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liser. Mais leur loi même, sur quoi étoit-elle fondée ? J'avois une envie démesurée de faire parler de moi, et je brûlai leur temple. Ne devoient-ils pas se tenir bien heureux que mon ambition ne leur coûtât pas davantage? On ne les en pouvoit quitter à meilleur marché. Un autre auroit peut-être ruiné toute la ville et tout leur état.

Dé. On diroit, à vous entendre, que vous étiez en droit de ne rien épargner pour faire parler de vous, et que l'on doit compter pour des grâces tous les maux que vous n'avez pas faits. ÉR. Il est facile de vous prouver le droit que j'avois de brûler le temple d'Ephèse. Pourquoi l'avoit-on bâti avec tant d'art et de magnificence? Le dessein de l'architecte n'étoit-il pas de faire vivre son nom?

Dé. Apparemment.

ER. He bien, ce fut pour faire vivre aussi mon nom que je brûlai ce temple,

DE. Le beau raisonnement! Vous est-il permis de ruiner pour votre gloire les ouvrages d'un autre ?

les

ER. Oui, La vanité qui avoit élevé ce temple les mains d'un autre, l'a par pu ruiner par miennes. Elle a un droit légitime sur tous les autres ouvrages des hommes; elle les a faits, et elle les peut détruire. Les plus grands états même n'ont pas sujet de se plaindre qu'elle les

renverse, quand elle y trouve son compte; ils ne pourroient pas prouver une origine indépendante d'elle. Un roi qui, pour honorer les funérailles d'un cheval, feroit raser la ville de Bucéphale, lui feroit-il une injustice? Je ne le crois pas; car on ne s'avisa de bâtir cette ville que pour assurer la mémoire de Bucéphale, et par conséquent elle est affectée à l'honneur des chevaux.

Dé. Selon vous rien ne seroit en sûreté. Je ne sais si les hommes mêmes Ꭹ seroient.

ÉR. La vanité se joue de leurs vies, ainsi que de tout le reste. Un père laisse le plus d'enfans qu'il peut afin de perpétuer son nom; un conquérant, afin de perpétuer le sien, extermine le plus d'hommes qu'il lui est possible.

Dé. Je ne m'étonne pas que vous employież toutes sortes de raisons pour soutenir le parti des destructeurs; mais enfin, si c'est un moyen d'établir sa gloire, que d'abattre les monumens de la gloire d'autrui, du moins il n'y a pas de moyen moins noble que celui-là..

ER. Je ne sais s'il est moins noble que les autres, mais je sais qu'il est nécessaire qu'il se trouve des gens qui le prennent.

DÉ, Nécessaire !!

ÉR. Assurément. La terre ressemble à de grandes tablettes où chacun veut écrire son nom. Quand ces tablettes sont pleines, il faut bien

effacer les noms qui y sont déjà écrits pour y en mettre de nouveaux. Que seroit-ce, si les monumens des anciens subsistoient? Les modernes n'auroient pas où placer les leurs. Pouviez-vous espérer que trois cent soixante statues fussent long-temps sur pied? Ne voyezvous pas bien que votre gloire tenoit trop de place?

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Dé. Ce fut une plaisante vengeance que celle que Démétrius Poliorcète exerça sur mes statues. Puisqu'elles étoient une fois élevées dans toute la ville d'Athènes, ne valoit-il pas autant y laisser ?

les

ER. Oui; mais avant qu'elles fussent élevées, ne valoit-il pas autant ne les point élever? Ce sont les passions qui font et qui défont tout. Si la raison dominoit sur la terre, il ne s'y passeroit rien. On dit que les pilotes craignent au dernier point ces mers pacifiques où l'on ne peut naviguer, et qu'ils veulent du vent au hasard d'avoir des tempêtes. Les passions sont chez les hommes des vents qui sont nécessaires pour mettre tout en mouvement quoiqu'ils causent souvent des orages.

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DIALOGUE II.

CALLIRHÉE, PAULINE.

PAULINE.

Pour moi, je tiens qu'une femme est en péril

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dès qu'elle est aimée avec ardeur. De quoi un amant passionné ne s'avise-t-il pas pour arriver à ses fins? J'avois long-temps résisté à Mundus, qui étoit un jeune Romain fort bien fait; mais enfin il remportá la victoire par un stratagème. J'étois fort dévoté au dieu Anubis. Un jour une prêtresse de ce dieu me vint dire de sa part qu'il étoit amoureux de moi, et qu'il me demandoit un rendez-vous dans son temple. Maîtresse d'Anubis figurez-vous quel honneur. Je ne manquai pas au rendez-vous, j'y fus reçue avec beaucoup de marques de tendresse ; mais à vous dire la vérité, cet Anubis, c'étoit Mundus. Voyez si je pouvois m'en défendre. On dit bien que des femmes se sont rendues à des dieux déguisés en hommes, et quelquefois en bêtes; à plus forte raison devra-t-on se rendre à des hommes dé guisés en dieux.

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CALLIRHÉE. En vérité, les hommes sont bien remplis d'artifice. J'en parle par expérience, et il m'est arrivé presque la même chose qu'à vous. J'étois une fille de la Troade; et sur le point de me marier, j'allai, selon la coutumé du pays, accompagnée d'un grand nombre de personnes, et fort parée, offrir ma virginité au fleuve Scamandre. Après que je lui eus fait mon compliment voici Scamandre qui sort d'entre ses roseaux et qui me prend au mot. Je me crus fort honorée, et peut-être n'y eut-il pas jusqu'à mon fiancé qui ne le crût aussi. Tout le monde se tint dans un silence respectueux; mes compagnes envioient secrètement ma félicité, et Scamandre se retira dans ses roseaux quand il voulut. Mais combien fus-je étonnée un jour que je rencontrai ce Scamandre qui se promenoit dans une petite ville de la Troade, et que j'appris que c'étoit un capitaine athénien qui avoit sa flotte sur cette côte-là !

!

PAU. Quoi vous l'aviez donc pris pour le vrai Scamandre?

CAL. Sans doute.

PAU. Et étoit-ce la mode en votre pays que le fleuve acceptât les offres que les filles à marier venoient lui faire?

CAL. Non; et peut-être s'il eût eu coutume de les accepter, on ne les lui eût pas faites. Il se

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