Page images
PDF
EPUB

Néanmoins cette même diversité leur donne à chacune, quand on les considère entre elles, une nuance propre et caractéristique; en sorte que, après les avoir séparées toutes trois de l'adverbe, sans tenir compte du sens particulier des prépositions, rien ne nous empêche de les distinguer à présent entre elles en cherchant avec soin les légères modifications de sens attachées à à, à de et à pour. C'est même, à le bien prendre, une digression indispensable.

A l'ordinaire rappelle vaguement une habitude établie, conformément à laquelle on agit; d'ordinaire et pour l'ordinaire déterminent précisément que c'est une habitude de faire telles choses. Dans à l'ordinaire, à produit un effet tel, que l'idée de l'habitude vous frappe peu; dans d'ordinaire et pour l'ordinaire, de et pour énoncent, font remarquer, apprennent que c'est une habitude de faire telle espèce d'actions. Avec à l'ordinaire on fait allusion à ce qui est généralement su; avec d'ordinaire et pour l'ordinaire on déclare spécialement, particulièrement, que la coutume est de faire ceci ou cela.

[blocks in formation]

ID. a Riez, Zélie, soyez badine et folâtre à votre ordinaire. » LABK.

D

ENTIÈREMENT, EN ENTIER.

« Vous désignez par là une exécution parfaite, une consommation totale, un achèvement absolu, une chose à laquelle il ne manque rien, d'où l'on n'a rien ôté, où il n'y a rien à ajouter. >> « Entièrement modifie le verbe, l'action exprimée par le verbe; en entier modifie la chose, l'objet sur lequel tombe cette action. Quand vous avez fait entièrement une chose, la chose est faite en entier; vous n'avez plus rien à y faire, et il n'y a plus rien à y faire. J'ai lu entièrement cet ouvrage, c'est-à-dire que ma lecture est achevée; je l'ai lu en entier, c'est-à-dire que j'ai lu l'ouvrage tout entier. Vous direz entièrement quand il s'agira de marquer l'étendue de votre action, et en entier lorsqu'il faudra proprement déterminer l'étendue de l'effet ou de la chose. Vous avez entièrement compté une somme; la somme est en entier dans le sac. Vous ne direz point que vous avez compté en entier; et il ne faut pas dire que la somme est entièrement à cette place. Une personne change entièrement d'avis; on ne dira pas qu'elle change en entier c'est la personne qui change et non l'avis. La peste a cessé entièrement et non en entier; la peste en elle-même ne se divise pas comme un tout qui a plusieurs parties; mais son cours ou son action a plus ou moins de force et passe par divers degrés d'affaiblissement jusqu'à son entière cessation. >> ROUB.

Il y a beaucoup d'autres choses qui, comme la peste, étant abstraites, non divisibles à la maD'autre part, pour l'ordinaire est plus rigou- nière des corps, et inappréciables sous le rapreux que d'ordinaire, conformément à la diffé- port de la quantité, permettent qu'on emploie, rence générale des prépositions de et pour; et ce quand on en parle, l'adverbe entièrement, mais qui le prouve encore, c'est que pour, et non pas jamais la phrase adverbiale en entier. « La vie de, nécessite l'emploi de l'article. Pour l'ordi- commence à s'éteindre longtemps avant qu'elle naire désigne une coutume passée en loi, une ha- s'éteigne entièrement. » BUFF. « Ma mémoire est bitude devenue règle générale; c'est une expres- entièrement éteinte.» J. J. « Dieu ne voulut pas sion de légiste et de formaliste qui nie plus posi- que son nom fût entièrement aboli. » Boss. tivement les exceptions. « La diversité des temps « Puisse la discipline ecclésiastique être entièest pour l'ordinaire commune à tous les verbes.»rement rétablie.» ID. Il en est de même à l'éP. R. « Pour l'ordinaire, les noms latins termi- gard des personnes, si on les considère quant à nés en us, s'ils ne sont que de deux syllabes, on leur âme, et non quant à leur corps: être entiène les change point, comme Cyrus, Crésus, Po-rement à la dévotion de quelqu'un (LAF), à la rus. » VAUG. Bossuet dit en parlant de la milice romaine : « Pour l'ordinaire on ne comptait plus les prisonniers parmi les citoyens et on les laissait aux ennemis. >>

