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manité et l'altère profondément; et, de même que l'erreur est une négation, toute altération résulte de l'erreur et participe de sa nature. L'altération de l'humanité est une diminution de sa vie; c'est en cela qu'elle est un mal. Le mal est une négation. Le mal absolu, c'est le néant. Le bien absolu, c'est l'être infini, l'affirmation universelle. Le bien relatif, c'est la participation relative à l'être. Le bien parfait d'un être, c'est la possession complète de tous les éléments qui constituent sa nature. Son mal, c'est la privation d'une partie des éléments qui le constituent. Il est dans son intégrité primitive lorsqu'il est parfaitement conforme au type sur lequel il a été formé. Mais si une partie des éléments nécessaires à sa constitution lui manquent, il n'est pas dans son intégrité naturelle, et c'est cet état que j'appelle déchéance. Déchéance humaine! question redoutable, et que je suis obligé d'aborder dès le principe, puisque sans ce fait les phénomènes sociaux, la contagion de l'iniquité chez les individus et la dégradation des peuples restent à jamais inexplicables, et se produisent comme une accusation contre la Providence. Les êtres privés d'intelligence et de liberté, qui, dans l'immensité des mondes, suivent les lois de leur existence, ne sauraient déchoir; leur déchéance accuserait l'impéritie du suprême architecte.

Si, en dehors de l'humanité, quelques individus nous paraissent monstrueux, c'est qu'ils ont été soumis à des lois accidentelles que chacun peut expliquer; il est inutile de s'y arrêter. On ne voit jamais les genres et les espèces manquer aux conditions de leurs lois naturelles. Les révolutions du globe, les cataclysmes eux-mêmes ont leurs lois. Tout a été prévu par le grand ouvrier. Les êtres privilė–

giés, qui participent à une plus grande partie de l'être, et qui sont doués du sentiment, de l'intelligence, du libre arbitre, ont le pouvoir d'accomplir ou de transgresser les lois de leur nature; et c'est ce pouvoir même qui constitue l'essence de leur libre arbitre : ils peuvent donc, à leur gré, maintenir la portion d'être qui leur est donnée ou la diminuer. S'ils la conservent, ils sont vertueux : la vertu est la synthèse de l'existence humaine; s'ils la diminuent, ils sont coupables. Mais quand ils se sont privés d'une partie de leur être, ils n'en ont plus l'intégrité, ils sont déchus. Y a-t-il des hommes déchus? L'humanité entière est-elle déchue? Cette question revient à celle-ci : L'humanité, en général, est-elle dans les conditions de son existence? Non, sans doute, et il n'est pas un écrivain sérieux qui ne l'ait constaté dans les siècles passés; il n'est pas de nos jours un observateur qui ne cherche à indiquer les moyens de rétablir l'équilibre perdu de la nature humaine. J'ai voulu aussi payer mon tribut d'efforts à la plus sainte, à la plus généreuse des entreprises, et j'ai indiqué la cause de nos maux dans la source de nos erreurs, c'est-à-dire dans le fait trop sensible de notre déchéance.

Chacune des erreurs qui manifestent cette déviation de nos lois originelles modifie si énergiquement la nature humaine, qu'elle laisse aux peuples comme aux individus qu'elle atteint leurs qualifications négatives; car le vice participe de la nature de l'erreur dont il naît, et, comme elle, il est nécessairement négatif, il n'est qu'une diminution de notre être.

On appelle athée l'homme sans Dieu : négation de notre rapport moral avec la divinité.

On dit la mollesse des peuples de l'Orient; mou, qui se

laisse aller, qui est sans vigueur et sans vie : négation de la fermeté, de la cohésion et presque de la vie.

On dit : la férocité des peuples du Nord; abaissement de la nature de l'homme jusqu'à celle des animaux féroces : négation des qualités qui caractérisent l'homme. On appelle aussi ces peuples inhumains: négation de l'humanité.

On appelle brutal un homme dont les mouvements ressemblent à ceux de la brute : négation de la raison, abaissement de la vie humaine jusqu'à celle de la brute.

