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justifie complétement le reproche de délire que leur adressaient Socrate (1) et Platon. Leur morale était peu sûre (2), leurs théories sociales étaient fausses. Ils n'ont jamais eu la certitude de ce qu'ils enseignaient, car ils n'avaient pour fondement d'affirmation qu'un souvenir presque effacé de la révélation primitive (3); ils la signalent quelquefois (4), à l'exemple des écrivains de l'Orient; ou plutôt, c'est une révélation future qu'ils appellent de tous leurs vœux (5), comme absolument nécessaire et indispensable, comme l'unique moyen de connaître la vérité qu'ils avouent ne pouvoir être connue qu'autant qu'elle

(1) Ceux qui s'occupent de ces matières sont dans le délire. (XENOPH., Mem. Socr.)

(2) Incertæ sunt cogitationes hominum et providentiæ.

(3) Diminutæ sunt veritates a filiis hominum.

(4) Il n'est qu'une route, et la raison des anciens peuples nous l'a déjà tracée. (XENOPH., Mem. Socr., 4.)

Puisque tout est incertain dans la raison, combien n'était-il pas plus convenable et meilleur de s'attacher à la raison de nos pères? (CECIL., apud Manil.)

Les lois sublimes sont descendues du ciel; le roi de l'Olympe en est le père, elles ne viennent pas de l'homme, jamais l'oubli ne les effacera. (SOPHOCLE, Edipe Roi, v. 870.)

Puissé-je toujours conserver dans mes actions la sainteté auguste dont les lois sublimes résident dans les cieux, où elles ont pris naissance! (Id., ibid., v. 852-53-54.)

O fol orgueil qui prétends être plus sage que les sages et antiques lois! (EURIPIDE, Bacch., v. 870.)

Εκ Διός ερχόμεθα· του γὰρ και γένος ἐσμέν. Venant de Dieu, 'nous sommes ses enfants. (ARATUS cité par saint Paul.)

(5) Au milieu de nos incertitudes, le parti que nous avons à prendre est d'attendre patiemment que quelqu'un vienne nous instruire de la manière dont nous devons nous comporter avec les dieux et les hommes. Celui qui vous apprendra ces choses s'intéresse véritablement à ce qui vous regarde. ALCIB. Qu'il vienne donc incessamment, je suis disposé à faire tout ce qu'il me prescrira, et j'espère qu'il me rendra meilleur. (PLAT., Alcib., 2.)

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sera objectivée (1). A ces aveux vient se joindre l'histoire aujourd'hui incontestée des migrations humaines, et partant la preuve de la transmission des idées. Une colonie française ou allemande, qui part pour la Californie, ne dépose pas tous ses souvenirs; elle ne fait pas, comme Descartes après le mensonge, de son doute, table rase, car l'homme n'oublie pas même ce qu'il voudrait oublier. Sémiramis promène son char vainqueur sur les nations, et pénètre jusqu'en Chine; Sésostris, Cyrus, Alexandre, sillonnent l'univers à leur tour. Les Hébreux sont pendant soixante ans captifs à Babylone; leurs prophètes parcourent les villes de l'Orient, Jérémie fait entendre sa voix en Égypte, Jonas à Ninive. Sanchoniathon, le plus ancien écrivain après Moïse, traduit en langue phénicienne la theogonie des peuples de l'Orient et des fragments nombreux de la cosmologie de Moïse; les habitants de Tyr, de Sidon, de Ninive, les peuples de la Judée, de la Perse, de la Grèce, de l'Égypte, traversent les mers, et un vaste commerce s'établit entre l'Asie, l'Afrique, l'Europe et l'Amérique peut-être. Aristote avait suivi Alexandre dans sa première expédition en Asie; Anaxarque et Zénon avaient marché sur ses traces. C'était un usage commun aux philosophes de voyager pour s'instruire des idées et des mœurs des autres contrées; nier les rapports des Phéniciens, des Égyptiens, des Assyriens, des Chaldéens, des Hébreux, des Perses, des Grecs, c'est nier la clarté du jour et donner un démenti à tous les monuments de la science ancienne et moderne. Mais est-il possible d'admettre ces rap

(1) En fait de morale, personne ne peut rien apprendre aux autres, à moins qu'il n'ait eu d'avance Dieu même pour maître. (PLAT., Op., t. 11, p. 259.)

ports, sans admettre la communication des idées? Il est vrai que les Grecs n'ont pas cité ou n'ont que peu cité les philosophes de l'Orient. Est-ce à dire qu'ils ne les aient. pas connus? Non; ils ambitionnaient pour eux-mêmes la gloire des découvertes, et il est assez naturel qu'on n'avoue pas ses larcins. Améric Vespuce a-t-il dit dans ses mémoires un seul mot indiquant qu'il n'avait guère fait que suivre la route ouverte par Christophe Colomb? Les prétéritions de ce genre sont de tradition tout à fait philosophique; c'est ce qui a fait dire à Hegel, blessé de voir M. Cousin importer d'Allemagne en France une doctrine sans même en nommer l'auteur: Il croit avoir conçu ce qu'il a appris (1). Mais Hegel n'a pas avoué non plus qu'il avait emprunté la sienne à Parménide, lequel la tenait de Xénophane, qui l'avait lui-même empruntée à Vyasa. Pascal, qui a pris tant d'idées dans Montaigne, a-t-il indiqué la source où il les avait puisées? Rousseau a-t-il avoué les emprunts qu'il a faits à Pascal? Montaigne a-t-il fait honneur à Sextus Empiricus des pages entières qu'il a copiées de lui? Pourquoi Homère aurait-il cité plutôt Moïse ou Valmiki qu'il n'est cité lui-même par Virgile, qui l'imite souvent et le copie quelquefois (2)?