merci de ses gens (J. J.); se livrer entièrement à l'étude (ACAD.); renoncer entièrement au monde (Boss.), à son salut (BOURD.); un roi entièrement tourné à la guerre (FÉN.); ignorer entièrement qu'on a une âme (MAL.). Mais on dira en entier quand il sera question de choses composées de parties et qu'on ne voudra marquer aucun rap

2o La phrase adverbiale étant composée d'un adjectif pris substantivement et de la préposition en. Entièrement, en entier; vainement, en vain; secrète-port à un sujet qui agit ou à son action. « Cette ment, en secret; publiquement, en public; etc.

Entre l'adverbe et la phrase adverbiale adjective la différence est toujours la même, quelle que soit la préposition qui, dans la phrase adverbiale, précède le substantif. En conséquence de ce qui vient d'être démontré, que cette préposition soit à ou en ou toute autre, il n'importe la phrase adverbiale adjective est toujours à l'égard de l'adverbe dans le rapport de l'objectif au subjectif, de l'être au phénomène, de ce qui est à ce qui se fait ou arrive; et c'est là seulement ce qu'il faut considérer, si on veut arriver à saisir en quoi, dans le cas dont il s'agit, l'adverbe se distingue de son explication.

SYN. FRANC.

montagne est en entier composée de telle matière. » BUFF. « Le corps de presque tous les animaux quadrupèdes est en entier couvert de poils. » ID. « Il est difficile de lire de suite, et encore plus de lire en entier vingt volumes. » LAH. VAINEMENT, EN VAIN, s'emploient en parlant d'une action, d'une tentative qui échoue.

α

Mais ils représentent l'insuccès, l'un par rapport au sujet qui perd son temps et sa peine, l'autre par rapport au but qui est manqué. C'est la distinction de Girard. « On a travaillé vainement, dit-il, lorsqu'on n'est pas récompensé de son travail, ou qu'il n'est pas agréé; on a travaillé en vain, lorsqu'on n'est pas venu à bout de

7

ce qu'on voulait faire. » Il y a donc la même dif- | férence entre ces deux expressions qu'entre entièrement et en entier. D'après cela, vainement conviendra bien avec les verbes se tourmenter, se fatiguer, s'efforcer, chercher, poursuivre, tenter, parce qu'ils marquent l'empressement, l'attente et l'espoir du sujet dont ils font ressortir d'autant plus la déception.

ront fait qu'un vain édifice qui ne subsistera pas. » ROUB. « Celui qui ne fait que des choses vides de sens, de raison, de vertu, consume vainement le temps; celui qui fait des choses utiles, mais inutilement, ou sans qu'on en profite, l'emploie en vain. » ID. Vainement se dit de ce qui manque d'arriver; et en vain de ce qui est arrivé, mais sans fruit. Vous demandez vainement la grâce, vous ne pouvez l'obtenir, malgré vos prières; vous la recevez en vain (Boss.), vous l'avez obtenue, mais vous n'en profitez pas. Des assiégés tentent vainement de fermer les portes, ils ne peuvent y réussir; ils les ferment en vain (VOLT.), si cette fermeture n'empêche pas les ennemis de pénétrer dans la place. Quand vous [agissez vainement, ce qui est vain, c'est votre action, elle échoue; quand vous agissez en vain, ce qui est vain, c'est votre œuvre, la chose faite, elle n'est pas bonne ou utile.

