Page images
PDF
EPUB

A FORMER DES SUBSTANTIFS ET DONT LES AUTRES
SONT FORMES de ces subsTANTIFS.

Dévot, dévotieux. Avare, avaricieux. Doux, dou-
cereux. Chaud, chaleureux. Vain, vaniteux.
Difficile, difficultueux.

Leurs différences résultent de deux circon

gnalé par des traits particuliers, et insigne par | SYNONYMIE DES ADJEctifs dont les UNS SERVENT des qualités peu communes. Votre piété est signalée par des actions, par des œuvres d'éclat : elle est insigne par sa hauteur, par sa singulière éminence Vous êtes signalé par ces actions et insigne par cette éminence de vertu du moins les Latins employaient ainsi le mot insignis : Insignem pietate virum, dit Virgile. Plusieurs exploits signalés annoncent une insigne valeur, comme plusieurs crimes signalés annoncent un insigne scélérat. Ce qui est insigne est fait pour être signalé. On dit une faveur insigne ou signalée, un insigne ou signalé fripon, un bonheur ou un malheur insigne ou signalé, etc. Signalé marque l'éclat, le bruit, l'effet que produit la chose: insigne n'exprime que la qualité, le mérite, le prix de la chose. Ce qui frappe est signalé, ce qui excelle est insigne. Nous en revenons toujours aux idées premières des mots. Ainsi, un insigne fripon, un très-grand fripon, n'est un fripon signalé qu'autant qu'il a donné des preuves éclatantes de friponnerie. On sent combien un bonheur est insigne, on voit combien il est signalé. Le bonheur insigne est une grande faveur inespérée de la fortune; et un bonheur signalé porte les traits les plus forts et les plus manifestes de cette extrême faveur. Une grâce insigne n'est signalée qu'autant que tout le prix en est manifeste. On dit un insigne fripon, un insigne coquin; on ne dira guère un insigne héros, un insigne orateur; mais l'orateur et le héros sont signalés comme le coquin et le fripon. Pourquoi cette différence ? parce qu'un coquin et un fripon peuvent l'être sans être connus, mais que vous ne pouvez savoir et dire que quelqu'un est un héros ou un orateur insigne qu'autant qu'il s'est signalé par ses actions ou par ses discours, et dès lors vous direz plutôt signalé qu'insigne. »

stances principales : l'une, c'est que les adjectifs primitifs n'ont pas ou peuvent être considérés comme n'ayant pas de terminaison significative; la seconde, c'est que les adjectifs nominaux ou dérivés ont tous la terminaison eux, laquelle jouit d'une valeur particulière. Etant dépourvus de terminaisons significatives, les adjectifs primitifs désignent un état abstrait, une qualité possédée sans rapport au temps, au lieu, au degré, aux actes de détail qui en émanent et en prouvent l'existence; tandis que leurs synonymes sont analytiques, distributifs et concrets, c'est-à-dire se rapportent à toutes ces circonstances, à toutes ces particularités étrangères aux premiers, et peignent les points de vue, les effets divers de la qualité. En deux mots, les uns sont absolus et simplement énonciatifs de la qualité, les autres sont relatifs ou propres à rappeler cette même qualité avec différentes modifications et dans le détail. D'autre part, en vertu de sa valeur propre, la terminaison eux donne aux adjectifs dérivés le même d'excès, et, comme tout excès est condamsens de plénitude, de surabondance, souvent nable, elle les fait prendre en mauvaise part. Que elle renchérit et montre le défaut poussé jusque si déjà le primitif entraînait une idée défavorable, dans les plus petits détails, elle le peint s'appliquant aux plus petites choses, aux moindres cir

constances.

