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FAU. N'eussiez-vous pas mieux aimé être obligé de conjurer contre Sylla que contre César? Sylla eût excité votre indignation et votre haine par son extrême cruauté. J'eusse bien mieux aimé aussi avoir à tromper un homme jaloux; ce même César, par exemple, de qui nous parlons. Il avoit une vanité insupportable; il vouloit avoir l'empire de la terre tout entier, et sa femme toute entière; et parce qu'il vit que Claudius partageoit l'une avec lui, et Pompée l'autre, il ne put souffrir ni Pompée ni Claudius. Que j'eusse été heureuse avec César!

BRU. Il n'y a qu'un moment que vous vouliez exterminer tous les maris, et à cette heure vous aimez mieux les plus méchans!

FAU. Je voudrois qu'il n'y en eût point, afin que les femmes fussent toujours libres; mais s'il faut qu'il y en ait, les méchans sont ceux qui me plaisent davantage, par le plaisir que l'on a de reprendre sa liberté.

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BRU. Je crois que pour les femmes de votre humeur, le meilleur est qu'il y ait des maris. Le sentiment de la liberté est plus vif; il y entre plus de malignité.

DIALOGUES

DES

MORTS ANCIENS

AVEC LES MODERNES.

DIALOGUE I.

SENÈQUE, SCARRON.

SÉNÈQUE.

Vous me comblez de joie en m'apprenant que les stoïciens subsistent encore, et que dans ces derniers temps vous avez fait profession de cette

secte.

SCARRON. J'ai été, sans vanité, plus stoïcien que vous, plus que Chrisippe, et plus que

Zénon votre fondateur. Vous étiez tous en état de philosopher à votre aise; vous, en votre particulier, vous aviez des richesses immenses. Pour les autres, ou ils ne manquoient pas de bien, ou ils jouissoient d'une assez bonne santé, ou enfin ils avoient tous leurs membres ; ils alloient, ils venoient à la manière ordinaire des hommes. Mais moi, j'étois dans une très-mauvaise. fortune, tout contrefait, presque sans figure humaine, immobile, attaché à un lieu comme un tronc d'arbre, souffrant continuellement; et j'ai fait voir que tous ces maux s'arrêtoient au corps, et ne pouvoient passer jusqu'à l'âme du sage; le chagrin a toujours eu la honte de ne pouvoir entrer chez moi par tous les chemins qu'il s'étoit faits.

SÉ. Je suis ravi de vous entendre parler ainsi. A votre langage seul, je vous reconnoîtrois pour un grand stoïcien. Et n'étiez-vous pas l'admiration de votre siècle?

Sc. Oui, je l'étois. Je ne me contentois pas de souffrir mes maux avec patience, je leur insultois par les railleries. La fermeté eût fait honneur à un autre, mais j'allois jusqu'à la gaieté.

SÉ. O sagesse stoïcienne, tu n'es donc pas une chimère, comme on se le persuade! Tu te trouves parmi les hommes, et voici un sage que tu n'avois pas rendu moins heureux que

Jupiter même. Venez, que je vous présente à Zénon et à nos autres stoïciens; je veux qu'ils voient le fruit des admirables leçons qu'ils ont données au monde.

Sc. Vous m'obligerez beaucoup, de me faire connoître à des morts si illustres.

Sé. Comment vous nommerai-je à eux?
Sc. Scarron.

SÉ. Scarron? Je connois ce nom-là. N'ai-je point ouï parler de vous à plusieurs modernes qui sont ici? Sc. Cela se peut.

SÉ. N'avez-vous pas fait quantité de vers plaisans, comiques?

Sc. Oui; j'ai même été l'inventeur d'un genre de poésie qu'on appelle le Burlesque. C'est tout ce qu'il y a de plus outré en fait de plaisanteries. SÉ. Mais vous n'étiez donc pas un philosophc? Sc. Pourquoi non?

SÉ. Ce n'est pas l'occupation d'un stoïcien, que de faire des ouvrages de plaisanteries, et de songer à faire rire.

Sc. Oh! je vois bien que vous n'avez pas com pris les perfections de la plaisanterie. Toute sagesse y est renfermée. On peut tirer du ridicule de tout; j'en tirerois de vos ouvrages mêmes, si je voulois, et fort aisément; mais tout ne produit pas du sérieux, et je vous défie de tourner jamais mes ouvrages de manière qu'ils en produisent. Cela ne veut-il pas dire que

et que

les choses

le ridicule domine partout, du monde ne sont pas faites pour être traitées sérieusement? J'ai mis en vers burlesques la divine Eneide de votre Virgile; et l'on ne sau roit mieux faire voir que le magnifique et le ridicule sont si voisins qu'ils se touchent. Tout ressemble à ces ouvrages de perspective, où des figures dispersées çà et là, vous forment, par exemple, un empereur, si vous le regardez d'un certain point; changez ce point de vue, ces mêmes figures vous représentent un gueux.

SE. Je vous plains de ce qu'on n'a pas compris que vos vers badins fussent faits pour mener les gens à des réflexions si profondes. On vous eût respecté plus qu'on n'a fait, si l'on cût su combien vous étiez grand philosophe; mais il n'étoit pas facile de le deviner par les pièces qu'on dit que vous avez données au public.

Sc. Si j'avois fait de gros volumes pour prouver que la pauvreté, les maladies, ne doivent donner aucune atteinte à la gaieté du sage, n'eussent-ils pas été dignes d'un stoïcien? SÉ. Cela est sans difficulté.

Sc. Et j'ai fait je ne sais combien d'ouvrages, qui prouvent que malgré la pauvreté, malgré les maladies, j'avois cette gaieté; cela ne vaut il pas inicux? Vos traités de morale ne sont que des spéculations sur la sagesse; mais mes vers en étoient une pratique continuelle.

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