Toutefois Roubaud propose un nouvel aperçu qui complète le précédent plutôt qu'il ne le contredit; car il a comme celui-ci son fondement dans le caractère verbal de l'adverbe. Suivant lui, vainement regarde l'ouvrage et en vain l'objet; le premier marque l'inutilité du travail, et le second l'inutilité de la chose à laquelle | on a travaillé. Quand je n'ai pu faire ma tâche, j'ai travaillé vainement; quand j'ai fait ma tâche, mais que ce qui en résulte n'est pas bon, avantageux, profitable, j'ai travaillé en vain. Vainement est qualificatif d'un fait, en vain qualificatif d'un SECRÈTEMENT, EN SECRET servent à qualiobjet, d'une chose faite, étant telle ou telle. Quand fier des actions qui ne sont pas sues ou aperçues. on travaille vainement, il n'y a pas d'effet proMais en disant secrètement, vous présentez duit; quand on travaille en vain, l'effet produit comme secrète l'action, quant à la manière dont n'est pas ce qu'il devrait être. Dans Girard vaine-elle se passe, et en employant en secret, vous la ment est subjectif, car il fait songer au sujet qui échoue; en vain est objectif, car il rappelle essentiellement l'objet qui reste inachevé, inaccompli : ce sont les deux faces d'une même chose. Dans Roubaud vainement est subjectif, ou, si l'on veut, verbal, car il appelle l'attention sur l'ouvrage ou la tâche du moment, sur ce qui est de fait, effectif, sur ce qui dépend de l'action du sujet; en vain est objectif, car il se rapporte à ce qui résulte de l'ouvrage, à la partie qui ne dépend pas de l'action et a en soi, au fond, telle ou telle qualité.

présentez comme secrète en elle-même. Secrètement signifie, à la rigueur, de manière à n'être pas vu, de peur d'être vu faisant l'action, et ce mot suppose presque toujours l'intention, le soin d'échapper aux regards; en secret, à part, sans être vu, qualifie ce qui est, et non ce qui se fait, l'action comme étant de telle ou telle sorte. Ce que vous dites ou faites secrètement, vous en faites un secret; ce que vous dites ou faites en secret est secret. Dans Molière, Lubin dit à Georges Dandin : « On m'a enchargé de prendre garde que personne ne me vît. Je suis bien aise de faire les choses secrètement, comme on m'a recommandé. » Et un peu plus loin : « Vous êtes donc un causeur, et vous allez redire ce que l'on vous dit en secret. » Ce que l'on vous dit en secret, c'est-à-dire les choses en elles-mêmes secrètes qu'on vous dit. « Voet accusait Descartes d'être un athée, et même d'enseigner finement et secrètement l'athéisme. » MAL.

RAC.

Mais bornons-nous à considérer la théorie de Roubaud seule. Vous parlez vainement à un sourd, vous ne pouvez vous en faire entendre. Vous ne parlez pas vainement, mais en vain, à un obstiné, car vous vous en faites bien entendre, mais les choses que vous lui dites sont inefficaces, impuissantes à le persuader. Au contraire, un père réprimande vainement, mais non pas en vain son fils, qu'il veut tout d'un coup faire renoncer à des Thésée, avec Hélène uni secrètement, liaisons dangereuses, quand ce fils, sans y re- Fit succéder l'hymen à son enlèvement. noncer en effet, songe au moins à les rendre Mon cœur, je l'avouerai, lui pardonne en secret. ID. moins étroites et plus choisies. Qu'on agisse vai-Ce qui, dans ce dernier exemple, est secret, ce nement ou en vain, il y a toujours déception. n'est pas le fait du pardon, mais le pardon en luiMais, d'une part, la déception provient de l'im-même. puissance de l'effort relativement à un acte spécial, à un effet immédiat; de l'autre, elle résulte de l'insuffisance de l'action par rapport à un but ultérieur. Vous travaillez vainement à une chose, quand vous ne pouvez venir à bout de la faire; vous y travaillez en vain, si cette chose, après qu'elle aura été faite, ne doit servir de rien à un but éloigné que vous vous proposez. Là, vous échouez dans votre action; ici, dans votre dessein. Là, vous êtes déçu comme agent, et ici en raison de la qualité de l'objet ou de la chose faite. « Si le Seigneur n'élève pas l'édifice, ceux qui l'élèvent auront travaillé en vain, in vanum, comme dit le texte, et non rainement. Ils n'auront pas travaillé vainement, car ils auront élevé l'édifice; ils auront travaillé en vain, car ils n'au