Voluptueux, en grec apòs, veut dire homme sans vigueur, sans âme, sensuel négation de la raison. Ivrogne, intempérant: négation de la proportion harmonieuse de nos rapports avec les objets externes qui entretiennent la vie ; négation de la raison Il n'est pas une erreur, pas un vice qui ne signifient une négation et par conséquent une diminution de notre être, une altération, une déchéance. Il n'est pas un homme qui ne trouve en lui une trace profonde laissée par quelque négation, comme par une violente maladie; il n'est donc pas un homme qui jouisse de l'intégrité de ses facultés naturelles. C'est en vain que le philosophe cynique cherchait un homme dans la Grèce; il ne l'eût pas trouvé dans le monde entier. Nul doute donc que la déchéance ne soit une maladie héréditaire, transmise par le premier homme à sa postérité.

L'observation de l'humanité et le raisonnement conduisent à cette induction : la chute du premier homme brisa si radicalement un des éléments nécessaires à la perfection de l'être humain, que cet élément ne subsista plus dans le premier homme. Or, comment l'aurait-il donné, s'il ne le possédait plus? D'un autre côté, il est conforme à la raison qu'après la faute de l'homme ses rapports avec

Dieu n'aient plus été les mêmes; il est également conforme à la raison d'affirmer que les rapports intimes de l'homme avec Dieu, source de tous les biens, devaient garantir l'homme de toutes les négations qui constatent aujourd'hui sa déchéance. Mais nous allons sortir du domaine des conjectures pour exposer les preuves directes du fait de la déchéance humaine, sans lequel il ne serait pas possible d'assigner un caractère de généralité à la cause unique de nos erreurs, et par conséquent d'expliquer la condition actuelle de l'existence humaine. Mais on me crie: l'affirmation de la déchéance est humiliante pour nous. O homme! tu seras donc toujours follement orgueilleux! Écoute le retentissement terrible des siècles; c'est l'écho qui répercute les gémissements continus du genre humain et le bruit de ses crimes. Je verse sur les malheurs de l'humanité des larmes que je voudrais dissimuler; mais le puis-je, en présence des faits?

Quoi! serais-je moins homme et serais-je sans cœur parce que j'ai le courage d'indiquer la vraie cause de nos maux et l'unique moyen de nous réhabiliter?

Faire l'histoire de l'origine et de la propagation de nos erreurs, des crimes et des malheurs publics et privés qui en ont été les suites, serait l'œuvre de la vie entière d'un homme et même de plusieurs générations d'hommes.

On a donné le nom de bienfaiteurs de l'humanité à ceux qui ont consacré leurs veilles à reculer les limites de la science, et ce nom leur est bien justement acquis. Mais l'écrivain qui s'appliquerait à signaler le point de départ, les progrès et les ravages de l'erreur, ne se livrerait-il pas à un travail plus utile encore et plus digne de la reconnaissance du genre humain?

J'indique ce vaste horizon à l'ardeur des hommes qui pensent comme moi que la foi en la parole de Dieu, c'està-dire en la révélation divine, n'est pas moins nécessaire au bonheur des sociétés qu'à l'affranchissement temporel et au salut éternel des individus; mais je me sens déjà trop avancé dans la vie pour essayer de le parcourir. Toutefois, en tant que la suite de mes études me le permettra, je signalerai les causes et les faits de nos erreurs partout où je les apercevrai.

Les trois genres que je viens d'en indiquer aboutissent au même résultat : communiquer aux créatures le nom et la puissance incommunicables de Dieu, et relâcher de plus en plus les liens de la malheureuse humanité avec son créateur.

Ces trois genres d'erreurs concourent également au renversement de l'ordre, à la déification du fort, à l'asservissement du faible, à la destruction de l'harmonie de notre nature, au malheur du genre humain. Je vais essayer de le démontrer dans les chapitres suivants, après avoir établi le grand fait qui leur sert de fondement, la déchéance du genre humain.

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