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les autres par lesquels nous énonçons quelque | sèque; ici, elle est extrinsèque et plus remarchose d'intellectuellement nouveau que nous faisons savoir ou connaître, nous nous exprimons en gens qui viennent d'apprendre, s'adressant à des gens qui ignorent. Or, la locution composée d'un adjectif qui précède et d'un substantif qui suit, convient particulièrement dans les propositions analytiques, au lieu que la même locution, ses termes étant intervertis, s'emploie mieux dans les propositions synthétiques. Un passage de Roubaud que nous nous bornons à citer peut servir ici d'éclaircissement et de justification.

<< Lorsque vous dites un savant homme, vous supposez que cet homme est savant; et lorsque vous dites un homme savant, vous assurez qu'il l'est. Dans le premier cas, vous lui donnez la qualification par laquelle il est distinguė; dans le second, celle par laquelle vous voulez le faire distinguer. Là, sa science est hors de doute; ici, vous voulez la faire connaître.

<< Si un homme est renommé par sa science, ou si vous venez de parler de sa science éminente, vous direz plutôt ce savant homme; sinon, vous direz plutôt cet homme savant ou qui est savant. Après que vous avez parlé des émotions qu'une mère éprouve à la vue de son enfant, vous direz ses tendres regards plutôt que ses regards tendres: les regards d'une mère émue sont nécessairement tendres, et c'est ce que vous exprimez par de tendres regards; mais lorsque la qualité des regards n'est point déterminée, vous la distinguez en mettant après le sujet l'épithète de tendres. Vous allez raconter une affaire malheureuse; et, après le récit, vous dites, voilà une malheureuse affaire. Dans la première position, le substantif précède l'adjectif par la raison qu'il est naturel que le sujet soit annoncé avant sa qualité, le principal avant l'accessoire; l'esprit reste d'abord en suspens sur la nature de l'affaire dans la seconde position, l'adjectif précède le substantif, parce que l'esprit est déjà instruit et décidé sur la nature de l'objet et que les deux idées sont déjà indissolublement liées ensemble; et que si la qualification suivait le sujet, elle paraîtrait oiseuse et lâche, à moins que vous n'y ajoutassiez une modification, voilà, par exemple, une affaire bien malheureuse, ce qui présenterait une idée nouvelle d'estimation. »

3o L'adjectif préposé qualifie d'une manière pleine, entière, accomplie, et, postposé, d'une manière vive et saillante.

En donnant le premier rang à l'adjectif, nous le fondons, pour ainsi dire, avec le substantif, si bien que la qualité devient substantielle, et, pour lui ôter toute idée d'accidence, nous ne lui laissons, non plus qu'à la substance, aucune détermination, soit quant à l'étendue, soit quant au degré. En terminant par lui, nous le mettons plus en relief, nous le rendons plus frappant, plus saisissant. Là, la qualité est achevée, portée au comble, on ne peut plus rien y ajouter; ici, comme la dernière impression est toujours la plus forte, la qualité produit souvent plus d'effet, est plus expressive et se fait plus vivement sentir. Là, elle est entière, mais en quelque sorte intrin

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Un excellent fruit est parfait; un fruit excellent produit une sensation plus douce. Un tendre regard est un regard tel que ceux qu'on appelle ordinairement de ce nom; un regard tendre flatte davantage, parce qu'il est spécialement tendre. Il y a bien plus de force dans un combat sanglant que dans un sanglant combat, la dernière expression ne réveillant qu'une idée commune sans rien mettre de particulier sous les yeux. De même, horrible aspect, affreux séjour, triste accident, malheureuse aventure, fâcheuse affaire vous font distinguer l'espèce d'aspect, de séjour, etc., car il y a des aspects attrayants, des séjours agréables; mais ce sont là des locutions toutes faites dont on se sert sans conséquence; et en disant un aspect horrible, un séjour affreux, vous appuyez, bon gré, mal gré, sur le dernier mot, dont l'idée vous émeut davantage: c'est un aspect particulièrement horrible, un séjour particulièrement affreux. Un cruel homme est un homme ennuyeux, importun; un homme cruel est un homme inhumain, insensible, qui aime à faire ou à voir souffrir.