« Vous faites en secret beaucoup d'actions naturelles et légitimes, que la bienséance ne permet pas de faire devant tout le monde; vous ne les faites pas secrètement, car vous ne vous en cachez pas, et tout le monde peut savoir ce que vous faites. Vous trameriez secrètement un complot : vous faites en secret une confidence. Au milieu d'un cercle, vous parlez à une personne en particulier et tout bas; vous ne lui parlez pas secrètement, car on voit que vous lui parlez vous lui parlez en secret ou à part, car on n'entend pas ce que vous lui dites. » ROUB.

On dira secrètement, en parlant des actions susceptibles de n'être pas aperçues, en tant qu'elles * ne sont pas aperçues, et dont leur auteur veut qu'elles ne soient pas aperçues pendant qu'elles

s'accomplissent; et en secret, en parlant des choses secrètes en elles-mêmes.

Qu'on dise à Josabet

Que Mathan veut ici lui parler en secret. RAC. Mathan se soucie peu qu'on le voie causer avec Josabet; ce n'est pas le fait de l'entretien qui est qualifié, mais l'entretien lui-même, les choses qui doivent en faire le sujet. Pardonner, désirer, soupirer, pleurer en secret, ce n'est point faire ces actions de manière à n'être pas vu les faisant, c'est les faire sans qu'elles soient sues ou con

nues.

PARTICULIÈREMENT, EN PARTICULIER. Spécialement. Il aime tous les arts en général et particulièrement la peinture, ou, et la peinture en particulier.

En particulier signifie simplement, entre autres; particulièrement entraîne toujours, si legère qu'elle soit, une certaine idée de préférence, de prédilection de la part du sujet, laquelle détermine celui qui parle à choisir cet art parmi les autres pour le citer. C'est pourquoi on dirait bien: Il aime tous les arts en général, mais particulièrement la peinture, et non, mais

PUBLIQUEMENT, EN PUBLIC. Devant tout le la peinture en particulier.

monde.

GRANDEMENT, EN GRAND. On pense, on agit grandement ou en grand, c'est-à-dire d'une ma

PLEINEMENT, EN PLEIN. Complétement, non Publiquement, de manière à être vu ou entendu à moitié, à demi, jusqu'à un certain point. de tout le monde; en public, de manière qu'on L'adverbe n'est usité que pour exprimer des est vu ou entendu de tout le monde. En public états subjectifs de l'âme humaine : étre pleineexprime une circonstance objective, indépendantement convaincu ou justifié. En plein ne s'emploie du sujet, considérée en elle-même, et publique- | qu'objectivement, en parlant d'objets matériels. ment, une circonstance toute relative au sujet. Le soleil donnait en plein sur nous. Donner en Aussi le premier s'emploie-t-il dans des locutions plein dans un piége. absolues, et le second dans des locutions particulières et déterminées : paraître ou parler en pu- | blic, faire ou dire telle ou telle chose publique-nière grande. ment. Quand on dit de quelqu'un qu'il a parlé ou paru en public, la proposition a un sens complet, se suffit à elle-même, vous n'en demandez pas davantage. Si on rapporte qu'il a fait ou dit telle ou telle chose publiquement, vous n'êtes pas satisfait, vous voulez savoir pourquoi il n'a pas craint d'agir ainsi, vous songez aux raisons qui l'ont porté à ne point se cacher. On ne fait point en particulier ce qu'on fait en public, ni en cachette ce qu'on fait publiquement.

DÉFINITIVEMENT, EN DÉFINITIVE. Par jugement définitif.