les devoirs de la religion.
DÉVOT, DÉVOTIEUX. Qui pratique exactement

Si le premier principe de distinction n'a pas échappé à Roubaud, M. Guizot a parfaitement saisi le second dans son article Quitte, acquitté. Dévot exprime la chose d'une manière abstraite <On s'est acquitté quand on a payé tout ce que et synthétique, et dévotieux d'une manière conFon doit pour le moment; on est quitte quand on crète et distributive: on est dévot par caractère ne doit plus rien du tout. On a acquitté différents et toujours; on est dévotieux quand on montre de billets à termes, mais on n'est quitte que quand la dévotion par de certaines pratiques déterminées le dernier est payé. C'est ici le lieu d'établir une et dans des circonstances particulières. « Epicure, distinction entre les participes des verbes récidit Roubaud, n'était pas dévot; mais dans les proques et les adjectifs correspondants. Les premiers expriment l'action ou la rappellent; les seconds expriment le résultat de cette action, l'état où se trouve celui qui l'a faite. Lorsqu'on s'est acquitté de tout ce que l'on devait, on est quitte. On s'est acquitté d'un emploi tant qu'on l'a exercé; on n'en est quitte que quand on ne l'exerce plus. On s'est acquitté d'une commission sans être quitte de celles qu'on pourra avoir à faire dans la suite. On s'acquitte mal, en général, des choses dont on désire être bientôt quitte. On a beau s'être acquitté journellement de ses devoirs, on n'en est jamais

[blocks in formation]

temples il était fort dévotieux. » « Le dévotieux, ajoute-t-il, se distingue du dévot, surtout par l'habitude extérieure, l'air, le ton, l'accent, la contenance propre à la chose. Ensuite, le dévot a de la dévotion, et le dévotieux est plein de dévotion; celui-ci pousse la dévotion jusqu'à l'excès, il s'attache avec l'attention la plus minutieuse, et la recherche la plus affectée dans les manières, aux plus petits détails et aux plus petites pratiques du culte. « Les enfants, femmes et vieillards seraient donc plus susceptibles de religion, plus scrupuleux et dévotieux. » CHARR.

AVARE, AVARICIEUX. Qui aime trop l'argent, qui y tient trop.

Avare caractérise ce défaut intrinsèquement et en général, avaricieux le dépeint extérieurement et dans les cas particuliers. « Il me semble, dit fort bien Girard, qu'avare convient mieux lorsqu'il s'agit de l'habitude et de la passion même

VAIN, VANITEUX. Fier d'avantages frivoles ou chimériques.

Vain exprime le défaut d'une manière générale et indépendamment des circonstances de temps, de lieu, ainsi que des objets et du degré; il fait connaître un trait de caractère. Vaniteux se dit de celui qui est ou a été vain dans un certain cas et pour certaines choses déterminées. Ce mot d'ailleurs est plus concret, et la vanité du vaniteux consiste davantage dans la montre et dans les airs. Mais la différence la plus importante, c'est que vaniteux présente tous les détails et toutes les minuties de la vanité poussée à l'excès. Le vaniteux est vain des choses les plus insignifiantes, qui en valent le moins la peine; c'est une vanité sotte et puérile.

de l'avarice, et qu'avaricieux se dit plus propre- | quelquefois jusqu'à l'exagération, car il semble ment lorsqu'il n'est question que d'un acte ou indiquer une sorte d'animation qui n'est pas toud'un trait particulier de cette passion. Un homme jours naturelle, et tient de l'emphase. qui ne donne jamais passe pour un avare; celui qui manque à donner dans l'occasion s'attire l'épithète d'avaricieux. » Plaute et Molière ont mis l'avare sur la scène, et l'ont placé dans diverses situations où il se montre avaricieux. Avare, terme abstrait et absolu, exprime plutôt en ellemême la passion de posséder, de retenir, de garder, sans aucun dessein de faire usage; avaricieux, terme concret et relatif, représente la même passion dans ses effets particuliers, refusant de donner et se faisant sentir aux autres. « Apollon s'est fait architecte pour un roi avaricieux et ingrat.» LAF. «Un avaricieux même qui aime devient libéral. » PASC. Dans le Légataire, de Regnard, Géronte témoignant sa surprise d'avoir légué sans raison quinze cents francs de rente à un fripon tel que Crispin, celui-ci lui répond : Ne vous repentez pas d'une œuvre méritoire ; Voulez-vous, démentant un généreux effort, Elre avaricieux même après votre mort? D'un autre côté, avaricieux exprime une idée plus minutieuse d'avarice. C'est pourquoi ce mot ne se prend jamais en bonne part, comme son synonyme on est avare du temps, de louanges; un général est avare du sang de ses soldats.