La raison de cette règle réside dans une règle plus générale : c'est que, dans les substantifs composés, le premier mot perd de sa force et s'efface en partie. En allemand, avec les deux mots Oel, huile, et Baum, arbre, on forme deux substantifs composés, l'un signifiant huile d'olive, Baumöl, et l'autre olivier, Oelbaum. Un étranger a peine à se rappeler lequel des deux exprime l'arbre, et lequel le fruit; une simple observation peut le tirer d'embarras celui-là exprime le fruit, dans lequel le fruit est indiqué le dernier, Baumöl; et celui-là l'arbre, dans lequel le mot arbre se montre en dernier lieu, Oelbaum. Quant à la première partie du mot complexe, elle reste, pour ainsi dire, dans l'ombre. De même dans nos mots composés, venus du grec, philosophe, logomachie, et dans ceux qui sont tout français, petit-maître, sage-femme, c'est le dernier élément qui attire principalement l'attention.

4° Avant le substantif, l'adject qualifie d'ane manière absolue; après, d'une manière relative.

A vrai dire, l'adjectif précédant le substantif ne jouit de cette plénitude de signification, qui le

4. Les participes passés pris adjectivement se mettent toujours après le substantif: enfant chéri, juge éclairé, censeur instruit, prophète inspiré. C'est qu'il est de leur nature (voy. p. 36) d'exprimer fication accidentelle, qualité saillante et qui attire une qualité survenue, acquise, résultant d'une modiparticulièrement l'attention.

a M. le Prince, dit Voltaire, est toujours appelé le grand Condé.... Si on l'avait nommé Condé le grand, ce titre ne lui fût pas demeuré. » Le grand, mis après le substantif, eût trop fait saillir la qualité exprimée par ce mot. C'est à cause de cela qu'on ne permet cette disposition du mot qu'à l'égard des rois : culiers tout ce qu'on peut accorder, c'est de dire le Louis le Grand, Alexandre le Grand, Pour les partigrand un tel. « On a dit le grand Condé, le grand Colbert, le grand Corneille, comme on a dit Louis le Grand,» MARM.

pas ne pas être abstrait, ne pas représenter quelque chose d'idéal, car ces caractères ne conviennent à aucune qualité réelle. Les exemples confirment pleinement cette conclusion.

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homme seul, sans livre et sans aucun secours des lumières communiquées, parvienne à devenir de lui-même un très-médiocre botaniste, c'est une assertion ridicule à faire. » J. J. « Le renne se défend d'un loup seul. » BUFF. D'autre part, un tableau unique n'est pas comparable à d'autres, on n'en trouverait pas un qui le valût.