Il est certain que les Grecs avaient pénétré en Orient, comme il est certain que les Orientaux avaient eux-mêmes

(1) Lerminier, Lettres à un Berlinois.

(2) Les philosophes ne sont pas les seuls qui se montrent peu scrupuleux à cet égard. Le docteur Daquin, dans sa Philosophie de la folre, indique le premier le traitement moral des aliénés. Son livre paraît en 1791; la seconde édition est de 1804 et dédiée par l'auteur à M. Prnel. Or, M. Pinel, dans sa Nosographie, qui a eu six éditions de 1807 à 1818, se fait grand honneur de l'idée de Daquin sans le nommer une seule fois (*).

(*) Docteur Caffe, Journal des Connaissances médicales, volume du 30 janvier 1854,

pénétré en Occident. L'introduction en Grèce de la philosophie et des idées orientales se rattache aux noms d'Orphée, Thrace d'origine; de Phoronée; de Cadmus; de Cécrops, fondateur d'Athènes et originaire de Saïs, en Égypte. Nous lisons dans Mégasthènes (1), historien grec sous Séleucus Nicanor, cet aveu remarquable: «Tout ce que les anciens ont >> dit de la nature se retrouve dans les ouvrages des philo>> sophes étrangers: chez les Indiens, dans les écrits des >> Brahmanes; en Syrie, dans ceux des Juifs (2).» Aristobule, de l'école d'Aristote, affirme que Platon avait connu la législation juive, et qu'il en avait étudié toutes les dispositions, ainsi que Pythagore, qui leur a emprunté plusieurs points de sa doctrine. Numénius, disciple de Pythagore, s'explique encore plus clairement : « Qu'est-ce que Platon (3), si ce n'est Moïse parlant en grec? » Je prie celui de mes lecteurs qui douterait de ce fait de confronter le chapitre deux du premier livre de la République de Platon avec le cinquante-sixième chapitre d'Isaïe. Rousseau ne s'y est point trompé; il a clairement vu dans le philosophe grec ce que la Bible a écrit sur la doctrine, la vie et la mort de Jésus-Christ. Celse en avait été si vivement frappé, que, ne pouvant nier ni la ressemblance des idées ni leur unité d'origine, il accusa Moïse d'avoir copié Platon, aimant mieux franchir toutes les dates que, de braver l'évidence des faits. Moïse était né 1725 et Platon 430 ans avant Jésus-Christ. C'est à cette audace souvent répétée qu'est due la fortune de la philosophie : je le démontrerai jusqu'à l'évidence quand j'aurai à établir que l'idée de justice uni

(1) Cité par Clément d'Alexandrie et par Eusèbe.

(2) Le péripatéticien Cléarque prétendait avoir vu un Juif en rapport avec Socrate. (JOSÈPHE, CLÉment d'Alexandrie, Eusèbe.) (3) Origène, Eusèbe.

verselle, que le progrès social conséquemment n'est pas d'origine philosophique. Je fais ici abstraction des hommes, je ne poursuis que l'idée, mais avec cette invincible énergie que donne le sentiment de la justice. Porphyre accuse les Grecs d'avoir corrompu les doctrines qu'ils avaient puisées chez les Égyptiens, les Chaldéens, les Phéniciens, les Lydiens et les Hébreux. Josèphe (1) démontre que Bérose de Chaldée, Jérôme d'Égypte, Nicolaus de Damas, se sont accordés en parlant de Moïse. Il faudrait donc détruire tous les monuments historiques pour faire disparaître l'idée des communications des divers peuples entre eux; il faudrait, en outre, détruire toutes les idées de l'expérience des siècles, et, ces idées disparues, il resterait encore les traits ineffaçables de famille que portent tous les systèmes philosophiques, et qui indiquent leur unité d'origine Præcepit nobis Deus; dii eritis; l'homme soumis à Dieu, ou l'homme souverain et Dieu. Il est impossible de sortir de là.

Hésiode et Homère sont les créateurs de la théogonie des Grecs (2). Leurs écrits renferment les traits épars qui furent ensuite réunis en corps de doctrine dans les ouvrages de philosophie. Il n'est pas une seule question philosophique agitée en Grèce qui ne soit indiquée par Homère. Hésiode et Homère avaient connu la Bible, comme l'indiquent plusieurs passages de leurs œuvres. Hesiode parle du chaos dans les mêmes termes que Moïse; il dit que le chaos d'où sont sorties toutes choses est le néant (3);

(1) Antiquités, liv. 1er.

(2) Hérodote.

(3) Voir Aristote, dans son livre sur Xénophane, sur Zénon et sur Gorgias.

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