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tail, détails; grain, graine; cher, chéri; commencer à, commencer de; passer, dépasser, surpasser; caquet, caquetage, caqueterie; grogneur, grognon, grognard. Les derniers enfin, quoiqu'ils ressemblent aux premiers en ce que d'ordinaire ils ne contiennent pas la même racine, et aux seconds en ce qu'ils n'ont pas la même forme grammaticale, ne doivent leur différence principale d'acception ni à l'un ni à l'autre de ces deux caractères, mais bien à ce que tirant leur origine de langues qui jouissent dans la nôtre d'une plus ou moins haute estime, ils appartiennent à différentes sortes de langages, scientifique ou commun, poétique ou prosaïque, propre ou figuré. A cette classe se rapportent hypothèse et supposition; hyperbole et exagération; épithète et adjectif; sacerdoce et prêtrise; Eumenides et Furies; épigraphe, inscription et écriteau.

Les synonymes de la première classe ne sont soumis à aucun principe général de distinction. Comme les radicaux varient suivant les exemples particuliers, la différence trouvée entre tels synonymes ne donne aucune lumière sur celle qui doit exister entre tels autres. En ce qui les concerne le synonymiste doit procéder de manière à les prendre et à les traiter par groupes séparés, et donner le résultat de ses diverses recherches partielles dans un dictionnaire où, faute de mieux, sera suivi l'ordre alphabétique, comme on l'a pratiqué dans tous les travaux de ce genre publiés jusqu'ici. On peut bien, à l'imitation d'Eberhard et de M. Guizot, prescrire une méthode générale d'investigation pour tous les synonymes de cette espèce, les plus nombreux et les seuls dont les philologues se soient sérieusement occupés, mais non pas les réduire en catégories dans lesquelles chaque exemple comporte la même règle de distinction que le précédent et éclaire à son tour sur la différence qui se trouve dans le suivant.

Il n'en est pas de même des synonymes de la seconde classe. Ceux-ci ayant le même radical ne peuvent différer qu'en raison des modifications que ce radical éprouve dans l'un d'eux ou dans tous, soit en vertu de la diversité des circonstances grammaticales où ils sont placés, soit en vertu de la diversité de leurs préfixes ou de leurs terminaisons. De là la possibilité, la valeur de ces modifications assez peu nombreuses étant connue, de faire servir la différence trouvée dans un exemple particulier à la distinction de tous les autres qui présentent la même modification comme seul élément de différence. Ainsi, deux mots synonymes ayant le même radical, sont l'un du masculin, l'autre du féminin, comme grain et graine, mont et montagne, cerveau et cervelle, ou l'un au singulier, l'autre au pluriel, comme détail et détails, ruine et ruines, ou l'un adverbe et l'autre expression adverbiale, comme prudemment et avec prudence, littéralement et à la lettre, en réunissant beaucoup de synonymes qui extérieurement ne diffèrent que par cette même modification, du genre, du nombre, etc., on arrivera par leur comparaison à découvrir l'influence générale de cette modification sur le sens, et on en induira une règle sûre pour la distinction de tous les synonymes de même radical et dont la différence dépend de cette seule modification. De même, deux mots synonymes ayant le même radical se terminent, l'un en ment, l'autre en tion, renoncement et renonciation, par exemple: si je