distingue, que parce qu'il se prend alors absolument, c'est-à-dire indépendamment de tout rapport particulier, abstraction faite de toute détermination, de toute spécification. C'est là ce qui le rend propre à exprimer la qualité constante, Dans un seul homme, un unique tableau, seul et habituelle, à signifier que l'objet est tel ou tel de unique sont abstraits et purement numériques; on tout point; tandis que, placé après le substantif, les oppose à plusieurs. « Un homme inégal n'est il exprime la même qualité comme partielle, ac-pas un seul homme, ce sont plusieurs. » LABR. « Un cidentelle, passagère. Différence tranchante et seul homme suffit pour peupler toute la terre. » Boss. féconde, surtout quand les deux locutions ne se << L'homme orgueilleux qui a tant de possessions, ne considèrent pas sous le point de vue de la force, par peut plus se compter pour un seul homme. » ID. Dans rapport à l'effet que produit sur nous le sujet qua- un homme seul, un tableau unique, seul et unique liflé, mais seulement par rapport à leur étendue. prennent une valeur plus concrète et plus réelle. Le savant homme l'est absolument, a de D'une part, un homme seul est un homme isolé, grandes connaissances en tout genre; l'homme sans société, réduit à lui-même. « On trouve une savant ne l'est que relativement à une science grande utilité dans l'union; si l'un tombe, l'autre dans laquelle il est versé; et de là vient que cette le soutient. Deux hommes reposés dans un même locution est beaucoup plus propre que la précé-lieu se réchauffent mutuellement : qu'y a-t-il de dente à recevoir des déterminations ultérieures: plus froid qu'un homme seul? » Boss. « Qu'un homme savant en histoire, en mathématiques; ourrier habile dans la menuiserie, pour la confection de certains meubles; appartement magnifique par l'ameublement, les ornements, les tentures. En un mot, le savant homme l'est substantivement en quelque sorte, il possède la science ou le savoir; et l'homme savant ne l'est qu'accidentellement, il a du savoir ou de la science. L'ouvrier habile a de l'habileté dans sa partie; l'habile ouvrier peut exécuter habilement tout ce qui se rapporte à son art, même trouver des perfectionnements, même concevoir des procédés nouveaux. Un appartement magnifique ne l'est qu'à certains égards: ou il ne l'est qu'aux yeux de celui qui le juge tel, ou il doit son éclat à des décorations faites spécialement pour une occasion; magnifique appartement donne l'idée Qu'on parcoure toutes les locutions différentes d'embellissements plus durables, plus solides, (et non pas les différentes locutions) qui contienplus essentiels, tenant plus à l'édifice même, ànent le même adjectif, mais placé ici avant, là sa construction, à sa hauteur, à sa grandeur en après le substantif, on trouvera toujours à la tous sens. Un ami vous a rendu un service: vous locution où l'adjectif précède un caractère d'abdites qu'il s'est comporté comme un ami véri- straction et d'idéalité, une valeur plus éloignée table. « M. de Kaiserling s'est conduit avec le roi de la valeur réelle et fondamentale. Un taureau en serviteur vertueux et auprès du prince en ami furieux est en furie; un furieux taureau est d'une véritable. » VOLT. Le véritable ami est tel abso grandeur énorme. Dans pays plat se trouve l'idée Iument, et non relativement à un fait, à quelque première de platitude, d'infériorité physique : pays chose d'effectif et de déterminé, qui ait eu lieu.plat, pays de plaines, par opposition aux pays dé « Je fis en cette occasion au delà de ce qu'on pouvait attendre d'un véritable ami. » DELAF. Un sage philosophe est un sage ou tout près de l'être; un philosophe sage est encore loin de là, il travaille à y parvenir. Un dévot personnage est un dévot de profession; un personnage dévot ne professe pas la dévotion, quoiqu'il la pratique. La grosseur d'une grosse femme s'étend à tout son corps et dure indéfiniment; la grosseur d'une femme grosse, c'est-à-dire enceinte, n'est que partielle et accidentelle. La chagrine vieillesse est le caractère commun de l'âge : un individu a une vieillesse chagrine.

5o Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt
d'une manière abstraite et en s'éloignant du sens
propre; après, il qualifie plutôt d'une manière
concrète et en restant plus près du sens primitif.
Si, placé avant le substantif, l'adjectif est signi-
ficatif de l'essence, analytique et absolu, il ne peut

Le véritable ami est une sorte de type ou d'idéal de l'amitié; un véritable ami s'y conforme. Un habile homme sait se tirer d'embarras, d'un mauvais pas, sait manier l'intrigue; un homme habile est plutôt un homme adroit, qui a de la dextérité, au propre. Un parfait imbécile, un parfait coquin se disent tous les jours; déplacez l'adjectif, c'est-à-dire, rendez-lui son sens propre, il y aura contradiction dans les termes.