Grandement annonce une grandeur propre au sujet, et en grand une grandeur établie en dehors et indépendamment de lui, à laquelle il se conforme. L'un le caractérise lui-même en tant que pensant et agissant, l'autre caractérise la nature de ses pensées et de ses actions. Celui qui pense et agit grandement, répugne à s'occuper de détails; les pensées et les actions de celui qui pense et agit en grand, n'ont rien de mesquin ni de futile. Ensuite, grandement se dit plutôt en parlant du fait, de la manifestation, de l'appareil extérieur, et en grand du fond même, de la réalité. Il peut y avoir de l'ostentation, de l'enflure dans celui qui agit grandement; agir en grand suppose toujours une grandeur, une noblesse, une élévation effectives.

S III. Adverbe et phrase adverbiale substantivequalificative.

L'un caractérise la chose comme événement, comme ayant lieu. On a jugé une affaire définititement tel jour, en présence de telles personnes, après avoir longtemps différé. L'autre caractérise la chose en soi: une affaire jugée en définitive ne peut plus être remise en question. Une affaire n'est point encore jugée définitivement quand on doit faire de nouveau l'action de l'examiner, de la discuter; elle n'est point encore jugée en dé-Sagement, en sage; aveuglément, en aveugle; lâchefinitive, quand la sentence déjà rendue n'a pas en elle-même la force d'arrêter toute enquête, toute décision ultérieure. Ainsi l'adverbe est phėnoménal et extrinsèque; la phrase adverbiale est essentielle et intrinsèque.

GÉNÉRALEMENT, EN GÉNÉRAL. A peu d'exceptions près.

L'un se dit dans l'ordre des faits, des événements; il est empirique : l'autre s'emploie dans Fordre des idées; il est ontologique et logique. Opinion généralement reçue, bruit généralement répandu; homme généralement estimé; on remarque assez généralement que.... Il est vrai en général que.... Généralement parlant, les hommes à systèmes sont obstinés: on en rencontre peu qui ne le soient pas. Quand on soutient que telle forme de gouvernement conviendrait mieux aux peuples parvenus à tel degré de civilisation, on parle en général, on ne prétend pas que cela soit vrai absolument, sous tous les rapports, dans toutes les circonstances.

ment, en láche; héroïquement, en héros; philosophiquement, en philosophe; fraternellement, en frère; amicalement, en ami; saintement, en saint; sottement, en sot; cavalièrement, en cavalier; etc.

Toutes les phrases adverbiales ci-dessus examinées diffèrent de l'adverbe par un caractère d'objectivité. Ainsi se conduire avec sagesse fait penser à la sagesse de la conduite, des entreprises et des démarches; au lieu que se conduire sagement place la sagesse dans l'agent et la montre comme lui étant inhérente. De même agir à l'aveugle, c'est agir n'étant pas éclairé ou selon un mode constitué hors du sujet, à la manière aveugle; et agir aveuglément, c'est agir en aveugle qu'on est, en s'aveuglant."

Mais voici une sorte de phrase adverbiale qui est subjective comme l'adverbe lui-même, c'est-àdire modificative de l'action avec rapport à une qualité du sujet : en sage, en aveugle, en lache, etc. Est-ce donc à dire qu'il y ait alors complète identité entre l'adverbe et son explication, entre sage

il

ment et en sage, aveuglément et en aveugle, et | phénoménalité ou de la contingence. A celui qui ainsi des autres? se conduit sagement, aveuglément, sottement, arrive de se conduire ainsi; c'est un fait, quelque chose d'accidentel et de passager celui qui se conduit en sage, en aveugle, en sot, est un sage, un aveugle, un sot; c'est en lui une qualité portée au plus haut point et permanente. « Ce médecin suivait en aveugle les règles des anciens. » LES. « Catinat reçut cette mortification en philosophe, et fit admirer sa modération et sa vertu.» S. S.