parviens à trouver leur différence, n'aurais-je pas un moyen de trouver celle de tous les synonymes qui matériellement diffèrent de même, de dissentiment et dissension, de renouvellement et rénovation, etc.? Ou plutôt rassemblant tous les substantifs synonymes qui, pris deux à deux, ont le même radical et se terminent, ceux-là en ment et ceux-ci en tion, ne pourra-t-on pas, en approfondissant la valeur exacte de tous les premiers et en l'opposant à celle de tous les seconds, découvrir la modification de sens imprimée aux substantifs par la terminaison ment, d'un côté, et la terminaison tion, de l'autre, et de là tirer une règle générale pour la distinction de tous les synonymes semblables, de telle sorte que tous les exemples seraient pour chacun un moyen d'éclaircissement par rapport à la différence cherchée ? Lorsqu'on aura déterminé ainsi, c'est-àdire par l'examen comparatif d'un grand nombre d'exemples, l'effet produit pour le sens sur des synonymes de même radical, non-seulement par toutes les différentes circonstances grammaticales où ils peuvent se trouver placés, non-seulement par toutes les différentes terminaisons qu'ils peuvent avoir, mais encore par les préfixes de différentes espèces qui peuvent y précéder le radical, il en résultera pour tous les synonymes de la seconde classe des distinctions et des règles de distinction assurées. C'est ce qu'on trouvera dans la première partie du présent dictionnaire, dans celle qui avait pu d'abord être publiée seule, sous forme de traité, parce que, seule, elle forme un tout à part, un ouvrage spécial se comprenant par lui-même et se suffisant à lui-même.

Quant aux synonymes de la troisième classe, ils ne sauraient, comme ceux de la seconde, fournir la matière d'un traité particulier, et il n'y a pas de raison suffisante pour en faire dans le dictionnaire une catégorie distincte. Les langues auxquelles la nôtre fait des emprunts sont en petit nombre, et les règles qui déterminent les rapports des mots qui en dérivent, peu nombreuses elles-mêmes, sont claires', incontestables, et ne servent à distinguer qu'une petite quantité de synonymes. Ceux-ci, d'ailleurs ayant presque toujours des radicaux divers, il arrive rarement que toute leur différence tienne au plus ou moins de noblesse de leur origine.

Il n'y a donc en réalité que deux sortes principales de synonymes : les uns à radicaux identiques et à différences grammaticales, les autres à radicaux divers et à différences provenant de cette diversité même. Les premiers, doublement semblables, quant à la signification d'abord, puis quant à la forme jusqu'à un certain point', ne peuvent différer encore que par des nuances légères, par le mode et non par le fond; ce qui fait que de deux mots synonymes à la manière de ceux-ci l'un s'emploie beaucoup plus ordinairement que l'autre et tend à le faire oublier; les seconds n'ayant rien de commun que le sens dans lequel ils se rencontrent e

1. Le traité des synonymes grecs d'Ammonius ne contient guère que des synonymes de cette première espèce; tant est réelle l'analogie qui les réunit en un groupe séparé. On pourrait les appeler synonymes et homonymes, tout ensemble: synonymes, à cause de la ressemblance de signification; et homonymes, à cause de la ressemblance de forme. Aussi M. Pillon a intitulé le livre d'Ammonius, Traité des synonymes et des homonymes grecs.

doués de valeurs originelles spéciales peuvent différer essentiellement et appartenir à des ordres d'idées qui ne soient point du tout les mêmes. Ceux-là, qu'on pourrait avec raison appeler synonymes grammaticaux, sont sujets à des règles générales de distinction qui obligent à les ranger en classes suivant la sorte de modification grammaticale constituant leur différence extérieure et contenant à elle seule leur différence intrinsèque ceux-ci, les synonymes étymologiques ou à radicaux divers, se distinguent chacun à sa manière en vertu du sens primitivement attaché à son radical, et, au lieu de pouvoir, comme les précédents, entrer dans un traité méthodique, ils n'ont place que dans un dictionnaire proprement dit où ils se trouvent seulement distribués en familles en raison de leur signification commune.

J'insiste sur cette opposition, parce qu'elle est fondamentale et qu'elle seule justifie l'un des principaux changements que j'ai apportés dans les travaux relatifs aux synonymes. Il consiste à avoir retiré du dictionnaire des synonymes, tel qu'il était avant moi, tous les synonymes grammaticaux pour les soumettre à des règles générales de distinction qu'ils servent eux-mêmes à établir dans une science inductive, science nouvelle, quoique déjà pressentie et préparée par des essais partiels antérieurs, certaine dans ses résultats comme dans ses procédés, et voisine de la grammaire à laquelle elle renvoie encore plus de lumière qu'elle ne lui en emprunte.

