jamais négliger, car les mots different quelquefois notablement par leur plus ou moins de rapport avec telle ou telle partie du discours à laquelle leur base a d'abord appartenu. La valeur de la base commune à deux mots synonymes, par cela même qu'elle leur est commune, ne pouvant fournir aucun indice touchant leur différence, il faut rechercher le caractère relatif de cette base, et pour ainsi dire, sa consanguinité. Suivant Platon et Aristote, qui avaient fait du langage une étude approfondie, il n'y a que deux mots essentiels, le substantif, relatif à l'espace et pour les choses permanentes, et le verbe, relatif à la durée et pour les choses fluentes. A quoi il faut ajouter que l'adjectif ressemble plus au substantif qu'au verbe. Si donc deux mots synonymes révèlent par leur terminaison ou autrement qu'ils ont, l'un une base nominale ou adjective, l'autre une base verbale, quoique la même au fond, c'est-à-dire, l'un plus de rapport avec le substantif ou l'adjectif, l'autre avec le verbe, il s'ensuivra un puissant moyen de les distinguer; on pourra mettre entre eux l'opposition de la permanence et de la contingence, de l'être et du phénomène, de la substance et de l'accident. C'est une règle que nous avons suivie 1. Voy. passim, de la p. 107 jusqu'à la fin de la 1r partie.

constamment dans l'étude des synonymes à terminaisons différentes'. Nous nous en sommes même servi pour distinguer les synonymes à radicaux divers; car elle est d'une application universelle. Ainsi, par exemple, entre blessure et plaie la principale et même l'unique différence qu'il y ait tient à ce que le premier de ces mots, mais non pas le second, témoigne par sa terminaison qu'il vient d'un verbe 2.

VI. Méthode à suivre pour distinguer les synonymes à radicaux divers, ceux qui font la matière du Dictionnaire des synonymes proprement dit.

Maintenant examinons quelle doit être la méthode des synonymes étymologiques ou à radicaux divers. Les synonymes, avons-nous dit, se divisent en deux sortes principales, suivant la nature de leurs différences, les grammaticaux et les étymologiques. Les différences des premiers ont leur raison dans des modifications grammaticales, dont la valeur ne peut être sûrement déterminée que par la comparaison d'un grand nombre de synonymes où elles se trouvent. D'où la nécessité d'en former l'objet d'un traité spécial, où ils soient rangés par classes, qui admettent chacune sa règle de distinction. Ce traité produit trois résultats. Quantité de mots synonymes deux à deux, et qui ne sont liés à d'autres par aucun lien de synonymie, sont distingués sans retour et mis hors de cause. Ceux qui reparaîtront dans des familles dont l'idée commune leur convient, n'y reparaîtront que distincts entre eux et chacun avec sa physionomie propre. Enfin, les principes établis pour la distinction des synonymes grammaticaux purs serviront aussi quelquefois à mettre des différences entre les synonymes à radicaux divers et, par exemple, entre blessure et plaie, comme il vient d'être dit, entre douleur et souffrance, durée et temps, fortuné et heureux, etc.

Les synonymes à radicaux divers tirent leurs différences de leurs radicaux mêmes. Or, la valeur de ces radicaux, et celle par conséquent des synonymes qu'ils différencient ne peut s'obtenir par une méthode de classification, de rapprochement et de comparaison analogue à celle qui convient à l'égard des synonymes grammaticaux; elle se détermine par l'étymologie au moment même où l'on examine dans chaque exemple ou dans chaque groupe la signification essentielle des termes qui y figurent. Il ne s'agit donc plus ici d'un traité, d'une œuvre systématique, mais d'un simple dictionnaire dans lequel se trouvent rangées selon l'ordre alphabétique des familles de mots quasi-équivalents.

Toutefois, il y a aussi pour la composition de ce dictionnaire, quoique la théorie ou la science y joue un moins grand rôle, des règles à observer. Les premières regardent le moyen de reconnaître quels mots peuvent et doivent y être

1. Voy. p. 164, 168, 175, 180, ce qui concerne les substantifs purs, sans terminaisons significatives, comparés avec les substantifs verbaux en ment, ion, ure et age; p. 186, ce qui se rapporte aux substantifs synonymes terminés en té et en ion; p. 237, ce qui est dit des adjectifs en eux et en ant. On peut aussi consulter l'article des adverbes et des phrases adverbiales, p. 86, et celui où il est question d'adjectifs venant, les uns de verbes, les autres de substantifs correspondants (menteur, mensonger; loueur, louangeur; etc.) p. 39.

2. Voy. p. 406.

admis, les conditions nécessaires pour que deux ou plusieurs termes soient considérés comme synonymes.

Il n'y a pas de synonymie possible entre les noms d'individus, Paris, la Seine, les Alpes, César. Un individu, comme le mot seul l'indique, n'admet pas de division, se réduit à un point; il n'a pas de parties dont l'une lui soit commune avec tel ou tel individu, et dont l'autre ou les autres lui appartiennent en propre. Pour que des mots soient synonymes, il faut qu'ils représentent des notions complexes ou générales, collections d'idées simples. Soient deux termes complexes, aversion et inimitié. Chacun d'eux ou l'idée de chacun d'eux se compose d'un certain nombre d'idées élémentaires, plus générales et plus simples, qui constitue son domaine, son étendue, ou, comme on dit dans l'école, sa compréhension; et celle-ci se met bien sous la forme d'un cercle (fig. 1). Les mots aversion et inimitié expriment deux genres représentables par deux cercles (fig. 2) plus ou

Fig. 1.