[blocks in formation]

Même différence au figuré. L'homme dour dit des choses ou tient une conduite qui charment; l'homme doucereux dit des fadeurs qui lassent et ennuient. On est doux, et on fait le doucereux; c'est-à-dire que le premier mot marque une qualité naturelle, et le second une qualité factice, affectée, exagérée, chargée. « Doucereux courtisans. >> REGN. « Les manières de Lauzun étaient toutes mesurées, réservées, doucereuses. » S. S. << Nos poëtes ont rendu les spectacles languissants, fades et doucereux comme les romans.» FEN.

DIFFICILE, DIFFICULTUEUX. Peu accommodant, qu'on n'amène pas sans peine à conclure certaines affaires.

Un homme habituellement difficile ou difficile par caractère se montre difficultueux dans un cas particulier. « Lorsqu'on m'en fit la proposition, je fis la difficultueuse. » LES. Ensuite, difficultueux enchèrit sur difficile: l'homme difficultueux est difficile sur toutes choses, soulève des difficultés à tous propos, où il n'y a pas lieu. « La mère avait bien fait la difficultueuse. » LES. « Oh! vous êtes trop difficultueux. » ID. « Ah! que vous êtes difficultueuse. » ID. « Calmer les soupçons d'esprits faibles et difficultueux. » S. S. « On ne voit point de gens plus ombrageux, plus difficultueux, plus tenaces, plus ardents dans les procès que les religieux. » FÉN. a Difficile, suivant Condillac, se dit des caractères qu'on a de la peine à contenter, des esprits qui condamnent tout, et qu'on ne sait comment prendre pour avoir leur approbation ou pour en obtenir ce qu'on leur demande; et un homme difficultueux est celui qui, dans les affaires, fait naître difficultés sur difficultés, mais ordinairement de mauvaises difficultés, auxquelles on ne devait pas s'attendre. »

Eux signifie proprement plénitude, abondance, et quelquefois excès de la qualité exprimée par l'adjectif. Si dans avaricieux, dévotieux, vaniteux, difficultueux, elle semble y ajouter une idée de minuties, de petites choses, ce n'est pas que cette signification lui soit essentielle, car elle ne l'a pas dans doucereux et chaleureux; mais c'est que la manière d'être avare, dévot, etc., à l'excès consiste à l'être jusque dans les plus petites choses. La désinence latine osus n'emporte pas non plus nécessairement cette seconde idée. Ainsi, gratus signifie agréable, bien venu près de quelqu'un; gratiosus, favori, qui jouit près de quelqu'un d'une grande faveur, qui est dans ses bonnes grâces. Il ne faudrait donc pas non plus en latin se laisser abuser, sur la génėralité de cette idée, par des mots tels que perfidiosus et industriosus, qui désignent, l'une une perfidie plus subtile, plus artificieuse que perfidus; l'autre, une industrie plus adroite, plus soigneuse, plus attachée aux petites choses que in

CHAUD, CHALEUREUX. Qui a de la chaleur. Chaud est l'expression pure et simple de cette qualité, et signifie l'opposé de froid: chaleureux se dit de ce qui est plein de chaleur. Mais ces deux mots ne sont guère synonymes qu'au figuré, lorsqu'on parle du style et des discours. Alors chaud marque moins de force d'entraînement et de véhémence; il exprime la qualité plutôt comme concentrée dans le sujet que comme se manifestant par des effets éclatants: une chaude dispute caractérise la dispute sans que la chaleur des disputants frappe beaucoup, comme elle frappe, par exemple, quand on dit qu'un général encourage ses troupes par de chaleureuses paroles. « Les chaleureux mouvements de l'éloquence. » CHARR. Chaleureux enchérit donc sur chaud, et même | dustrius.

