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ou l'autre caractère, selon la compagnie où elles se trouvent; et toutes ces fadaises sont fort bien reçues, parce qu'on croit qu'elles mènent à la connoissance de l'avenir.

J. DE NA. Quoi! n'y mènent-elles pas en effet? Je trouve bon que vous qui avez été mon astrologue, vous me disiez du mal de l'astrologie!

AN. Ecoutez, un mort ne voudroit pas mentir. Franchement, je vous trompois avec cette astrologie que vous estimez tant.

J. DE NA. Oh! je ne vous en crois pas vousmême. Comment m'eussiez-vous prédit que je devois me marier quatre fois ? Y avoit-il la moindre apparence qu'une personne un peu raisonnable s'engageât quatre fois de suite dans le mariage? Il falloit bien que vous eussiez lu cela dans les cieux.

AN. Je les consultai beaucoup moins que vos inclinations; mais après tout, quelques prophé ties qui réussissent ne prouvent rien, Voulez-vous que je vous mène à un mort qui vous contera une histoire assez plaisante? Il étoit astrologue, et ne croyoit non plus que moi à l'astrologie. Cependant, pour essayer s'il y avoit quelque chose de sûr dans son art, il mit un jour tous ses soins à bien observer les règles, et prédit à quelqu'un des événemens particuliers, plus difficiles à deviner que vos quatre mariages. Tout ce qu'il avoit prédit arriva. Il ne fut jamais

plus étonné. Il alla revoir aussitôt tous les calculs astronomiques qui avoient été le fondement de ses prédictions. Savez-vous ce qu'il trouva? Il s'étoit trompé; et si ses supputations eussent été bien faites, il auroit prédit tout le contraire de ce qu'il avoit prédit.

J. DE NA. Si je croyois que cette histoire fût vraie, je serois bien fâchée qu'on ne la sût pas dans le monde, pour se détromper des astrologues.

AN. On fait bien d'autres histoires à leur désavantage, et leur métier ne laisse pas d'être toujours bon. On ne se désabusera jamais de tout ce qui regarde l'avenir; il a un charme trop puissant. Les hommes, par exemple, sacrifient tout ce qu'ils ont à une espérance; et tout ce qu'ils avoient et ce qu'ils viennent d'acquérir, ils le sacrifient encore à une autre espérance; et il semble que ce soit là un ordre malicieux établi par la nature, pour leur ôter toujours d'entre les mains ce qu'ils tiennent. On ne se soucie guère d'être heureux dans le moment où l'on est, on remet à l'être dans un temps qui viendra, comme si ce temps qui viendra devoit être autrement fait que celui qui est déjà venu.

J. DE NA. Non, il n'est pas fait autrement, mais il est bon qu'on se l'imagine.

AN. Et que produit cette belle opinion? Je sais une petite fable qui vous le dira bien. Je l'ai

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tenoit dans votre comté de Provence. Un homme avoit soif, et étoit assis sur le bord d'une fontaine; il ne vouloit point boire de l'eau qui couloit devant lui, parce qu'il espéroit qu'au bout de quelque temps il en alloit venir une meilleure. Ce temps étant passé : Voici encore la méme eau, disoit-il, ce n'est point celle-là dont je veux botre, j'aime mieux attendre un peu. Enfin, comme l'eau étoit toujours la même, il attendit si bien, que la source vint à tarir, et il ne but point.

J. DE NA. Il m'en est arrivé autant : je crois que de tous les morts qui sont ici, il n'y en a pas un à qui la vie n'ait manqué, avant qu'il en eût fait l'usage qu'il en vouloit faire. Mais qu'importe, je compte pour beaucoup le plaisir de prévoir, d'espérer, de craindre même, et d'avoir un avenir devant soi. Un sage, selon vous, seroit comme nous autres morts, pour qui le présent et l'avenir sont parfaitement semblables, et ce sage par conséquent s'ennuieroit autant que je fais,

AN. Hélas! c'est une plaisante condition que celle de l'homme, si elle est telle que vous le croyez. Il est né pour aspirer à tout et pour ne jouir de rien, pour marcher toujours et pour n'arriver nulle part.

* C'étoit une espèce d'académie.

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ᎥᎥ

DIALOGUES

DES

MORTS ANCIENS.

DIALOGUE I.

ÉROSTRATE, DÉMÉTRIUS

DE PHALÈRE.

TRO

ÉROSTRATE.

ROIS Cent soixante statues élevées dans Athènes en votre honneur! c'est beaucoup.

DEMETRIUS. Je m'étois saisi du gouvernement, et après cela il étoit assez aisé d'obtenir du peuple des statues.

ÉR. Vous étiez bien content de vous être ainsi multiplié vous-même trois cent soixante fois, et de ne rencontrer que vous dans toutę une ville.

Dé. Je l'avoue; mais hélas! cette joie ne fut pas d'assez longue durée. La face des affaires changea. Du jour au lendemain il ne resta pas une seule de mes statues. On les abattit, on les brisa.

ÉR. Voilà un terrible revers! Et qui fut celui qui fit cette belle expédition ?

Dé. Ce fut Démétrius Poliorcète, fils d'Antigonus.

ÉR. Démétrius Poliorcète! J'aurois bien voulu être en sa place. Il y avoit beaucoup de plaisir à abattre un si grand nombre de statues faites pour un même homme.

Dé. Un pareil souhait n'est digne que de celui qui a brûlé le temple d'Éphèse. Vous conservez

encore votre ancien caractère.

ÉR. On m'a bien reproché cet embrasement du temple d'Ephèse, toute la Grèce en a fait beaucoup de bruit ; mais en vérité cela est pitoyable, on ne juge guère sainement des choses.

Dé. Je suis d'avis que vous vous plaigniez de l'injustice qu'on vous a faite, de détester une si belle action, et de la loi par laquelle les Éphésiens défendirent que l'on prononçât jamais le nom d'Érostrate.

ÉR. Je n'ai pas du moins sujet de me plaindre de l'effet de cette loi, car les Éphésiens furent de bonnes gens, qui ne s'aperçurent pas que défendre de prononcer un nom c'étoit l'immorta

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