montagnes. « Ordinairement je trouve à douter en ce que le commentaire n'a daigné toucher : je bronche plus volontiers en pays plat; comme certains chevaux que je connais, qui choppent plus souvent en chemin uni. » MONTAIGN. «Il se peut que les pays montagneux aient éprouvé par les volcans et les secousses de la terre autant de changements que les pays plats. » VOLT. Dans plat

1. Différentes ou diverses choses signifient simplement plusieurs choses. On trouve en plusieurs endroits des sources d'eaux chaudes, des agates et différentes pierres précieuses. » BARTH. << Terpandre composa pour divers instruments des airs qui serDes choses différentes ou virent de modèles. » ID. diverses sont des choses bien distinctes ou éloignées les unes des autres, opposées ou même qui se combattent. Les dieux proposent des avis differents, et les soutiennent avec chaleur. » BARTH. « Les Néréïdes sont toutes distinguées par des agréments divers. » ID. « Des agitations diverses. » J. J.

a

pays se trouve l'idée d'une infériorité abstraite, d'une importance moindre : plat pays signifie la campagne, les villages, par oppositions aux villes. « Il est injuste que les riches, les grands, les nobles ne payent point, et les pauvres gens du plat pays payent tout. » CHARR. << Tout le plat pays était conquis, et Famagouste était la seule ville qui ne se fût pas rendue. » DELAF. « On ne savait alors ni fortifier les frontières ni faire la guerre dans le plat pays.» VOLT.

Vous n'avez pas l'air mauvais, je vous jure,
C'est mauvais air que vous avez.

Le comte de CHOISEUL.

Une épigramme méchante, des vers méchants ne sont pas bons, sont pleins de méchanceté, en laissant à ce mot toute sa force radicale; une méchante épigramme et de méchants vers ne sont pas bons en ce sens détourné et affaibli, qu'ils ne valent rien, qu'ils ne sont pas bien faits. De même dans l'homme méchant la méchanceté est plus

Un homme plaisant plaît par des manières en-vive, plus énergique, plus cruelle que dans le méjouées; un plaisant homme ne plaît pas du chant homme, qui manque simplement de bonté tout; c'est un homme bizarre, ridicule, singu- morale, qui fait ou a fait de mauvaises actions. lier. L'homme grand est d'une grande taille; le Un ministre citoyen a les qualités d'un bon grand homme a un grand mérite moral. L'homme citoyen, est zélé pour les intérêts du pays; citoyen honnête, conformément à l'idée primitive, a ministre, formule dont on se servait du temps de l'honnêteté des manières et des procédés; l'hon- la république en s'adressant aux ministres, ne néte homme a celle des mœurs et de l'âme. laisse plus au mot citoyen qu'une signification L'homme malhonnête manque de politesse, est vague, réminiscence obscure et éloignée de la siincivil, rude, blessant; le malhonnête homme gnification originelle. « Je vous ai prévenu, citoyen manque à la probité et à l'honneur: « Que celui ministre, et ministre citoyen, que.... >> BEAUM. que j'ai pu offenser sans le vouloir dise de moi que « Glorieux parallèle renferme un sens ironique, je suis un homme malhonnête, j'y consens; mais que parallèle glorieux n'indiquerait pas. » » D'AL. qu'il ne dise pas que je suis un malhonnéte Enfin, dans les substantifs composés, beauhomme, car je jure que je le prendrai à partie, et | frère, beau-fils, grand-père, grand-oncle, francle forcerai à prouver son dire, ou à se rétracter maçon, sage-femme, que reste-t-il du sens primipubliquement.» BEAUM. De même, l'homme ga- | tif des adjectifs beau, grand, franc et sage? lant est adonné à la galanterie; le galant homme a des mœurs et des procédés nobles et honnêtes: 6o • L'homme galant se rapproche plus du petitmaître, de l'homme à bonnes fortunes; le galant homme tient plus de l'honnête homme. » VOLT. Un homme brave a de la bravoure; un brave homme a de la probité, des vertus, des qualités so-exprime la qualité absolument, sans déterminaciales.