SYNONYMIE DES ADJECTIFS VENANT, L'UN D'UN
VERBE, ET L'AUTRE D'UN SUBSTANTIF CORRES-

PONDANT.

LOUEUR, LOUANGEUR. Qui loue ou donne des louanges.

Loueur ne se dit que des personnes; louangeur se dit aussi des choses: plume louangeuse (J. J.);

Henteur, mensonger. Loueur, louangeur. Passant, discours ou ton louangeur (ACAD.); histoires

passager.

louangeuses (LAH.). Loueur qualifie en raison d'un fait unique, au lieu que louangeur marque plutôt une habitude constante: ainsi, La Fontaine dit

qu'en donnant au prince de Condé, à l'égard de du moins, il croirait être un loueur modeste. Cisar, sinon la préférence, mais la concurrence Les hommes sont, suivant Alceste,

Sur toutes les affaires,

Leur différence de valeur tient à leur différence d'origine. L'adjectif verbal suppose de la part du sujet qualifié action, et presque toujours action forte, expresse, volontaire, intentionnelle. Au contraire, l'adjectif nominal, ou ne désigne point l'action, ou en désigne une peu prononcée, peu spéciale, involontaire; de là vient que le premier Loueurs impertinents, ou censeurs téméraires. MOL. se dit surtout des personnes, c'est-à-dire des agents capables de dessein et de préméditation, cessis. » SÉv. Mais louangeur n'a aucun rapport « Corbinelli a fait une épître contre les loueurs extandis que le second s'applique plus particulière- à un cas présent, à des faits particuliers; il exment aux choses. Ensuite, l'adjectif verbal qua- prime une habitude de louer à tous propos, sans lifie en raison d'un fait, et l'adjectif nominal en raison d'une qualité constante. Le premier, par dinal Dubois était doux, bas, souple, louangeur, préméditation et comme par instinct. « Le carcela seul qu'il tient du verbe marque une qua- admirateur. » S. S. « Bonnard avait le défaut d'ètre lité temporaire; car l'idée d'un temps précis, un peu louangeur. » LAH. « Horace, qui n'est pas passé, présent, ou futur et non continuel, s'at- louangeur, appelle Sophocle le grand Sophocle.» ID. tache toujours au verbe, et c'est pourquoi il est Enfin, loueur est une qualification plus relative à appelé en allemand le mot du temps, Zeitwort. la personne qui loue, et louangeur une qualificaMENTEUR, MENSONGER. Qui trompe en mention plus relative aux louanges qu'il donne un tant, en faisant considérer comme vrai ce qui est loueur perpétuel fait sans cesse l'action de louer; un louangeur fade, fastidieux, emphatique, donne des louanges fades, fastidieuses, emphatiques.

faux.

Ils ne sont synonymes que lorsqu'ils s'appliquent tous deux aux choses, attendu que mensonger ne peut se dire des personnes. L'éclat menteur ou mensonger des biens de ce monde.

PASSANT, PASSAGER, se disent des personnes qui se transportent d'un lieu à un autre.

Par leur sens, ces termes se rapprochent beaucoup plus, l'un du verbe passer, et l'autre du substantif passage. Le passant ne fait que passer ; ce mot indique un trajet très-court, et qui ne dure qu'un instant. Le passager met plus de temps à passer; c'est un voyageur qui séjourne quelque peu sur le navire qui le transporte. On dit de l'homme qu'il n'est que passager sur cette terre, parce que son passage y dure au moins quelque temps. Par la raison contraire, passant a souvent été employé dans les épitaphes: Arrête, passant. En outre, passant exprime réellement l'action de passer, et passager un état: on arrête les passants; sur un navire il y a des soldats et des passagers.

