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rieusement de se justifier, et dit qu'il ne traitoit la reine avec des respects si profonds et si peu ordinaires chez les morts, qu'afin de réparer le peu de politesse qu'il avoit pour elle dans les nouveaux Dialogues; qu'il y alloit de son honneur à ne pas laisser croire qu'il eût su si peu vivre; qu'il ne vouloit point qu'on le prêt pour un homme qui pût reprocher à des reines en propres termes, qu'elles n'avoient plus leur virginité. C'est sur cela, continua-t-il, que nous étions tout-à-l'heure en contestation, Elisabeth et moi. Je voulois demander raison pour elle de l'injure qu'on lui a faite; mais elle s'obstine à dire qu'une femme doit toujours éviter ces sortes d'éclaircissemens, et qu'il vaut bien mieux dissimuler l'outrage, que d'en tirer réparation. Vous feriez bien mieux, interrompit brusquement le comte de Leicester, de demander raison de Finjustice qu'on vous a faite à vous-même. On veut que vous disiez à Elisabeth, que la virginité étoit la plus douteuse de toutes ses qualités; et en même temps on veut que vous vous plaigniez de ce qu'elle ne vous épousa pas. Ce n'est pas être trop poli pour un prince, ni trop délicat pour un amant. Ah! s'écria une précieuse nouvellement morte, soupçonner Elisabeth de quelques actions indécentes! Cela se peut-il? Elisabeth ne trouvoit rien de plus joli que de former des desseins, de faire des préparatifs, et de

n'exécuter rien. Elisabeth faisoit peut-être quelqués pas dans le pays de Tendre; mais assurément elle se gardoit bien d'aller jusqu'au bout. Et n'est-ce pas à elle que nous devons cette maxime admirable? Ce qu'on obtient vaut toujours moins qu'il ne valoit, quand on ne faisoit que l'espérer; et les choses ne passent point de notre imagination à la réalité, qu'il n'y ait de la perte.

Que vous êtes peu délicat! interrompit Smindiride, qui ne vaut guère mieux qu'une précieuse. Vous croyez que l'imagination augmente les plaisirs, c'est tout le contraire. Hélas! que les hommes sont à plaindre! Leur condition naturelle leur fournit peu de choses agréables, et leur raison leur apprend à en goûter encore moins. Vous êtes fou, dit un gros Hollandais, si vous vous plaignez de la condition naturelle des hommes, et du peu de choses agréables qu'elle leur fournit. Ce sont les plaisirs simples et communs qui sout les plus doux. Savez-vous combien Elisabeth fut flattée de cette expression à la hollandoise, dont je me servis pour la louer. Je n'étois point un homme qui raffmât beaucoup sur les plaisirs; je ne savois sur cette matière-là que ce que tout le monde sait; cependant la reine d'Angleterre fut contente de ma science et à mon départ j'eus un beau présent.

Je crains bien, dit le Crotoniate Milon, en

s'adressant à la précieuse qui avoit parlé,' que' ce gros garçon - là n'ait tiré la reine hors de ses plaisirs d'imagination. Il a bien la mine..... Taisez-vous, dit Pluton tout en colère. La tête me tourne. Je ne sais plus où j'en suis. Je ne Sais plus de quoi il est question. Je n'entends rien à leur dispute sur les plaisirs. Je n'entends rien non plus au caractère d'Elisabeth. Elisabeth ne veut que des préparatifs et des espérances. Et puis voilà Elisabeth qui a des goûts plus solides avec les Hollandois. On reproche à cette personne, qui ne veut jamais de réalité, que sa virginité est fort douteuse, et puis malgré cela on voudroit l'avoir épousée. On dit que les plaisirs sont dans l'imagination; on dit qu'ils n'y sont pas; on dit qu'il faut raffiner et chimériser sur les plaisirs; on dit que les plus simples et les plus communs sont les meilleurs. Qui me tirera de tous ces embarras-là?

Ce ne sera pas moi, répondit Eaque. Ni moš non plus, dit Rhadamante. Nous aurions bien moins de peine à juger nos criminels, qu'à vider les différents de tous ces discoureurs que vous avez fait venir ici, et qui ne conviennent jamais de rien, ni les uns avec les autres, ni avec euxmêmes. Hé bien, reprit brusquement Pluton, puisque vous ne savez tous deux par où en prendre, j'ordonne:

Que le duc d'Alençon, Elisabeth d'Angleterre,

Smindiride, et le Hollandois, ne se trouveront jamais dans un méme livre.

A peine Pluton avoit prononcé ces dernières paroles, que Mercure entra dans l'assemblée. On voyoit bien à son air qu'il apportoit quelques nouvelles; et en effet, sitôt qu'il fut arrivé, il dit qu'il venoit de dessus la terre et que les vivaus lui avoient donné une commission dont il vouloit s'acquitter. Cette commission étoit une lettre pour les morts, dont ils l'avoient chargé; et il la lut tout haut en ces termes.

LETTRE

DES VIVANS

AUX MORTS.

TRÈS-HONORÉS MORTS,

Il court parmi nous des Dialogues que l'on a mis sous votre nom, parce qu'on y a traité des matières si importantes, que des vivans n'eussent pas pu avoir ensemble de ces sortes d'entretiens, eux qui ne disent que des choses inutiles. Nous avons examiné fort sérieusement de quoi nous étions capables; et avec tout le respect que nous nous devons, nous avons trouvé que dans nos conversations ordinaires nous en dirions bien autant que ce que l'on vous fait dire. Vos raisonnemens ne nous ont pas paru si sublimes, que nous désespérassions d'y pouvoir atteindre. Les femmes particulièrement croient qu'on peut être pleine de vie et de santé, et avoir autant d'esprit que Didon et

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