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moins étendus, suivant le nombre plus ou moins grand des idées simples constitutives de chacun. Or, les genres, comme dit Platon dans le Sophiste, peuvent s'associer les uns aux autres, et c'est justement à cause de cela qu'il y a des mots synonymes. Parmi les idées simples constitutives des genres, il y en a qui entrent dans la composition de plusieurs, et c'est pourquoi ceux-ci tendent à se confondre. Une partie de leur domaine devient commune, ce qu'on peut figurer

Fig. 3.

Fig. 4.

sous l'image de deux cercles conjoints (fig. 3). Ainsi, l'aversion et l'inimitié renfermant toutes deux l'idée simple ou élémentaire d'un mouvement de l'âme contre ce qui l'affecte désagréablement, en cela ces deux mots se touchent ou plutôt coïncident, c'est là l'idée générale qui les réunit et qui fait leur ressemblance; par conséquent, leurs sphères d'acception devront avoir une partie commune (fig. 4). Mais comme ils désignent, le premier une désaffection pour les choses ou les personnes, qui reste dans l'âme et ne tend pas à repousser l'objet haï; le second une désaffection pour les personnes seulement, et qui devient de sentiment passion, c'est en quoi ils s'éloignent, c'est ce qui constitue à chacun une partie de domaine distincte, contenant des idées simples ou élémentaires qui lui sont propres et le rendent espèce sous l'idée générale commune. Et ce que nous disons de l'aversion et de l'inimitié s'applique aussi à trois, à quatre ou à plusieurs termes complexes; c'est-à-dire qu'ils sont susceptibles d'avoir en commun une même idée élémentaire, tout en conservant chacun une partie à soi, c'est-à-dire qu'ils peuvent être synonymes, ou en partie identiques et en partie différents (fig. 5 et 6).

Fig. 5.

O

Fig. 6.

O

D'un autre côté, comme plusieurs termes complexes, se trouvant avoir en commun la même idée élémentaire, semblent par cette raison synonymes entre eux, ou tout à fait équivalents, de même un terme complexe ayant une compré

Fig. 7.

D

hension qui embrasse plusieurs idées élémentaires, est souvent en rapport de synonymie avec plusieurs autres termes qui les contiennent aussi. Le mot délicat, par exemple, a une sphère d'acception telle, qu'il entre en conjonction, pour ainsi dire, avec ceux de fin, de friand, de dangereux, et en parlant des personnes, avec ceux de faible, de difficile, de scrupuleux et de susceptible; ce qu'on peut représenter de la sorte (fig. 7). Voilà pourquoi un même mot peut entrer à la fois dans plusieurs séries de synonymes. Il est alors comme la

chauve-souris, oiseau d'une part, souris de l'autre.

Ainsi, les mots synonymes devront être des termes complexes, parce qu'ils doivent avoir une compréhension, et ils doivent avoir une compréhension pour être capables d'embrasser, outre l'idée d'un genre qui leur est commune, certaines idées accessoires qui, dans chacun, donnent à ce genre les caractères d'une espèce.

Fig. 8.

Maintenant, quand est-ce que la synonymie est très-grande ou très-petite entre les mots? Elle est très-grande quand le genre exprimé en commun est prochain, et près de s'étendre à toute la compréhension; de telle sorte, qu'il faut une grande attention pour discerner dans chaque mot la partie de son domaine qui reste en dehors (fig. 8). Elle est très-petite dans le cas contraire. Il y a une synonymie étroite entre l'éloignement et l'aversion, parce qu'elles impliquent un genre prochain qui les rapproche, ou plutôt fait presque coïncider leur compréhension : c'est l'idée d'une passion immanente, purement subjective, ou d'un sentiment de désaffection qui ne porte point l'âme au dehors, et qui a pour objet des personnes ou des choses. Le genre conjointement signifié par aversion et par inimitié, l'idée vague d'une désaffection, est moins prochain, et laisse lieu dans chacun des deux mots à plus de particularités ou à une particularité plus étendue, ce qui fait que les deux mots sont moins synonymes (voy. fig. 4, p. xxxix). Ou bien encore, comme la notion du genre commun, quelque simple qu'elle soit, ne l'est jamais tout à fait, les mots sont d'autant plus synonymes, que` leur idée commune est moins simple, ou que leurs idées élémentaires communes sont plus nombreuses ou plus grandes, et leurs idées élémentaires distinctives plus rares ou plus petites, et par conséquent si difficiles à apercevoir, qu'elles ont peine à empêcher la coïncidenee des cercles de compréhension. D'après la théorie précédente, les termes synonymes représentent les diverses espèces d'un genre contenu dans tous. Mais il arrive quelquefois à un ou plusieurs termes, significatifs d'une ou de plusieurs espèces, d'être synonymes du

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