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nais. Elles ont demandé du pain, on leur a donné des pierres; exténuées, on les met dehors (1); mais il est pour elles une demeure d'où la brutalité, la ruse, l'ambition, ne les banniront pas. Malheur aux prophètes qui mordent à pleines dents, tout en se disant les apôtres de la paix (2), tout en appelant sainte la guerre qu'ils font à qui ne les comble pas (3). Institués pour faire briller la lumière, ils répandent les ténèbres; chargés d'édifier, de soutenir, de réparer, de relever, de sauver, ils accablent, ils détruisent, ils désespèrent (4).

Le sacerdoce est un ministère divinement institué pour conduire l'homme à Dieu. Le pouvoir temporel, divinement institué aussi, puisqu'il ressort de l'essence même de notre organisation, œuvre de Dieu, est établi pour conduire l'homme à la perfection. Double ministère donc, et, au-dessus de ce double ministère, une idée supérieure, seule souveraine. Le ministre n'est pas le souverain, la théocratie et la domination humaine sont donc incompatibles; l'une détruit l'autre. L'histoire du genre humain montre que nos malheurs nous viennent des écarts de

(1) Cornibus vestris ventilabatis omnia infirma pecora, donec dispergerentur foras.

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(2) Qui mordent dentibus et prædicant pacem. (MICH., C. III, v.5.) (3) Si quis non dederit in ore eorum quippiam sanctificent super eum prælium. (MICH., idem, idem.)

(4) Væ pastoribus Israel, qui pascebant semetipsos..... lac comedebatis..... gregem autem meum non pascebatis, quod infirmum fuit non consolidastis; et quod ægrotum est non sanastis, quod confractum est non alligastis, et quod abjectum est non redemistis, et quod perierat non quæsistis sed cum austeritate imperabatis eis et cum potentiâ, et dispersæ sunt oves meæ eò quòd non esset pastor.... et non erat qui requireret; non erat, inquam, qui requireret. (ÉZÉCHIEL, c. XXXVI, v. 21 et suiv.)

notre volonté ou des écarts de la volonté d'autrui. Donc, la théocratie est l'unique garantie de l'humanité.

De même que dans la théorie intellectuelle j'établis l'exclusive domination de la pensée divine, de même dans la théorie pratique je montre l'exclusive domination de la volonté divine. La pensée divine est la vérité. Tout ce qui s'éloigne de la pensée divine n'est pas, ne peut pas être la vérité. La volonté divine, c'est l'amour (1); l'unique loi des hommes est donc l'amour. Loi également infaillible, car le mal ne peut jamais découler de l'amour ou de la charité. Tout ce qui s'éloigne de l'amour n'est pas, ne peut pas être une loi. Tout ce qui s'éloigne de l'amour est nuisible; le mal ne peut pas être une condition de l'existence, il en est une diminution. Admirable logique de nos livres saints! Ils proclament une seule loi : AIMER! et ils définissent le pouvoir : un ministère établi pour le bien (2), en sorte que tout pouvoir qui ne fait pas le bien n'est plus un ministère institué, il n'est qu'une force aveugle et brutale. Il n'est pas le ministre, il est le contradicteur de la volonté divine (3). C'est donc la charité qui correspond à l'institution divine. C'est saint Vincent de Paul, ce n'est pas le cardinal Dubois, qui représente le prêtre selon l'idée catholique. La pourpre dans l'Église est le titre de noblesse de la charité. Comme la noblesse dans le monde, elle ne brille d'un utile éclat qu'autant qu'elle est le symbole d'une plus pure charité, d'une plus grande vertu. Celui qui sera le plus grand sera votre ministre (4); car ce

(1) Deus caritas..

(2) Minister tibi in bonum.

(3) Interrogo vos licet animam salvam facere, an perdere. (S. MATTH.)

(4) S. Matth., c. xxiii, v. 11.

ne sont que les princes idolâtres qui dominent les hommes : le Christ signale ainsi lui-même l'élément païen dans le fait de la domination humaine. Le prêtre du Christ n'a donc pas de domination à exercer sur les hommes, il n'a que des services à leur rendre. C'est pour cela qu'il a reçu tout pouvoir, le pouvoir de sauver. Le pouvoir n'est que la possibilité pour quelqu'un de donner à un autre la plénitude de la vie. Touchante image! le pasteur porte sa brebis sur ses épaules; le bon pasteur donne sa vie pour les autres. La France oubliera-t-elle jamais le souvenir du pontife qui versa son sang pour empêcher de couler le sang des partis irrités? Le Christ eût pu armer ses légions d'anges et exterminer les hommes (1); le Christ meurt pour les sauver. Donc, plus on est le disciple du Christ, plus on sait aimer; plus on est prêtre, moins on est dominateur, plus on imite celui qui ne sut jamais achever d'éteindre une lumière presque éteinte, qui ne sut que répandre le feu de la charité et inviter ses disciples à le répandre partout (2).