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Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt d'une manière vague et indéterminée; après, d'une manière précise.

Ce vague et cette indétermination de la locution où l'adjectif précède tiennent à ce qu'elle

tion ni spécification quelconque; et, à son tour, Un ami vrai ne nous ment pas, ne nous cache pas cette indétermination explique pourquoi la même nos vérités, mais nous les découvre franchement locution est toujours celle qui se prête aux ac« Un ami vrai, qui ose nous dire nos défauts, ceptions détournées. L'année dernière indique netest, disait Socrate, le plus grand présent des tement la dernière année qui vient de s'écouler; dieux. » COND. Un vrai ami nous aime vraiment la dernière année ne détermine pas par rapport à et prend au besoin nos intérêts : « Un vrai ami est quelle époque, à quelle période, à quelle série une chose avantageuse, même pour les plus grands d'années on doit l'entendre. De même, l'heure seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux, et qu'il dernière exprime toujours précisément le derles soutienne en leur absence même. » PASC. Un nier moment de la vie : << Un père de fahomme pauvre manque de biens; le pauvre mille, sentant approcher son heure dernière, homme inspire du mépris ou de la compassion. dispose de ses biens par son testament. » Boss. Lorsqu'on dit d'un homme, ce pauvre un tel, La dernière heure se dit d'une heure, qui n'est ce n'est jamais dans le sens d'esurientes implevit pas si déterminément dernière en quelque sorte, bonis, mais toujours dans celui de beati pauperes qui ne l'est que relativement à une période de spiritûs. BEAUM. Linière voyant ensemble Cha- temps qu'il faut désigner: dans cette école on pelain et Patru, disait que le premier était un étudie trois heures de suite le soir : quand vient pauvre auteur, et le second un auteur pauvre. la dernière heure on s'occupe de telle chose. Si Une chose nouvelle est une chose nouvellement vous dites un père bon, je conçois un père qui a faite, arrivée, mise à la mode; une nouvelle chose de la bonté, de la douceur, de l'indulgence; si est une chose autre que celle qu'on tenait, dont on vous dites un bon père, je conçois un père qui s'occupait. Les termes propres conviennent, sont remplit tous les devoirs de la paternité, mais je appropriés à ce qu'on veut exprimer : vous répétez ne sais en quoi consiste précisément sa bonté, à les propres termes de quelqu'un, ou ses mêmes pardonner ou à châtier, pas plus que je ne sais termes. Voir commune, qui ne s'élève pas au- quel est le degré et l'espèce de grosseur de la dessus de l'ordinaire; commune voix, accord de grosse femme. Qu'on prononce les mots rue sale, toutes les voix, de tous les suffrages, unani-je comprends aussitôt qu'il s'agit d'une rue malmité.

propre, pleine d'ordures et d'immondices; sale

Air mauvais, air redoutable; mauvais air, vi- rue n'indique pas quelle sorte de saleté on re

lain air.

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proche à la rue dont il est question, et si on l'appelle ainsi parce qu'il s'y commet des actions déshonnêtes.

Il est inutile de multiplier les exemples; tous ceux qui ont été cités plus haut, ou au moins la plupart, conviennent également ici; il n'y a qu'à se les rappeler. Nous ajouterons seulement une remarque. Si la poésie, comme le prétend Roubaud, emploie de préférence la construction qui met l'adjectif avant le nom, ce n'est pas que celle-ci soit plus forte, plus énergique, plus expressive que le tour synthétique, car nous avons prouvé le contraire au paragraphe 3, mais c'est que la poésie aime le vague et hait la précision.

chercherait en vain dans traiter mal. Traiter mal,
c'est simplement ne pas traiter avec tous les
égards, avec toutes les attentions qu'on mérite,
user de procédés mauvais.
Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête,
Qui traite mal les gens qui la logent chez eux. MOL.
Vous traitez mal, Pauline, un si rare mérite,
c'est-à-dire Sévère, en supposant qu'il vient ici
braver un malheureux.
Polyeucte. CORN.

