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pas une mort toute entière; mais telle qu'elle est, elle est au-dessus de la vôtre, qui est audessus de celle de Caton.

AD Comment? Que voulez-vous dire?

M. D'AU. J'étois fille d'un empereur. Je fus fiancée à un fils de roi, et ce prince, après la mort de son père, me renvoya chez le mien, malgré la promesse solennelle qu'il avoit faite de m'épouser. Ensuite on me fiança encore au fils d'un autre roi, et comme j'allois par mer trouver cet époux, non vaisseau fut battu d'une furieuse tempête qui mit ma vie en un danger très-évident. Ce fut alors que je composai moi-même cette épitaphe.

Cy git Margot, la gentill' Damoiselle,
Qu'a deux Maris et encore est pucelle.

A la vérité je n'en mourus pas, mais il ne tint pas à moi. Concevez bien cette espèce de mort-là, vous en serez satisfait. La fermeté de Caton est outrée dans un genre, la vôtre dans un autre, la mienne est naturelle. Il est trop guindé, vous êtes trop badin, je suis raisonnable. AD. Quoi vous me reprochez d'avoir trop peu craint la mort?

:

M. D'AU. Oui il n'y a pas d'apparence que l'on ait aucun chagrin en mourant, et je suis sûre que vous fites alors autant de violence

pour badiner, que Caton pour se déchirer les entrailles. J'attends un naufrage à tout moment sans m'épouvanter, et je compose de sang froid mon épitaphe, cela est fort extraordinaire; et s'il n'y avoit rien qui adoucit cette histoire, on auroit raison de ne la croire pas, ou de croire que je n'eusse agi que par fanfaronnade. Mais en même temps je suis une pauvre fille deux fois fiancée, et qui ai pourtant le malheur de mourir fille, je marque le regret que j'en ai, et cela met dans mon histoire toute la vraisemblance dont elle a besoin. Vos vers, prenez-y garde, ne veulent rien dire, ce n'est qu'un galimatias composé de termes folâtres; mais les mieus ont un sens fort clair, et dont on se contente d'abord, ce qui fait voir que la nature y parle bien plus que dans les vôtres,

AD. En vérité, je n'eusse jamais cru que le chagrin de mourir avec votre virginité, cût dã vous être si glorieux.

M. D'AU. Plaisantez-en tant que vous voudrez ; mais ma mort, si elle peut s'appeler ainsi, a encore un avantage essentiel sur celle de Caton et sur la vôtre. Vous aviez tant fait les philosophes l'un et l'autre pendant votre vie, que vous étiez engagés d'honneur à ne craindre point la mort; et s'il vous eût été permis de la craindre, je ne sais ce qui en fût arrivé. Mais moi, tant que la tempête dura, j'étois en droit de trembler et de

pousser des cris jusqu'au ciel, sans que personne y trouvât à redire, ni m'en estimat moins ; cependant je demeurai assez tranquille pour faire mon épitaphe.

AD. Entre nous, l'épitaphe ne fut-elle point faite sur la terre?

M. D'AU. Ah! cette chicane-là est de mauvaise grâce; je ne vous en ai pas fait de pareille

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sur vos vers.

AD. Je me rends donc de bonne foi; et j'avoue que la vertu est bien grande, quand elle ne passe point les bornes de la nature.

DIALOGUE V.

ERASISTRATE, HERVÉ.

ÉRASISTRATE.

Vous m'apprenez des choses merveilleuses. Quoi! le sang circule dans le corps? Les veines le portent des extrémités au cœur, et il sort du cœur pour entrer dans les artères qui le reportent vers les extrémités ?

HERVÉ. J'en ai fait voir tant d'expériences, que personne n'en doute plus.

ERA. Nous nous trompions donc bien, nous autres médecins de l'antiquité, qui croyions que le sang n'avoit qu'un mouvement très-lent du cœur vers les extrémités du corps, et on vous est bien obligé d'avoir aboli cette vieille

erreur.

HER. Je le prétends ainsi, et même on doit m'avoir d'autant plus d'obligation, que c'est moi qui ai mis tous les gens en train de faire toutes ces belles découvertes qu'on fait aujourd'hui dans l'anatomie. Depuis que j'ai eu trouvé une fois la circulation, du sang, c'est à qui trouvera un nouveau conduit, un nouveau canal, un nouveau réservoir. Il semble qu'on ait refondu tout l'homme. Voyez combien notre médecine moderne doit avoir d'avantages sur la vôtre. Vous vous mêlicz de guérir le corps humain, et le corps humain ne vous étoit seulement pas vous ét

connu.

ERA. J'avoue que les modernes sont meilleurs physiciens que nous; ils connoissent mieux la nature, mais ils ne sont pas meilleurs médecins nous guérissions les malades aussi bien qu'ils les guérissent. J'aurois bien voulu donuer à tous ces modernes, et à vous tout le premier, le prince Antiochus à guérir de la fièvre quarte. Vous savez comme je m'y pris, et comme je décou vris par son pouls qui s'émut plus qu'à l'ordinaire en la présence de Stratonice, qu'il étoit

amoureux de cette belle reine, et que tout son inal venoit de la violence qu'il se faisoit pour cacher sa passion. Cependant je fis une cure aussi difficile et aussi considérable que celle-là, sans savoir que le sang circulât; et je crois qu'avec tout le secours que cette connoissance eût pu' vous donner, vous cussiez été fort embarrassé en ma place. Il ne s'agissoit point de nouveaux conduits, ni de nouveaux réservoirs; ce qu'il y avoit de plus important à connoître dans le malade, c'étoit le cœur.

HER. Il n'est pas toujours question du cœur, et tous les malades ne sont pas amoureux de leur belle-mère, comme Antiochus Je ne doute point que, faute de savoir que le sang circule, vous n'ayez laissé mourir bien des gens entre vos mains.

ERA. Quoi! vous croyez vos nouvelles découvertes fort utiles?

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HER. Assurément.

ERA. Répondez donc, s'il vous plaît, à une petite question que je vais vous faire. Pourquoi voyons-nous venir ici tous les jours autant de morts qu'il en soit jamais venu? :

HER. Oh! s'ils meurent, c'est leur faute, ce n'est plus celle des médecins.

ERA. Mais cette circulation du sang, ces cons duits, cés canaux, ces réservoirs, tout cela ne guérit donc de rien?

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