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apparence. Je ne suis revenu de ma philosophie que depuis que je suis ici.

Le Faux Dé. Il n'importe, votre bonne foi n'empêchoit pas que vous n'eussiez besoin de hardiesse pour assurer hautement que vous aviez enfin découvert la vérité. On a déjà été trompé par tant d'autres qui l'assuroient aussi, que quand il se présente de nouveaux philosophes, je m'étonne que tout le monde ne dise d'une voix : Quoi! est-il encore question de philosophe et de philosophie?

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DES. On a quelque raison d'être toujours trompé par les promesses des philosophes. Il se découvre de temps en temps quelques petites vérités peu importantes, mais qui amusent. Pour ce qui regarde le fond de la philosophie, j'avoue que cela n'avance guère. Je crois aussi que trouve quelquefois la vérité sur des articles considérables; mais le malheur est qu'on ne sait pas qu'on l'ait trouvée; car la philosophie (je crois qu'un mort peut dire tout ce qu'il veut ) ressemble à un certain jeu à quoi jouent les enfans, où l'un d'entre eux qui a les yeux bandés, court après les autres. S'il en attrape quelqu'un il est obligé de le nommer: s'il ne le nomme pas, il faut qu'il lâche sa prise et recommence à courir. Il en va de même de la vérité. Il n'est pas que nous autres philosophes, quoique nous ayons les yeux bandés, nous ne l'attra

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pions quelquefois; mais quoi! nous ne lui vons pas soutenir que c'est elle que nous avons attrapée, et dès ce moment-là elle échappe.

LE FAUX DÉ. Il n'est que trop visible qu'elle n'est point faite pour nous. Aussi vous verrez qu'à la fin on ne songera plus à la trouver; on perdra courage, et on fera bien.

DES. Je vous garantis que votre prédiction n'est pas bonne. Les hommes ont un courage incroyable pour les choses dont ils sont une fois entêtés. Chacun croit que ce qui a été refusé à tous les autres lui est réservé. Dans vingt-quatre mille ans il viendra des philosophes qui se vanteront de détruire toutes les erreurs qui auront régné pendant trente mille, et il y aura des gens qui croiront qu'en effet on ne fera alors que commencer à ouvrir les yeux.

LE FAUX DE. Quoi! c'étoit hasarder infiniment, que de vouloir tromper les Moscovites la troisième fois; et à vouloir tromper tous pour les hommes pour la trente millième, il n'y aura rien à hasarder. Ils sont donc encore plus dupes que les Moscovites!

DES. Oui, sur le chapitre de la vérité. Ils en sont plus amoureux que les Moscovites ne l'étoient du nom de Démétrius.

LE FAUX DÉ. Si j'avois à recommencer, je ne voudrois point être faux Démétrius, je me ferois philosophe; mais si on venoit à se dégoûter de

la philosophie et à se désespérer de pouvoir dé couvrir la vérité...... car je craindrois toujours cela.

DES. Vous aviez bien plus sujet de craindre quand vous étiez prince. Croyez que les hommes ne se décourageront point; cela ne leur arrivera jamais. Puisque les modernes ne découvrent pas la vérité plus que les anciens, il est bien juste qu'ils aient au moins autant d'espérance de la découvrir. Cette espérance est toujours agréable, quoique vaine. Si la vérité n'est due ni aux uns ni aux autres, du moins le plaisir de la même erreur leur est dû.

DIALOGUE V.

LA DUCHESSE DE VALENTINOIS, ANNE DE BOULEN.

A. DE BOULEN.

J'ADMIRE votre bonheur. Il semble

que SaintValier, votre père, ne commette un crime que pour faire votre fortune. Il est condamné à perdre la tête, vous allez demander sa grâce au roi; être jolie, et demander des grâces à un jeune

prince, c'est s'engager à en faire; et aussitôt yous voilà maîtresse de François 1er.

LA DUC. Le plus grand bonheur que j'aie eu en cela, est d'avoir été amenée à la galanterie par l'obligation où est une fille de sauver la vie à son père. Le penchant que j'y avois pouvoit aisément être caché sous un prétexte si honnête et si favorable.

A. DE BOU. Mais votre goût se déclara bientôt par les suites; car vos galanteries durèrent plus long-temps que le péril de votre père.

LA Duc. Il n'importe. En fait d'amour, toute l'importance est dans les commencemens. Le monde sait bien que qui fait un pas, en fera davantage; il ne s'agit que de bien faire ce premier pas. Je me flatte que ma conduite n'a pas mal répondu à l'occasion que la fortune m'offrit, et que je ne passerai pas dans l'histoire pour n'avoir été que médiocrement habile. On admiroit que le connétable de Montmorency eût été le ministre et le favori de trois rois, mais j'ai été la maîtresse de deux, et je prétends que c'est davantage.

A. DE BOU. Je n'ai garde de disconvenir de votre habileté; mais je crois que la mienne l'a surpassée. Vous vous êtes fait aimer long-temps; mais je me suis fait épouser. Un roi vous rend des soins, tant il a le cœur touché, cela ne lui coûte rien. S'il vous fait reine, ce n'est qu'à l'extrémité, et quand il n'a plus d'espérance.

LA DUC. Vous faire épouser n'étoit pas une grande affaire; mais me faire toujours aimer, en étoit une. Il est aisé d'irriter l'amour quand on ne le satisfait pas; et fort mal aisé de ne pas l'éteindre quand on le satisfait. Enfin vous n'aviez. qu'à refuser toujours avec la même sévérité, et il falloit que j'accordasse toujours avec de nouveaux agrémens.

A. DE BOU. Puisque vous me presscz si fort avec vos raisons, il faut que j'ajoute à ce que j'ai dit, que si je me suis fait épouser, ce n'est pas pour avoir eu beaucoup de vertu.

LA DUC. Et moi si je me suis fait aimer trèsconstamment, ce n'est pas pour avoir eu beaucoup de fidélité.

A. DE BOU. Je vous dirai donc encore, que je n'avois ni vertu, ni réputation de vertu.

LA DUC. Je l'avois compris ainsi; car j'eusse compte la réputation pour la vertu même.

A. DE BOU. Il me semble que vous ne devez pas mettre au nombre de vos avantages des infidélités que vous fîtes à votre amant, et qui, selon toutes les apparences, furent secrètes. Elles ne peuvent servir à relever votre gloire. Mais quand je commençai à être aimée du roi d'Angleterre, le public qui étoit instruit de mes aventures, ne me garda point le secret, et cependant je triomphai de la renommée.

LA DUC. Je vous prouverois peut-être, si je

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