Il est à remarquer d'abord que l'adverbe, quoiqu'il soit de la même famille que le substantif de la phrase adverbiale, a passé par l'adjectif dont il a dû prendre les nuances. Cela est évident pour les adverbes héroïquement, philosophiquement, | fraternellement, amicalement, comparés aux substantifs des phrases adverbiales, en héros, en philosophe, en frère, en ami. Quelquefois, il est vrai, et l'adverbe et le substantif paraissent venir ou plutôt viennent réellement de l'adjectif qui leur correspond. Exemples: Sagement, en sage; saintement, en saint; aveuglément, en aveugle; lâchement, en lache. Alors, comme toujours, il y a dans la signification de l'adverbe quelque chose qui rappelle son origine; ce qui n'a pas lieu pour le substantif. En général, l'adverbe n'existe pas par lui-même, mais en rapport nécessaire avec l'adjectif dont toujours il dérive. Il n'en est pas de Savant homme, homme savant. Habile ouvrier,

Donc enfin ce qui distingue dans tous les cas la phrase adverbiale substantive-qualificative, c'est la plénitude et la constance de la qualité qu'elle représente comme possédée par le sujet.

SYNONYMIE DES EXPRESSIONS QUI NE DIFFÈRENT
QUE PAR L'Ordre des mots.

ouvrier habile. Véritable ami, ami véritable. Tendres regards, regards tendres. Etc. Maltraiter, traiter mal. Mal parler, parler mal. Mal interpréter, interpréter mal. Mal mener, mener mal. Bien ou mal faire, faire bien ou mal. Surveiller, veiller sur.

Dans certaines langues, l'adjectif occupe, par rapport au substantif, une place invariable. En

même du substantif, partie du discours de sa nature indépendante. De là il suit que l'adverbe n'a pas la même plénitude de signification que la locution adverbiale, parce qu'il a subi l'influence ordinairement atténuative de l'adjectif. En héros, en sage, en sot, signifient, comme le héros, le sage, le sot, comme le type accompli de l'héroïsme, de la sagesse, de la sottise, c'est-à-dire héroïquement, sagement, sottement, d'une ma-allemand et en anglais, par exemple, il se met nière pleine et absolue. Mais héroïquement, sagement, sottement reviennent à, d'une manière qui tient de l'héroïsme, de la sagesse, de la sottise, | qui y a rapport, qui en donne simplement l'idée. Se conduire cavalièrement, c'est se conduire d'une manière cavalière, qui tient du cavalier, lequel est quelquefois, et sous certains rapports, brusque et hautain: c'est là, en effet, le sens de l'adjectif. En cavalier suggère l'idée du cavalier tout entier, telle qu'elle est exprimée par le substantif, et non une idée partielle, relative, approximative, comme celle que désigne l'adjectif. Ainsi, le sens de l'adverbe correspond exactement à celui de l'adjectif qui l'engendre, et de plus, comme l'ad-remplis d'exemples choisis avec discernement, jectif a la propriété de se placer avant le substantif, l'adverbe, en cela différent de la phrase adverbiale, a celle de se placer avant le verbe, ce qui modifie et l'adjectif et l'adverbe de telle sorte "qu'ils deviennent des expressions plus indéterminées, plus éloignées de la signification native et rigoureuse, expressions qu'on emploie sans conséquence et sans en bien peser la valeur '.

D'autre part, il importe de considérer dans l'adverbe un des caractères qu'il tient de son rapport avec le verbe, c'est-à-dire, non pas celui de la subjectivité dont il ne peut être question ici, puisqu'il lui est commun avec la phrase adverbiale substantive-qualificative, mais celui de la

toujours avant. Il n'en est pas de même en français : des adjectifs y précèdent constamment les noms qu'ils qualifient, tandis que d'autres, et ce sont les plus nombreux, doivent les suivre dans tous les cas. Ainsi nous disons: habile avocat, [cher ami, bonne personne, hautes pensées, dure nécessité, etc.; d'un autre côté, lettre anonyme, habit rouge, zone torride, homme altier, intrepide, inébranlable, absurde; affaire grave, lieu charmant. Auxquels convient-il d'accorder la première place et auxquels la seconde? Il faut consulter, pour le savoir, l'usage, l'oreille et les dictionnaires; ceux-ci, quand ils sont bien faits et

peuvent fournir sur ce point d'utiles instructions.