« Il est bien triste que cet officier, qui sert si bien
depuis 22 ans, soit traité si mal, pendant qu'on
prodigue les rangs à une foule de gens sans nom
et sans service. » FÉN. « Marat, dans son livre,
traite mal ses contemporains (manque pour eux
de ménagements, déprise les vérités qu'ils ont an-
noncées). » VOLT.-Maltraiter, c'est traiter beau-
coup plus rudement, se porter à des injures et à
des violences. « Télémaque sentit dans son cœur
une douleur extrême de voir son père si maltraité
(rudement frappé à l'épaule par Antinous). » FÉN.

De toutes ces distinctions résulte, par rapport aux adjectifs auxquels elles s'appliquent, une conséquence importante, c'est que la propriété qu'ils ont de changer de valeur dans le discours suivant leur position, de même que les chiffres dans les nombres supérieurs à dix, constitue pour notre langue une véritable richesse. Les langues, l'allemand et l'anglais, auxquelles manque ce moyen de varier le sens d'une locution qualificative, en variant seulement l'ordre de ses ter-« Si on maltraite un homme, si on le tue, cette mes, sont obligées d'avoir deux mots pour exprimer ce que nous exprimons par un seul en ayant soin de le mettre à la première ou à la seconde place. Le mot bon de bon père se traduirait en allemand par gut, et le mot bon de père bon par gutig. Seul, dans le sens où nous le prenons quand nous disons un seul homme, correspond à | l'allemand einzig, et dans le sens qu'il a dans la locution, un homme seul, il se rendrait exactement par allein.

action peut être commandée par la justice. » Boss. « Si ce serviteur est méchant et qu'il commence à maltraiter ses compagnons, à s'enivrer et à mener une vie dissolue.... » ID.

Dans un autre sens, maltraiter dit plus encore que traiter mal: on maltraite généralement, habituellement; on traite mal dans une circonstance particulière. On maltraite ses domestiques, et on traite mal un domestique qui vient de commettre une gaucherie. Ce serait parler sans justesse que de dire qu'un enfant depuis le berceau a été traité mal par son père.

Mais les adjectifs ne sont pas les seuls mots qui se chargent ainsi d'accessoires différents selon leur place relativement aux substantifs. Il en est de même de certains adverbes et même de certaines prépositions par rapport à de certains verbes, que tantôt ils précèdent, et que tantôt ils suivent. De là de nouveaux synonymes analogues aux précédents pour l'origine, et tout à fait semblables, comme il est facile de s'en convaincre, quant aux règles de distinction qui leur conviennent: mal-nière contraire aux règles. traiter, traiter mal; mal parler, parler mal; mal interpréter, interpréter mal; mal mener, mener mal; bien ou mal faire, faire bien ou mal; surreiller, veiller sur.

Enfin, maltraiter désignant le mauvais traitement d'une manière pleine, absolue, accomplie, est moins propre à signifier faire faire mauvaise chère à ses hôtes, que traiter mal qui veut dire seulement traiter d'une manière peu convenable, avec trop peu d'égards.

On doit remarquer d'abord une circonstance commune à tous ceux de ces verbes composés dont les termes constitutifs s'écrivent encore séparément: mal parler, mal interpréter, mal ou bien faire; ils s'emploient uniquement à l'infinitif, et au participe ou seul ou accompagné de l'auxiliaire aroir. Or, l'antipathie de ces locutions pour les temps proprement personnels n'est-elle pas déjà une marque de leur impuissance à exprimer ce qui est relatif? N'est-ce pas là une preuve que ce qu'elles rendent particulièrement bien, c'est le général et l'absolu? Mais traitons séparément et sans esprit de système chacune d'elles; cherchons à les distinguer des expressions synonymiques dont elles ne diffèrent, sous le rapport grammatical, que par l'ordre de leurs éléments. MALTRAITER, TRAITER MAL. Traiter d'une manière qui n'est pas convenable.