IV. Méthode à suivre pour rendre leur valeur propre aux mots prétendus synonymes.

Le caractère commun à tous les synonymes est contenu dans leur définition : ils semblent avoir absolument le même sens, les uns d'autant plus qu'ils n'ont qu'un seul et même radical, les autres quoiqu'ils aient des radicaux divers. Il y a encore ceci de commun à tous, que les philologues qui s'appliquent à l'étude des uns ou des autres admettent également que cette identité n'est que partielle et relative: d'où il suit qu'elle a des degrés, et que plus elle approche ou paraît approcher de l'identité entière et absolue, plus les mots sont synonymes, plus par conséquent il devient nécessaire de mettre entre eux un certain intervalle.

Y a-t-il des mots tout à fait synonymes ou n'y en a-t-il pas? Problème placé au point de départ de ces recherches et dont la solution intéresse leur existence même. Aussi Girard n'a pas manqué de se le proposer d'abord. Il ne pouvait hésiter à le résoudre dans le sens négatif. Son opinion sur ce point avait été celle de Fénelon, et, après Girard, elle devint celle de Dumarsais, de Blair et d'un grand nombre de philologues, notamment de la plupart de ceux qui sur ses traces ont parcouru la même carrière.

Toutefois la question a besoin d'un nouvel examen, car elle en contient trois particulières qui n'ont point été démêlées et qui doivent l'être, si l'on veut avoir sur ce point une doctrine précise.

1o Une langue doit-elle avoir des mots absolument synonymes? Personne n'oserait l'affirmer à moins qu'il ne confondit la superfluité avec l'abondance. En

cela consisterait une véritable imperfection. De deux mots qu'on pourrait prendre indistinctement l'un pour l'autre en toute occasion l'un serait superflu. Or, en fait de langue, la raison réprouve tout ce qui n'est qu'une surcharge pour elle : elle n'a point égard à l'harmonie; elle ne souffre point les doubles emplois même en faveur de l'harmonie et du plaisir de l'oreille, choses trop vaines pour qu'elle en tienne aucun compte.

2o Y a-t-il des langues qui renferment des mots de tout point synonymes? On conviendra qu'il doit y en avoir, pour peu qu'on réfléchisse à la manière dont se sont formées les langues, du moins celles d'aujourd'hui. Elles ne résultent point d'une convention qui ait attaché, dès le principe, une valeur précise aux signes de la pensée. Elles sont la réunion des débris de plusieurs idiomes. Lorsque diverses peuplades viennent se fondre en un même corps de nation, chacune apporte son vocabulaire, et comme chacune continue pendant plus ou moins de temps à y puiser des mots pour désigner les objets à sa manière, il s'ensuit coexistence de plusieurs langues en une seule, ou, si on l'aime mieux, un grand nombre de synonymes. Il doit s'en trouver surtout et longtemps parmi ceux qui signifient les objets sensibles, comme l'attestent les synonymes si nombreux de la botanique : ils sont à l'usage de la multitude, et c'est la multitude, comme on sait, qui quitte le plus lentement les mœurs de la nationalité primitive. A mesure que l'union devient plus intime entre les éléments de la nation, la même identification s'opère entre ceux de la langue. Tous les mots significatifs d'un même objet ou au moins quelques-uns sont destinés désormais à le représenter sous des faces ou avec des nuances diverses; ou bien, ils tombent tous, hors un seul, qui prévaut. Chaque langue pourrait fournir des exemples de ce travail le plus souvent secret et indélibéré, par lequel elle s'élève peu à peu à l'idéal de la perfection, en se débarrassant des mots sans valeur propre, ou en leur en assignant une. 3 Telle langue, et, par exemple, la française, a-t-elle des mots véritablement synonymes? Une langue en contiendra d'autant moins ou sera d'autant moins exposée à en contenir qu'elle sera plus une, que la centralisation intellectuelle sera plus grande chez la nation qui la parle. Sous ce rapport, la nôtre ne saurait avoir de rivale. Le français, tel que l'ont fait les écrivains des xvir et xvIIe siècles, · ne peut laisser beaucoup à désirer pour la précision des termes. Depuis eux, les idiotismes et les dialectes ont disparu dans l'unité d'une langue commune qui par eux s'est imposée à tous, pure de tous ces termes que leur égalité de sens rend plus propres à fatiguer la mémoire qu'à faciliter l'art de la parole. Non pas qu'il n'y ait encore des synonymes parfaits dans les langages particuliers des différentes sciences, dans ceux de la botanique et de la médecine, par exemple; ils y fourmillent, au contraire, et ils y subsisteront tant qu'une nomenclature venant à l'emporter sur toutes les autres ne se fera point adopter universellement. Mais notre langue commune en est exempte; sa grande perfection et son unité incomparable, auxquelles les étrangers mêmes rendent hommage, autorisent à le croire. « C'est peut-être la seule langue, dit Condillac, qui ne connaisse point de synonymes. »