SYNONYMIE DES VERBES NEUTRES AVEC LES MÊMES

VERBES DEVENUS ACTIFS ET ACCOMPAGNÉS DU
PRONOM PERSONNEL.

Menteur est plus fort que mensonger; il semble indiquer des promessses faites et qu'on ne tient pas; et, comme dans ce sens, il se prend métaphoriquement, on ne l'emploie que dans le style élevé. Un récit menteur diffère bien d'un récit mensonger: la première expression emporte que le mensonge est dans la personne qui fait le récit, et la seconde qu'il réside dans la chose même. Faire un récit menteur, c'est mentir volontairement, en faisant un récit qu'on sait être faux; un récit mensonger contient des faussetés, mais on l'ignore. En un mot, menteur rappelle l'action du verbe mentir, l'habitude de mentir, et mensonger, l'état constant de ce qui a la qualité exprimée par le substantif mensonge. On ne dit menteur que des choses considérées comme des personnes qui cherchent à tromper, ou bien des choses qui sont faites par des personnes à dessein de tromper. La renommée est menteuse (VOLT.); la menteuse antiquité (J. J.); oracles menteurs (LAF., VOLT.). « Le seant parait quelque chose; mais il n'est rien qu'un néant menteur : que ne fait-il point espérer? Mais dans le fond que donne-t-il? » FÉN. Langage menteur (RAC.); paroles menteuses (MOL.). « La nature humaine est partout orgueilleuse, partout Beaucoup de verbes, dans notre langue, ont menteuse, et veut toujours en imposer. » VOLT. à peu près la même signification, employés sous Mensonger qualifie les choses propres à tromper, la forme neutre et sous la forme pronominale. mas non pas destinées pour tromper. Plaisirs Nous disons presque indifféremment, par exemmensongers (ACAD.); allusions (LAH.), légendes ple, que la beauté passe et se passe; qu'on meurt (VOLT.) mensongères. Les romans sont des producet qu'on se meurt; qu'on pâme et qu'on se pâme; tions mensongères (LAH.). La peinture et la poésie que le lait épaissit et s'épaissit; que les animaux sont des arts mensongers (J. J.). engraissent et s'engraissent; que la campagne embellit et s'embellit; que l'heure approche et s'approche. De là autant d'expressions synonymi

Je l'ai vu, ce n'est point une erreur passagère
Que produit du sommeil la vapeur mensongère.

VOLT.

Passer, se passer. Mourir, se mourir. Påmer, se pâmer. Panacher, se panacher. Noircir, se noircir. Amender, s'amender. Pourrir, chancir, moisir; se pourrir, se chancir, se moisir. Etc.

ques pour la distinction desquelles une règle | tez d'une manière analytique et concrète, allant générale est nécessaire, afin d'éviter les redites à sa fin, pendant sa décadence ou sa dégradation. et de confirmer les déterminations par le rappro- Les fleurs et les fruits, les plaisirs, les biens de ce chement des exemples. monde, la beauté, le temps, les couleurs, les Le verbe neutre, ainsi que le verbe pronomi-saisons, les modes passent, c'est-à-dire, en genal, exprime qu'un phénomène ou un fait a lieu par lequel le sujet passe d'un état à un autre. En cela consiste la synonymie des deux verbes; mais elle ne s'étend pas au delà. Leur différence résulte de leurs noms mêmes.