Mais, outre ces adjectifs qui n'ont qu'une place déterminée, les uns avant, les autres après leurs substantifs, il en existe dans notre langue toute une classe qui ont le privilège de se mettre tantôt avant, tantôt après. Nous disons également : savant homme, homme savant; habile ouvrier, ouvrier habile; véritable ami, ami véritable; tendres regards, regards tendres; suprême intelligence, intelligence suprême; profond savoir, savoir profond; malheureuse affaire, affaire malheureuse; magnifique appartement, appartement magnifique; absurde système, système absurde; accablante nouvelle, nouvelle, accablante; d'ar4. La phrase adverbiale substantive ressemble se conduire d'une manière sage, d'une manière qui sous ce rapport à la phrase adverbiale substantive- tient de la sagesse; se conduire avec sagesse et en qualificative. La locution avec sagesse, par exemple, sage, c'est faire preuve d'une véritable sagesse. diffère aussi de sagement par la rigueur et la pré- Toutefois avec sagesse fait considérer cette qualité cision avec lesquelles elle rappelle l'idée radicale. dans les effets, dans les œuvres, et en sage la reMais la locution en sage, outre qu'elle est subjective, présente dans l'agent; ensuite, si en sage ne reproce qui la distingue déjà d'avec sagesse, exprime la duit pas mieux, avec plus de force, l'idée de sagesse, qualité dans le sujet, non pas seulement à la ri-il la reproduit à un plus haut degré, il l'exprime gueur, mais pleinement. Se conduire sagement, c'est dans le sujet comme étant parfaite, accomplie.

dents désirs, des désirs ardents; céleste bonté, bonté céleste, etc. Or, la position de ces adjectifs devant ou après les substantifs importe si fort, qu'elle produit quelquefois deux sens, deux locutions tout à fait différentes, comme grosse femme et femme grosse, grand homme et homme grand, unique tableau et tableau unique; c'est naturellement aux dictionnaires à signaler ces variations considérables dans la valeur des termes suivant leur place respective. Mais d'autres fois, comme on a pu déjà le remarquer par les exemples, homme savant, savant homme; habile ouvrier, ourrier habile, etc., la manière de placer l'adjectif paraît indifférente, tant est légère et peu apparente la modification qu'elle apporte dans l'idée concurremment exprimée par l'adjectif et par le nom auquel il est joint. C'est alors aux synonymistes à indiquer en quoi consiste cette modification, à la faire sentir, à la mettre en lumière, et à établir une règle générale qui guide sûrement dans le choix du rang qu'il convient de donner à Fadjectif dans telle ou telle circonstance. C'est ce que nous allons essayer de faire en nous aidant des observations de Roubaud.

4° L'adjectif préposé exprime une qualification essentielle, caractéristique; c'est une épithète de nature. L'adjectif postposé exprime une qualification accessoire, accidentelle; c'est une épithète de cir

constance.

En mettant l'adjectif avant le substantif, nous les unissons si étroitement, qu'ils s'identifient en quelque sorte et deviennent comme inséparables, la chose ne se concevant plus sans sa qualité.

sont formés tant de mots composés d'un adjectif et d'un substantif, encore bien distingués l'un de l'autre, tels que petit-maître, gentilhomme, sagefemme, si ce n'est parce que la position des adjectifs les rendait caractéristiques et singulièrement propres à faire corps avec le substantif? Et n'est-ce pas à cause de l'union intime établie par la seule position de l'adjectif entre lui et le substantif, qu'on se permet de les envisager et de les traiter comme une seule expression complexe en les faisant précéder ou suivre d'un nouvel adjectif: parfait honnête homme (RAC.); l'honneur qu'on nous rend pour de véritables actions vertueuses (Boss.); le vrai honnête homme (LAROCH.); cepauvre honnête homme, infortuné grand homme (VOLT.); ce grand homme sec, un savant homme aimable? Au contraire, la science de l'homme savant ne lui est qu'ajoutée; c'est une qualité particulière qui s'en détache aisément, et qui n'indique pas l'idée principale et prédominante qu'on se fait de lui.