Le principe commun est posé. Qu'il s'agisse des synonymes grammaticaux ou des synonymes étymologiques, le philologue ne craindra pas, en cherchant à y découvrir des différences, de poursuivre des chimères. Mais, pour réussir, il faut qu'il connaisse et suive la méthode légitime.

La même méthode ne saurait convenir aux deux sortes de synonymes caractérisées plus haut; c'est même là une des raisons principales qui doivent les faire nettement séparer. Il sera donc à propos de déterminer séparément la méthode applicable aux synonymes qui ont le même radical, puis celle dont les synonymes à radicaux divers exigent l'emploi. Nous commencerons par la première.

V. Méthode à suivre pour la distinction des synonymes qui ont le même radical et qu'on peut appeler grammaticaux.

Cette méthode a cela de commun avec toutes les autres, que l'application en a précédé la théorie. De bonne heure les grammairiens avaient observé que de légères variations dans la forme matérielle des mots et des expressions en amenaient de correspondantes dans le sens, légères aussi et difficiles à apercevoir. Grammairien par état et synonymiste par occasion, Beauzée entreprit de tourner ces remarques au profit de l'art des synonymes, pensant avec raison que rien ne pouvait rester étranger à ce dernier de ce qui regarde la distinction des termes équivoques. Des synonymes qu'il a joints à ceux de Girard, une bonne partie sont grammaticaux. Il a même établi des règles relativement à la différence qu'il faut mettre entre les adverbes et les phrases adverbiales, entre un verbe employé neutralement, et ce même verbe devenu réfléchi. L'influence des préfixes sur la valeur des mots à radical commun paraît l'avoir peu frappé. Mais, à en juger par l'habitude où il est de prendre surtout des exemples parmi ceux où la différence à trouver réside tout entière dans la terminaison, on peut croire qu'il a soupçonné la nature particulière de ces synonymes et la méthode qui leur est propre. Une fois même, mais une seule fois, ce soupçon devient manifeste, c'est quand, au commencement de l'article Jour, journée, l'auteur dit expressément : « Il me semble qu'il en est de la synonymie de ces deux termes comme de celle d'an et année, » et en effet il établit entre eux une différence semblable.

Mais cette partie de la science doit beaucoup plus à Roubaud. Après tout, c'était peu d'avoir multiplié les synonymes grammaticaux, et d'en avoir distingué quelques-uns avec bonheur. Combien était-il plus important de déterminer par le rapprochement des exemples la valeur des préfixes, des terminaisons et des autres circonstances grammaticales ayant un peu d'influence sur le sens des mots, pour tirer de là des règles générales de distinction qui se pussent appliquer à toute la série des synonymes entre lesquels ne se trouverait d'autre élément de différence ? C'est la méthode que suit Roubaud, mais sans la concevoir sous sa forme nette et générale, sans l'établir au point de départ comme un moyen d'appréciation spécial, sans en déduire toute une théorie sur les synonymes grammaticaux. Ce n'est point une conception préalable d'où il parte et qui préside à

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