Le verbe neutre n'est ni actif ni passif, mais simplement énonciatif. Il ne présente point d'agent, de cause; il ne rappelle ni la manière d'agir, ni les degrés, ni les progrès de l'action. Ce n'est point une action qu'il marque, mais un acte abstrait, inqualifiable, sans durée, et indépendant de toute circonstance. Le verbe pronominal, au contraire, acquiert par le pronom une signification qui tient de celle du verbe actif au lieu d'énoncer le fait simplement, en lui-même, il le montre s'accomplissant; il le représente dans toute son étendue, dans ses détails, dans sa manière, ses degrés, ses circonstances. Il est concret, descriptif, représentatif, analytique, circonstanciel; il fait voir la chose ou la personne occupée à devenir ce qu'elle doit être, pendant qu'elle va ou est en train d'aller à un état nouveau. Il peint l'opération successive, le travail, les efforts, la révolution qui doit amener cet état, l'action reçue et les changements éprouvés par le sujet dans le temps de l'épreuve. Purement énonciatifs ou qualificatifs, synthétiques et abstraits, leurs synonymes ayant des caractères tout opposés, les verbes neutres se distinguent encore des pronominaux en ce qu'ils conviennent dans les propositions absolues et générales, leurs synonymes n'étant de mise que dans les propositions relatives et particulières. On dit bien, tout passe et tout meurt ici-bas; on ne dirait point, tout se passe et tout se meurt. L'homme meurt, c'est-à-dire est mortel, proposition absolue et générale; et il en est de même de beaucoup d'autres dans lesquelles entre le verbe neutre la beauté ou le temps passe. Mais en disant d'une personne qu'elle se meurt ou que sa beauté se passe, j'applique le fait général à un cas particulier. Et lors même que les deux verbes font partie de propositions particulières, le verbe neutre conserve toujours quelque chose de son caractère de généralité. Un homme meurt, pâme, avance, c'est-à-dire que le phénomène de la mort, de la pâmoison et de l'avancement a lieu en lui comme il a lieu chez les autres, comme il arrive d'ordinaire. Si on dit qu'il se meurt, qu'il se pâme ou s'avance, alors, les verbes étant relatifs à la manière font concevoir le fait comme ayant dans le sujet où il se passe quelque chose de spécial.

PASSER, SE PASSER. Se perdre, s'écouler, ne pas continuer à demeurer dans le même état, avoir une existence bornée.

néral et sans fixer l'attention sur la manière et la durée de l'opération ou du changement, que toutes ces choses ont pour qualité de s'en aller, de finir, de cesser d'être. Quand on dit qu'elles se passent, on les montre pendant leur déclin, en train de s'en aller, se flétrissant, s'effaçant. perdant leur lustre, leur forme, en un mot faisant l'action ou subissant les épreuves qui doivent amener leur fin. Avec le terme abstrait passer, qui fait abstraction de la durée, on emploie souvent les adverbes promptement, rapidement; et, au contraire, se passer faisant voir la chose pendant sa dégradation, comporte d'autres modifications, comme insensiblement et peu à peu. La vaine joie passe comme un éclair; la peine se passe avec le temps et la réflexion. « Il y a, dit Bouhours, des maux qui passent et des maux qui durent; les maux qui durent se passent à la longue. » « Les plaisirs passent bien vite, passent en un moment. » Boss. « Un court délai nous semble long quand il se passe. » ID.

En second lieu, passer convient mieux dans les propositions générales, et se passer dans les propositions particulières; la beauté passe bien vite, et la beauté de cette femme commence à se passer. Les maux passent, et votre mal se passe ; le temps passe, et le temps de semer ou de recueillir se passe.

Enfin, la relativité de se passer apparaît avec évidence quand on se sert de cette expression en parlant du temps. Si on veut seulement exprimer la rapidité avec laquelle il s'échappe, on dit le temps passe, les jours, les années passent; mais on dit qu'il se passe, quand on en parle avec rapport à l'usage que nous en faisons. La vie passe comme un songe, et pour la plupart la vie se passe à former des projets de bonheur, ou elle se passe laborieusement et longuement dans l'ennui. « Le temps passe, le temps s'écoule; le temps se passe, le temps s'emploie, se consume. » MARM. MOURIR, SE MOURIR. Subir l'événement de la mort.