La seule place de mal dans maltraiter donne à ce dernier mot une plénitude de sens que l'on

MAL PARLER, PARLER MAL. Parler d'une ma

Beauzée pense que l'un signifie parler d'une manière contraire aux règles de la morale, dire du mal, et l'autre parler d'une manière contraire aux règles de la grammaire, y manquer en parlant. Il se peut que cette différence soit la vraie; car l'analogie est pour que mal parler se prenne dans le sens le plus abstrait, pour médire ou dire des paroles offensantes; et la même analogie exige qu'en employant parler mal on conserve au mot mal un sens moins éloigné ou plus voisin du sens propre et primitif, et c'est ce qu'on fait en lui donnant celui de parler sans correction. Cette distinction est aussi confirmée par l'usage. On dit plutôt mal parler de quelqu'un (Boss., FÉN., LABR., MOL., VOLT., J. J., MAL., COND., ROLL.), et parler mal sa langue (VOLT.) ou le français (ID.). Absolument, mal parler, c'est médire : <«< Heureux est l'homme qui ne se porte point à mal parler, et qui ne s'arrête pas même à écouter le mal.» BOURD. Absolument, parler mal, c'est être mauvais orateur ou mauvais écrivain. « Dans ce conseil de régence le duc d'Orléans parla bien, parce qu'il ne pouvait pas parler mal, même dans les plus mauvaises thèses. » S. S. « Au partir ne vaut pas

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mieux qu'au départ, et c'est parler mal sans y rien gagner.» LAH. On dit de même mal penser de quelqu'un (J. J.), et c'est en penser du mal, sorte de faute contre la charité, au lieu que penser mal annonce une infraction à d'autres règles que celles de la morale : « On peut penser mal sans être hérétique, si l'on est soumis et docile. Boss.

Mais supposons avec Roubaud ces deux locutions, mal parler et parler mal, unies par un rapport de synonymie plus étroit, toutes deux usitées moralement et grammaticalement, toutes deux signifiant et médire et exprimer sa pensée autrement qu'il ne faut. Elles se distingueront alors comme maltraiter et traiter mal, c'est-àdire que l'adverbe mal précédant le verbe étendra l'idée de l'expression entière, la rendra plus complète mal parler annoncera donc une atteinte plus grave aux lois de la charité ou à celles de la grammaire. C'est cette dernière différence qu'il faut mettre entre mal juger (COND.) et juger mal (COND., NIC.), entre mal raisonner (VOLT., P. R.) et raisonner mal (VOLT., COND., LAH.), entre mal écrire et écrire mal (VOLT., LAH.).

faire, c'est se rendre coupable de mauvaises actions. «< Délivrez-moi, Seigneur, de cette fatale liberté que j'ai de mal faire. » MAL. Au contraire, faire bien ou mal, avoir fait bien ou mal se disent plutôt au propre et au physique. « Je n'entends pas qu'Emile ne fera jamais de dégât; il pourrait faire beaucoup de mal sans mal faire, parce que la mauvaise action dépend de l'intention de nuire et qu'il n'aura jamais cette intention. » J. J. Si faire beaucoup de mal n'est pas nécessairement mal faire, c'est précisément et toujours faire mal. Dans une acception particulière, faire mal, c'est, au propre, faire du mal, causer de la douleur., De même, faire bien se dit à la rigueur, dans le propre, et non dans le sens éloigné et moral de bien faire. « Dans les repas ou les fêtes que l'on donne aux autres et dans les plaisirs qu'on leur procure, il y a faire bien, et faire selon leur goût: le dernier est préférable. » LABR. « Je suis embarrassé sur l'origine du mal; mais je supposerai que le bon Oromase, qui a tout fait, n'a pu faire mieux. » VOLT.