Si, dans le courant d'un discours, je veux caractériser d'un seul mot Démosthène, je l'appelle un éloquent orateur; je l'appellerai orateur éloquent, si mon dessein est de détailler ses qualités particulières, si son éloquence est l'une des faces sous lesquelles je le présente successivement. On est habile homme en général, absolument, sous tous les rapports. On dit que le président de Novion est habile homme. » FÉN. «Aristote fut le premier philosophe de son temps et le plus habile homme qui ait jamais été. » ROLL. Dans l'occasion on agit en homme habile. « Octave se conduisit avec Cicéron en homme habile: il le flatta, le loua, le consulta. » MONTESQ. « Molière se conduisit en homme habile (pour faire jouer avec succès le Misanthrope). » LAH.

Dans le savant homme, vous considérez surtout et vous présentez l'homme comme savant; sa science fait corps avec lui, fait partie de sa substance. Au Dites d'un homme que c'est un savant homme, contraire, l'adjectif postposé n'est jamais au sub- d'un ouvrage que c'est un excellent ouvrage, stantif que comme l'accident à l'égard de la sub-d'un chrétien que c'est un parfait chrétien, vous stance; son idée n'est que secondaire, indicative. Dans l'homme savant, vous remarquez et faites remarquer la science comme un fait, et non comme une qualité inhérente à sa personne. Le savant homme est constitué savant, l'homme satant est reconnu savant; un savant homme est un savant, un homme savant n'est que savant.

Lorsque les consuls romains avaient eu des succès, leurs soldats les saluaient empereurs; et si le sénat leur confirmait ce titre, ils pouvaient se flatter d'obtenir le triomphe. Mais dès qu'ils avaient triomphé, ils perdaient le titre d'empereur ainsi que le commandement. Or ce titre, qui n'était que passager dans les consuls, devint perpétuel dans César, et on y ajouta, pour prérogative, qu'il disposerait de toutes les armées avec un pouvoir absolu. Pour étendre ainsi la signification du mot, on le mit devant et non plus après le nom du prince, et on dit : Imperator C. J. Casar, au lieu de dire, comme on avait fait jusqu'alors, C. J. Cæsar imperator (COND.).

n'avez plus rien à ajouter, et en effet on ajoute rarement d'autres qualifications à celles-là, parce qu'on a déjà fait connaître du sujet sa qualité essentielle et fondamentale. Mais on dira bien, c'est un homme savant, généreux, poli: c'est un ouvrage excellent, profond, lumineux : c'est un chrétien parfait, tolérant, sociable, instruit.

20 L'adjectif préposé exprime une qualification déjà établie, connue, incontestée; il est analytique. Postposé, il exprime une qualification nouvelle, une union d'idées faite à l'instant même; il est synthétique.

Les connaissances que nous possédons et les jugements que nous portons sont de deux sortes, les uns analytiques, les autres synthétiques, les uns par lesquels nous développons ce que nous savons, nous tirons d'un concept ce qui y est contenu, les autres par lesquels nous ajoutons à ce que nous savons ce que nous apprenons; ou bien, en considérant la chose, non pas relativement à

La science du savant homme tient à lui, est incorporée à lui, parce que, dans le langage, l'ad-nous, mais relativement à ceux à qui nous parjectif savant, placé avant homme, se fond avec lui et devient partie de lui-même; ce n'est plus qu'un seul mot composé. En effet, comment se

lons, les uns par lesquels nous énonçons ce qui est su ou connu, nous nous exprimons en gens qui savent, s'adressant à des gens qui savent, et

« PreviousContinue »