L'un exprime cet événement d'une manière générale et comme un acte abstrait; l'autre peint l'action de mourir avec tout ce qui l'accompagne : il fait assister, en quelque sorte, à l'agonie du mourant; il retrace l'image de ses mouvements, de ses efforts, de la lutte qu'il soutient pour échapper. Un homme que la foudre ou un boulet prive tout d'un coup de la vie meurt, et ne se meurt pas. Un phthisique qu'on voit et qui se voit approcher, chaque jour, du terme fatal, se meurt. Mes filles, soutenez votre reine éperdue.

Je me meurs.

(Esther). RAC.

« Je me meurs tout doucement. » VOLT. « L'amour profane est toujours plaintif : il dit toujours qu'il En disant qu'une chose passe, vous énoncez languit et qu'il se meurt. » Boss. « L'abbé de Foix simplement, d'une manière abstraite et synthé-se meurt; il agonise, cela est pitoyable. » Sév. tique, qu'elle est passagère, qu'elle a une courte PAMER, SE PAMER. Tomber en pamoison. durée; c'est sa qualité ou son sort de finir bien- Pamer est énonciatif et abstrait, se pamer contôt. En disant qu'elle se passe, vous la représen-cret et descriptif. L'un sert à exprimer que le

fait a lieu, mais sans indication de la manière et
des circonstances; l'autre fait qu'on est témoin
d'une scène; il montre la crise dans son cours,
dans ses progrès, il représente le sujet se débat-
tant. pour ainsi dire, avant de tomber.
Sire, on páme de joie ainsi que de tristesse. CORN.
Ezechiel, au travers des ailes des chérubins,
voit je ne sais quoi de merveilleux : il s'étonne,
il se pame, il tombe sur sa face. » Boss. « Voyez
les choses bien exactement telles qu'elles sont, et
songez dans quel état pouvait être la tête d'un
homme qui se pâme de plaisir en vous disant de
pareilles choses. » LAH.

PANACHER, SE PANACHER.

« Des fleurs, des oiseaux panachent; c'est leur propriété que de prendre les couleurs ou les formes d'un panache. « Les femelles de ces pigeons ne parachent point. » BUFF. « Les oiseaux, les fleurs se panachent, lorsque, par le développement et l'energie de cette propriété, ils prennent

en effet ces couleurs ou ces formes. >> ROUB. NOIRCIR, SE NOIRCIR.

[ocr errors]

engraisser. — Distinguez de même amaigrir et s'amaigrir.

ÉPAISSIR, S'ÉPAISSIR. Devenir épais, plus épais.

Tous deux marquent le fait de l'épaississement, mais chacun à sa manière. En employant épaissir, vous ne faites qu'énoncer le fait; en employant s'épaissir, vous le dépeignez, vous montrez le sujet en travail ou sans cesse occupé à prendre de la consistance. Un instant peut quelquefois suffire à une chose pour épaissir; il lui faut du temps pour s'épaissir. Il semble ensuite que l'un exprime un épaississement ordinaire, naturel ou périodique, qui n'a rien de spécial, et l'autre un épaississement accidentel, dont on remarque particulièrement la cause ou la manière. Le lait épaissit en se caillant; il s'épaissit quand on le bat pour en extraire le beurre. guerait pareillement sécher et se sécher, durcir et se durcir. On sèche d'ennui dans une prison; << Otez aux hommes leurs divertissements, vous les verrez se sécher d'ennui. » PASC. « En quelques

On distin

Les choses sujettes à devenir noires noircis-minutes les œufs durcissent dans l'eau bouillante;

sent: le teint noircit au soleil. Les choses se noircissent lorsqu'elles perdent leur blancheur et qu'elles deviennent noires : le temps se noircit à mesure qu'il se couvre de nuages épais et sombres. Un objet pourrait noircir tout d'un coup; il ne se noircit que par degrés. » ROUB.

AMENDER, S'AMENDER.