D

Dans les locutions abstraites où le verbe faire ne conserve presque plus rien du sens primitif, tant MAL INTERPRÉTER, INTERPRÉTER MAL. Don-il est idéalisé, on ne doit se servir que de bien ner un sens qui n'est pas le vrai.

Toujours mêmes distinctions. Mal interpréter, plus abstrait, plus éloigné de la signification première, voudra plutôt dire prendre en mauvaise part un discours, ou une action, et interpréter mal, par la raison contraire, traduire mal d'une langue dans une autre, ou expliquer mal ce que contient un écrit, une loi. Et chacun des deux tours étant employé dans l'une et dans l'autre acception, la première aura plus de force et signifiera donner un sens qui non-seulement n'est pas le véritable, mais qui s'en écarte étrangement, interpréter tout de travers.

On distinguerait de même mal prendre et prendre mal, dans le cas où le mot prendre signifie comme interpréter, entendre d'une certaine ma

nière.

Un tel avis m'oblige; et, loin de le mal prendre,
J'en prétends reconnaître à l'instant la faveur.

(Célimène à Arsinoé. Misanthrope). MOL. MALMENER, MENER MAL. Mener autrenient qu'il ne faut.

Le premier convient mieux, et peut être seul, dans le sens idéal et moral de, avoir des procédés rudes et sans ménagement, tandis que le second se dit toujours ou presque toujours au propre pour, mal diriger ou mal conduire. Si quelquefois ils expriment tous deux, ou l'idée abstraite et figurée, ou l'idée propre et primitive, alors, de même que maltraiter par rapport à traiter mal, malmener dit plus que mener

mal.

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faire ou de mal faire: je croyais bien faire; il a mal fait de vous avertir.

SURVEILLER, VEILLER SUR. Avoir l'œil sur quelqu'un ou quelque chose, y prendre garde.

Surveiller a plus de généralité; il indique une surveillance plus étendue, qui embrasse plus de choses, attentive aux moindres mouvements, de tous les jours, de tous les instants, qui ne laisse rien échapper, et qui suppose qu'on surveille d'en haut avec charge ou autorité; en un mot, surveiller rappelle toujours un peu l'espionnage de la police, à part tout ce qu'il peut avoir d'odieux.

Depuis qu'on me surveille et qu'on éclaire tous mes secrets. » J. J. « Tout ce qu'on peut faire pour la sûreté publique est de le surveiller si bien, qu'il n'entreprenne rien qu'on ne le sache, qu'il n'exécute rien d'important qu'on ne le veuille. » ID.

La surveillance de veiller sur n'est pas sans relâche, elle ne suit pas son objet aussi attentivement; c'est pourquoi, quand c'est à une personne qu'elle s'attache, elle emporte quelquefois l'intention de la protéger, de faire qu'il ne lui arrive aucun mal, et non pas toujours, comme surveiller, celle de la trouver en faute pour avoir à la reprendre ou à la punir. « Il faut veiller sur ces enfants de choix de la patrie, les protéger, les aider, les soutenir, fussent-ils même de mauvais sujets. » J. J. « Les yeux de Dieu sont attachés sur les justes, parce qu'il veille sur eux pour les protéger. » Boss.

Mais non-seulement la surveillance de veiller sur est moins détaillée, moins continuelle, mais elle s'étend à moins de choses ou de personnes différentes; on surveille même les personnes qui veillent sur, et par une inspection supérieure, comme chef, comme conducteur : le général surveille les officiers qui veillent sur les soldats; dans une grande maison, le maître surveille les agents chargés par lui de veiller sur les subalternes les plus bas placés.

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