A ce titre, Dieu les élève jusqu'à lui. Il les récompense magnifiquement s'ils se sacrifient pour les autres. Celui qui vous reçoit me reçoit, et celui qui me reçoit reçoit mon Père tout, tout découle du Père, tout est theocratique dans l'idée du Christ. Qui peut se méfier du prêtre qui est Christ? Celui qui vous reçoit me reçoit. Qui ne bénit le prêtre; qui ne le vénère? qui ne vénère saint Paulin; qui ne vénère saint Vincent de Paul; qui ne vénère nos mar

(1) An putas quia non possum rogare Patrem meum, et exhibebit mihi modò plus quàm duodecim legiones angelorum? (S. MATTH., c. XXVI, v. 53.)

(2) Veni ignem mittere, et quid volo nisi ut accendatur?

tyrs, fondateurs de la personnalité humaine; qui ne vénère saint Jean-Baptiste, saint Ambroise, saint Thomas de Cantorbéry, sauveurs de la liberté des peuples? qui ne vénère cette multitude d'hommes saints et libres que I'Église catholique a comptés dans tous les siècles? Multitudo magna quam nemo dinumerare poterat.

Il y a des abus.

Sans doute il y a des sépulcres blanchis et des prophètes de destruction ! Mais d'où viennent-ils? D'où partent l'orgueil et l'égoïsme, de Dieu ou de l'élément païen? Interrogo vos. Il n'y a abus que là où il y a substitution de la volonté de l'homme à la volonté divine; que là, en un mot, où il y a domination humaine!

Concevez-vous l'abus dans la volonté de Dieu ?

Non.

Donc, vous êtes de mon avis; donc, vous pensez, comme moi, que l'acte de justice et de raison qui dépouille l'homme de sa souveraineté d'emprunt lui restitue en même temps le véritable titre de sa grandeur, de son indépendance, de son inviolabilité.

Eh! l'homme ne sait-il pas bien qu'il n'est pas souverain? Ne sait-il pas bien qu'il ne doit ce titre qu'au délire de son orgueil et à l'imbécillité de ceux qui le lui ont laissé prendre? Les caractères de sa faiblesse sont trop sensibles pour qu'il puisse croire à une souveraineté qui s'annonce sous les haillons de la misère, sous les chaînes de l'esclavage, que l'on trouve sous les verrous d'une prison et que l'on cherche en vain dans la poussière des tombeaux.

Si l'homme était souverain, endurerait-il la douleur, languirait-il dans les langes de l'enfance, se courberait-il sous le poids de la vieillesse, se laisserait-il aveugler par

l'erreur, s'agenouillerait-il aux pieds de son semblable, et permettrait-il enfin à la mort de l'arracher à sa souveraineté? Mais, par la même raison qu'il n'a pas le droit d'imposer ses lois, il n'a à en recevoir de qui que ce soit, si ce n'est de Dieu. Il n'est pas souverain, mais il est inviolable autant et plus dans la misère que dans l'opulence, autant et plus dans la faiblesse de ses premiers jours que dans la vigueur de l'âge. Plus il est délaissé, plus l'empreinte du divin ouvrier apparaît sur son front comme un talisman protecteur. Cela est si vrai, qu'une impression de terreur indéfinissable, répandue dans toute l'humanité, retient l'homme prêt à frapper le vieillard qui s'éteint ou l'enfant qui n'a encore qu'un souffle de vie. L'aspect du malheur suffit souvent pour désarmer un ennemi et changer son courroux en pitié.

Nul homme ne peut porter atteinte à l'inviolabilité de son semblable sans être aussitôt averti de son crime par le remords. Celui-là seul peut être condamné à mort, dont l'existence est devenue un danger, et dont la disparition est une garantie nécessaire à l'inviolabilité de tous. Car le droit de veiller à sa conservation et à celle des autres est encore écrit dans nos âmes de la main de la nature.

L'homme est inviolable, donc il n'est pas souverain. Le suicide, la simple mutilation même répugnent comme l'idée d'athéisme à la conscience universelle du genre humain. Notre constitution naturelle ne nous est pas donnée seulement pour nous; elle regarde aussi le service de Dieu et des autres hommes. Le droit de l'individu sur lui-même ou sur ses semblables est de contribuer au développement, à la perfection de la nature humaine, en secondant ses lois; il n'irait pas au delà sans crime. Le pouvoir de

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