Page images
PDF
EPUB

avez étudié les vertus des génies, et moi j'ai étudié les sottises des hommes.

PA. Voilà une belle étude! Ne sait-on pas bien les hommes sont sujets à faire assez de sottises?

que

Mo. On le sait en gros et confusément, mais il en faut venir aux détails, ct alors on est surpris de l'étendue de cette science.

PA. Et à la fin, quel usage en faisiez-vous? Mo. J'assemblois dans un certain lieu le plus grand nombre de gens que je pouvois, et là je leur faisois voir qu'ils étoient tous des sots.

PA. Il falloit de terribles discours pour leur persuader une pareille vérité.

Mo. Rien n'est plus facile. On leur prouve leurs sottises, sans employer de grands tours d'éloquence, ni des raisonnemens bien médités. Ce qu'ils font est si ridicule, qu'il ne faut qu'on faire autant devant eux, et vous le voyez aušsitôt crever de rire.

PA. Je vous entends, vous étiez comédien. Pour moi, je ne conçois pas le plaisir qu'on prend à la comédie. On y va rire des mœurs qu'elle représente, et que ne rit-on des mœurs mêmes?

Mo. Pour rire des choses du monde, il faut en quelque façon en être dehors, et la comédie vous en tire. Elle vous donne tout en spectacle, comme si vous n'y aviez point de part.

PA. Mais on rentre aussitôt dans ce tout dont on s'étoit moqué, et on recommence à en faire partie.

Mo. N'en doutez pas. L'autre jour en me divertissant, je fis ici une fable sur ce sujet. Un jeune oison voloit avec la mauvaise grâce qu'ont tous ceux de son espèce quand ils volent; et pendant ce vol d'un moment, qui ne l'élevoit qu'à un pied de terre, il insultoit au reste de la basse-cour. Malheureux animaux, disoit-il, je vous vois au-dessous de moi, et vous ne savez pas fendre ainsi les airs. La moquerie fut courte, l'oison retomba dans le même temps.

PA. A quoi donc servent les réflexions que la comédie fait faire, puisqu'elles ressemblent au vol de cet oison, et qu'au même instant on retombe dans les sottises communes?

Mo. C'est beaucoup que de s'être moqué de soi; la nature nous y a donné une merveilleuse facilité pour nous empêcher d'être la dupe de nous-mêmes. Combien de fois arrive-t-il que dans le temps qu'une partie de nous fait quelque chose avec ardeur et avec empressement, une autre partie s'en moque? Et s'il en étoit besoin même, on trouveroit encore une troisième partie qui se moqueroit des deux premières ensemble. Ne diroit-on pas que l'homme soit fait de pièces rapportées?

PA. Je ne vois pas qu'il y ait matière sur tout

cela, d'exercer beaucoup son esprit. Quelques légères réflexions, quelques plaisanterics souvent mal fondées, ne méritent pas une grande estime; mais quels efforts de méditation ne faudroit-il pas faire pour traiter des sujets plus relevés?

Mo. Vous revenez à vos génies; et moi je ne reconnois que mes sots. Cependant, quoique je n'aie jamais travaillé que sur ces sujets si exposés aux yeux de tout le monde, je puis vous prédire que mes comédies vivront plas que vos sublimes ouvrages. Tout est sujet aux changemens de la mode, les productions de l'esprit ne sont pas au dessus de la destinée des habits. J'ai vu je ne sais combien de livres et de genres d'écrire enterrés avec leurs auteurs, ainsi que chez de certains peuples on enterre avec les morts les choses qui leur ont été les plus précieuses pendant leur vie. Je connois parfaitement quelles peuvent être les révolutions de l'empire des lettres, et avec tout cela je garantis la durée de mes pièces. J'en sais bien la raison. Qui veut peindre pour l'immortalité, doit peindre des sots.

DIALOGUE III..

MARIE STUART, DAVID RICCIO.

D. RICCIO.

Non, je ne me consolerai jamais de ma mort. M. STUART. Il me semble cependant qu'elle fut assez belle pour un musicien. Il fallut que les principaux seigneurs de la cour d'Ecosse, et le roi mon mari lui-même, conspirassent contre toi; et l'on n'a jamais pris plus de mesures, ni fait plus de façon pour faire mourir aucun prince.

D. Ric. Une mort si magnifique n'étoit point faite pour un misérable joueur de luth, que la pauvreté avoit envoyé d'Italie en Ecosse. Il eût mieux valu que vous m'eussiez laissé passer doucement mes jours à votre musique, que de m'élever dans un rang de ministre d'état, qui a sans doute abrégé ma vie.

4

M. STUART. Je n'eusse jamais cru te trouver si peu sensible aux grâces que je t'ai faites. Etoit-ce une légère distinction que de te recevoir tous les jours seul à ma table? Crois-moi,

[ocr errors]

Riccio, une faveur de cette nature ne faisoit point de tort à ta réputation.

D. Ric. Elle ne me fit point d'autre tort, sinon qu'il fallut mourir pour l'avoir reçue trop souvent. Hélas! je dînois tête à tête avec vous comme à l'ordinaire, lorsque je vis entrer le roi accompagné de celui qui avoit été choisi pour être un de mes meurtriers, parce que c'étoit le plus affreux Ecossois qui ait jamais été, et qu'une longue fièvre quarte dont il relevoit l'avoit encore rendu plus effroyable. Je ne sais s'il me donna quelques coups; mais autant qu'il m'en souvient, je mourus de la seule frayeur que sa vue me fit.

M. STUART. J'ai rendu tant d'honneur à ta mémoire, que je t'ai fait mettre dans le tom beau des rois d'Ecosse.

D. Ric. Je suis dans le tombeau des rois d'Ecosse?

M. STUART. Il n'est rien de plus vrai.

D. RIC. J'ai si peu senti le bien que cela m'a fait, que vous m'en apprenez maintenant la première nouvelle. O mon luth! faut-il que je t'aie quitté, pour m'amuser à gouverner un royaume?

M. STUART. Tu te plains? Songe que ma mort a été mille fois plus malheureuse que la tienne.

D. Ric. Oh! vous étiez née dans une condi

« PreviousContinue »