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OEUVRES COMPLÈTES

DE

JOSEPH DE MAISTRE

PROPRIÉTÉ DES ÉDITEURS

Lyon. Imprimerie VITTE & PERRUSSEL, TUO

Sala, 59.

DE

J. DE MAISTRE

NOUVELLE ÉDITION

Contenant ses uvres posthumes et toute sa Correspondance inédite

TOME CINQUIÈME

1

Les Soirées de Saint-Pétersbourg. (Suite et fin.)

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LIBRAIRIE GÉNÉRALE CATHOLIQUE et CLASSIQUE

VITTE ET PERRUSSEL, ÉDITEURS-IMPRIMEURS

3 et 5, Place Bellecour

1884

ce terrible sujet s'empare de toute mon attention, et jamais je ne l'ai assez approfondi.

Le premier mal que je vous en dirai vous étonnera sans doute; mais pour moi c'est une vérité incontestable: «L'homme étant donné avec sa raison, ses sentiments et ses affections, il n'y a pas moyen d'expliquer comment la guerre est possible humainement. » C'est mon avis très-réfléchi. La Bruyère décrit quelque part cette grande extravagance humaine avec l'énergie que vous lui connaissez. Il y a bien des années que j'ai lu ce morceau; cependant je me le rappelle parfaitement : il insiste beaucoup sur la folie de la guerre; mais plus elle est follc, moins elle est explicable.

LE CHEVALIER.

Il me semble cependant qu'on pourrait dire, avant d'aller plus lain; que les rois vous commandent et qu'il faut marcher.

LE SÉNATEUR.

Oh! pas du tout, mon cher chevalier, je vous en assure. Toutes les fois qu'un homme, qui n'est pas absolument un sot, vous présente une question comme très-problématique après y avoir suffisamment songé, défiez-vous de ces solutions subites qui s'offrent à l'esprit de celui qui s'en est ou légèrement, ou point du tout occupé : ce sont ordinairement de simples aperçus sans consistance, qui n'expliquent rien et ne tiennent pas devant la réflexion. Les souverains no com

mandent efficacement et d'une manière durable que dans le cercle des choses avouées par l'opinion; et cc cercle, ce n'est pas cux qui le tracent. Il y a dans tous les pays des choses bien moins révoltantes que la guerre, et qu'un souverain ne se permettrait jamais d'ordonner. Souvenez-vous d'une plaisanterie que vous me fites un jour sur une nation qui a une académie des sciences, un observatoire astronomique et un calendrier faux. Vous m'ajoutiez, en prenant votre sérieux, ce que vous aviez entendu dire à un homme d'état de ce pays: Qu'il ne serait pas sûr du tout de vouloir innover sur ce point; et que sous le dernier gouvernement, si distingué par ses idées libérales (comme on dit aujourd'hui), on n'avait jamais osé entreprendre ce changement. Vous me demandâtes même ce que j'en pensais. Quoi qu'il en soit, vous voyez qu'il y a des sujets bien moins essentiels que la guerre, sur lesquels l'autorité sent qu'elle ne doit point se compromettre; et prenez garde, je vous prie, qu'il ne s'agit pas d'expliquer la possibilité, mais la facilité de la guerre. Pour couper des barbes, pour raccourcir des habits, Pierre Ier cut besoin de toute la force de son invincible caractère : pour amener d'innombrables légions sur le champ de bataille, même à l'époque où il était battu pour apprendre à battre, il n'eut besoin, comme tous les autres souverains, que de parler. Il y a cependant dans l'homme, malgré son immense dégradation, un élément d'amour qui le porte vers ses semblables : la compassion lui est aussi naturelle que la respiration. Par quelle magie inconcevable est-il toujours prêt, au pre

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