En disant qu'une terre amende, vous la présentez dans un état d'amélioration, vous considerez l'effet produit: en disant qu'elle s'amende, vous la présentez dans le travail de l'amélioration, vous considérez ses efforts et ses progrès. » ROUB. On distinguera de même, mutatis mutandis, empirer et s'empirer. Nos affaires empiraient à vue d'œil.» LES. Il ne faut pas s'étonner si les choses empirèrent par la mort de Henri VIII. » Boss. Les premiers hommes purent sentir combien leur état allait s'empirant. >> ID. « Les maux du corps s'invétèrent, s'empirent en vieillissant, et détruisent enfin cette machine mortelle. » J. J. POURRIR, CHANCIR, MOISIR; SE POURRIR, SE CHANCIR, SE MOISIR.

< La viande pourrit, les confitures chancissent, le pain moisit; ce sont des accidents que ces objets doivent éprouver, ou même qu'ils éprouvent actuellement. La viande se pourrit, les confitures se chancissent, le pain se moisit: ces objets sont alors dans la crise ou fermentation qui produit la pourriture, la chancissure ou la moisissure. >>

Bous.

« Le tronc rude et noueux de ces arbres s'est durci

par le nombre des années. » FÉN. « Le bois du cerf ressemble au bois des arbres par la manière dont il croît, dont il se développe, se ramifie, se durcit, se sèche et se sépare. >> BUFF.

ROUGIR, SE ROUGIR. Ces deux verbes se disent également de ce qui prend une couleur rouge.

Rougir signifie le fait d'une manière abstraite; se rougir montre la chose en train de devenir propriété de rougir, comme de noircir et d'épaisrouge. Ensuite, c'est dans les choses plutôt une sir, et un accident de se rougir, comme de se noircir et de s'épaissir. Certains fruits rougissent à certaines époques de l'année, mais ils se rougissent avant, si des maladies ou des insectes les attaquent. La différence est la même entre brunir et se brunir. « Trois ou quatre jours après leur naissance, les petits des nègres paraissent d'un jaune basané qui se brunit peu à peu. » BJFF.

[ocr errors]

EMBELLIR, S'EMBELLIR. Une campagne, une ville embellissent et s'embellissent, c'est-à-dire deviennent belles ou plutôt, d'une part, deviennent belles et de l'autre se font belles.

Embellir est relatif à l'effet, s'embellirà l'action. Le premier signifie l'espèce de changement opéré. Le second le montre s'opérant; celui-ci se rapporte au temps, aux détails, aux efforts successifs, aux progrès de la chose. Au printemps la campagne embellit; la campagne la plus ingrate et la plus mal située finit par s'embellir à force de culture et de travaux.

ENGRAISSER, S'ENGRAISSER. Devenir gras. APPROCHER, S'APPROCHER. Devenir proche. Engraisser signifie simplement et d'une ma- Approcher n'exprime que le fait du rapprocheniere abstraite le fait de la substitution de l'em- ment par l'abréviation et la diminution de la bonpoint à la maigreur; il est relatif au résultat. distance: ce qui est loin approche. Approches, Sengraisser est relatif à la cause, au temps, au c'est-à-dire, soyez proche ou plus près; c'est en travail, aux efforts, à tout ce qui est nécessaire faisant du bien aux hommes qu'on approche le pour amener le résultat; il vous peint à l'œuvre, plus de la Divinité. S'approcher désigne, non le rous engraissant; il représente l'action continue, simple fait d'une plus grande proximité, mais constante d'engraisser, et tous les changements surtout l'action par laquelle ce fait est produit, Successifs qui remplissent l'intervalle entre la c'est-à-dire l'action de franchir l'espace intermémaigreur et l'embonpoint. Les animaux engrais-diaire, sa manière, sa durée, sa difficulté. Aussi sent dans certains pâturages, et on les envoie s'y est-il susceptible de beaucoup plus de modifica

« PreviousContinue »