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vous étiez tuée un peu tard; que votre mort en cût valu mille fois davantage, si vous n'eussiez pas attendu les derniers efforts de Tarquin; mais qu'apparemment vous n'aviez pas voulu vous tuer à la légère, et sans bien savoir pourquoi. Enfin, il paroît qu'on ne vous a rendu justice qu'à regret; et à moi on me l'a rendue avec plaisir. Peut-être a-ce été parce que vous couriez trop après la gloire, et que moi je la laissois venir, sans souhaiter même qu'elle vînt. Lu. Ajoutez que vous faisiez tout ce qui vous étoit possible pour l'empêcher de venir.

B. PLOM. Mais n'est-ce rien que d'être modeste? Je l'étois assez pour vouloir bien que ma vertu fût inconnue. Vous, au contraire, vous mîtes toute la vôtre en étalage et en pompe. Vous ne voulûtes même vous tuer que dans une assemblée de parens. La vertu n'est-elle pas contente du témoignage qu'elle se rend à ellemême? N'est-il pas d'une grande âme de mépriser cette chimère de gloire?

Lu. Il s'en faut bien garder. Ce seroit une sagesse trop dangereuse. Cette chimère - là est ce qu'il y a de plus puissant au monde. Elle est l'âme de tout, on la préfère à tout; et voyez comme elle peuple les Champs-Elisées : la gloire nous amène ici plus de gens que la fièvre. Je suis du nombre de ceux qu'elle y a amenés; j'en puis parler.

B. PLOM. Vous êtes donc bien prise pour dupe, aussi-bien qu'eux, vous qui êtes morte de cette maladie-là? Car du moment qu'on est ici-bas, toute la gloire imaginable ne fait aucun bien.

Lu. C'est là un des secrets du lieu où nous les vivans le sachent. B. PLOM. Quel mal y auroit-il qu'ils se défissent d'une idée qui les trompe?

sommes; il ne faut pas que

Lu. On ne feroit plus d'actions héroïques. B. PLOм. Pourquoi? On les feroit par la vue de son devoir. C'est une vue bien plus noble. Elle n'est fondée que sur la raison.

Lu. Et c'est justement ce qui la rend trop foible. La gloire n'est fondée que sur l'imagination, et elle est bien plus forte. La raison elle-même n'approuveroit pas que les hommes ne se conduisissent que par elle; elle sait trop que le secours de l'imagination lui est nécessaire. Lorsque Curtius étoit sur le point de se sacrifier pour sa patrie, et de sauter tout armé, et à cheval, dans ce gouffre qui s'étoit ouvert au milieu de Rome, si on lui cût dit: Il est de votre devoir de vous jeter dans cet abime; mais soyez sûr que personne ne parlera jamais de votre action, de bonne foi, je craius bien que Curtius n'eût fait retourner son cheval en arrière. Pour moi je ne réponds point que je me fusse tuée, si je n'eusse envisagé que mon devoir. Pourquoi me tuer? J'eusse cru que

mon devoir n'étoit point blessé par la violence qu'on m'avoit faite, tout au plus j'eusse cru le satisfaire par des larmes; mais pour se faire un nom, il falloit se percer le sein, et je me le perçai.

B. PLOM. Vous dirai-je ce que j'en pense? J'aimerois autant qu'on ne fit point de grandes actions, que de les faire par un principe aussi faux que celui de la gloire.

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Lu. Vous allez un peu trop vite. Au fond, tous les devoirs se trouvent remplis, quoiqu'on ne les remplisse pas par la vue du devoir; toutes les grandes actions qui doivent être faites par les hommes, se trouvent faites enfin l'ordre que la nature a voulu établir dans l'univers, va toujours son train; ce qu'il y a à dire, c'est que, ce que la nature n'auroit pas obtenu de notre raison, elle l'obtient de notre folie.

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Au! pourquoi est-ce fci la première fois que

je vous vois? Pourquoi ai-je perdu toute la peine que j'ai prise pendant ma vie à vous faire chercher? J'eusse eu dans mon sérail la plus belle personne de l'Italie, et à présent je ne vois qu'une ombre qui n'a point de traits, et qui ressemble à toutes les autres.

J. DE GONZAGUE. Je ne puis trop vous remercier de l'amour que vous eûtes pour moi,

sur la réputation que j'avois d'être belle. Cela même redoubla beaucoup cette réputation, et je vous dois les plus agréables momens que j'aie passés. Surtout je me souviendrai toujours avec plaisir de la nuit où le pirate Barberousse, à qui vous aviez donné ordre de m'enleyer, pensa me surprendre dans Gayette, et m'obligea de sortir de la ville dans un désordre et avec une précipitation extrême.

So. Par quelle raison preniez-vous la fuite, si vous étiez bien aise qu'on vous cherchat de ma part?

J. DE GON. J'étois ravie qu'on me cherchât, et plus encore qu'on ne pût m'attraper. Rien ne me flattoit plus que de penser que je manquois au bonheur de l'heureux Soliman, et qu'on me trouvoit à dire dans le sérail, dans un lieu si rempli de belles personnes; mais je n'en voulois pas davantage. Le sérail n'est agréable que pour celles qui y sont souhaitées, et non pour celles qu'on y renferme.

So. Je vois bien ce qui vous faisoit peur; ce grand nombre de rivales ne vous cût point accommodée. Peut-être aussi craigniez-vous que parmi tant de femmes aimables, il y en eût beaucoup qui ne fissent que servir d'ornement au sérail.

J. DE GON. Vous me donnez-là de jolis sentimens.

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