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rompit la Marquise, n'avez-vous point soupçonné qu'on se moquoit en vous faisant cette belle relation? Comment la nation se perpétueroit-elle ? On ne s'est point moqué, repris-je d'un grand sang froid, tout ce que je vous dis est certain, et la nation se perpétue. Ils ont une reine qui ne les mène point à la guerre, qui ne paroît guêre se mêler des affaires de l'état, et dont toute la royauté consiste en ce qu'elle est féconde, mais d'une fécondité étonnante. Elle fait des milliers d'enfans; aussi ne fait-elle autre chose. Elle a un grand palais partagé en une infinité de chambres qui ont toutes un berceau préparé pour un petit prince, et elle va accoucher dans chacune de ces chambres l'une après l'autre, toujours accompagnée d'une grosse cour qui lui applaudit sur ce noble privilége dont elle jouit à l'exclusion de tout son peuple.

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Je vous entends, Madame, sans que vous parliez. Vous demandez où elle a pris des amans, ou pour parler plus honnêtement, des maris. Il y des reines en Orient et en Afrique qui ont publiquement des sérails d'hommes; celle-ci apparemment en a un, mais elle eu fait grand mystère; et si c'est marquer plus de pudeur, c'est aussi agir avec moins de dignité. Parmi ces Arabes qui sont toujours en action, soit chez eux, soit au dehors, on reconnoît quelques étrangers en fort petit nombre, qui ressemblent beaucoup pour la figure

aux naturels du pays, mais qui d'ailleurs sont fort paresseux, qui ne sortent point, qui ne font rien, et qui, selon toutes les apparences, ne seroient pas soufferts chez un peuple extrêmement actif, s'ils n'étoient destinés aux plaisirs de la reine, et à l'important ministère de la propagation. En effet, si malgré leur petit nombre ils sont les pères des dix mille enfans, plus ou moins, que, la reine met au monde, ils méritent bien d'être quittes de tout autre emploi, et ce qui persuade bien que ç'a été leur unique fonction, c'est qu'aussitôt' qu'elle est entièrement remplie, aussitôt que la reine a fait ses dix mille couches, les Arabes vous tuent sans miséricorde ces malheureux étrangers devenus inutiles à l'état.

Est-ce tout? dit la Marquise. Dieu soit loué. Rentrons un peu dans le sens commun, si nous pouvons. De bonne foi où avez-vous pris tout ce roman-là? Quel est le poëte qui vous l'a fourni? Je vous répète encore, lui répondis-je, que ce n'est point un roman. Tout cela se passe ici sur notre terre, sous nos yeux. Vous voilà bien étonnée, " oui, sous nos yeux; mes Arabes ne sont que des abeilles, puisqu'il faut vous le dire.

Alors je lui appris l'histoire naturelle des abeilles, dont elle ne connoissoit guère le nom. Après quoi vous voyez bien, poursuivis-je, qu'en transportant seulement sur d'autres planètes des choses qui se passent sur la nôtre, nous imagi

nerions des bizarreries qui paroîtroient extravagantes, et seroient cependant fort réelles, et nous en imaginerions sans fin; car afin que vous le sachiez, Madame, l'histoire des insectes en est toute pleine. Je le crois aisément, répondit-elle. N'y eût-il que les vers à soie, qui me sont plus connus que n'étoient les abeilles, ils nous fourniroient des peuples assez surprenans, qui se métamorphoseroient de manière à n'être plus du tout les mêmes, qui ramperoient pendant une partie de leur vie, et voleroient pendant l'autre ; et que sais-je moi? cent mille autres merveilles qui feront les différens caractères, les différentes coutumes de tous ces habitans inconnus. Mon imagination travaille sur le plan que vous m'avez donné, et je vais même jusqu'à leur composer des figures. Je ne vous les pourrois décrire, mais je vois pourtant quelque chose. Pour ces figureslà, répliquai-je, je vous conseille d'en laisser le soin aux songes que vous aurez cette nuit. Nous verrons demain s'ils vous auront appris comment sont faits les habitans de quelque planète.

QUATRIÈME SOIR.

Particularités des Mondes de Vénus, de Merde Mars, de Jupiter et de Saturne.

cure,

LES

Es songes ne furent point heureux, ils représentèrent toujours quelque chose qui ressembloit à ce que l'on voit ici. J'eus lieu de reprocher à la Marquise ce que nous reprochent à la vue de nos tableaux, de certains peuples qui ne font jamais que des peintures bizarres et grotesques. Bon! nous disent-ils, cela est tout fait comme des hommes, il n'y a pas là d'imagination. Il fallut donc se résoudre à ignorer les figures des habitans de toutes ces planètes, et se contenter d'en deviner ce que nous pourrions, en continuant le voyage des mondes que nous avions commencé. Nous en étions à vénus. On est bien sûr, dis-je à la Marquise, que vénus tourne sur elle-même, mais on ne sait pas bien en quel temps, ni par conséquent combien ses jours durent. Pour ses années elles ne sont que de près de huit mois, puisqu'elle tourne en ce temps-là autour du soleil. Elle est grosse comme la terre, et par conséquent la terre paroît à vénus de la même grandeur dont

vénus nous paroît. J'en suis bien aise, dit la Marquise, la terre pourra être pour vénus l'étoile du berger et la mère des amours, comme vénus l'est pour nous. Ces noms - là ne peuvent convenir qu'à une petite planète qui soit jolie, claire, brillante, et qui ait un air galant. J'en conviens, répondis-je; mais savez - vous ce qui rend vénus si jolie de loin? C'est qu'elle est fort affreuse de près. On a vu avec les lunettes d'approche que ce n'étoit qu'uu amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues et apparemment fort sèches; et par cette disposition, la surface d'une planète est la plus propre qu'il se puisse, à renvoyer la lumière avec beaucoup d'éclat et de vivacité. Notre terre dont la surface est fort unie auprès de celle de vénus, et en partie couverte de mers, pourroit bien n'être pas si agréable à voir de loin. Tant pis, dit la Marquise, car ce seroit assurément un avantage et un agrément pour elle que de présider aux amours des habitans de vénus; ces gens - là doivent bien entendre la galanterie. Oh! sans doute, répondis-je, le menu peuple de vénus n'est composé que de Céladons et de Silvandres, et leurs conversations les plus communes valent les plus belles de Clélie. Le climat est très-favorable aux amours. Vénus est plus proche que nous du soleil, et en reçoit une lumière plus vive et plus de chaleur. Elle est à peu près aux deux tiers de la distance du soleil à la terre.

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