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Tertullien leur faisait une réponse que j'inflige à bien des chrétiens, leurs imitateurs coupables :

<«<< En vain la vérité aura-t-elle répondu à tout par ma >> bouche: vous nous opposez l'autorité de vos lois, après >> lesquelles, dites-vous, il n'est plus permis d'examiner, >> et que vous êtes obligés de préférer à la vérité (1). »

Avant d'en venir à de telles préférences, l'homme avait renoncé à sa personnalité, car il avait renoncé à sa nature. Il n'a donc pas fallu s'étonner d'entendre la dernière expression du culte stupide, dont des misérables, dignes de pitié autant que de mépris, saluaient le bourreau qui les envoyait aux bêtes : « Salutant te, Cæsar, morituri! » Rien n'est comparable à cet avilissement, si ce n'est la douleur de le constater.

Descendu à ce degré d'ignominie, le monde païen n'avait plus de séve, et c'en était fait de l'espèce humaine, lorsque, sur ce vieil arbre aux rameaux desséchés, vint se greffer l'idée chrétienne.

« A qui est-il juste d'obéir, à Dieu ou aux hommes ? Monde, sois juge toi-même! » s'écrient un jour quelques pauvres pêcheurs auxquels on demandait un lâche silence. Cette simple parole est le signal de la régénération humaine; la personnalité est retrouvée. En vain la nature abrutie fait un formidable effort pour ensevelir la parole ou l'esprit; la matière ne peut tuer et ensevelir que les corps. En vain de prétendus chrétiens, en -réalité des esclaves de la cupidité, tenteront dans tous les siècles de nous ramener au culte de la matière, à l'adoration de la force, au paganisme de fait; au-dessus de leurs efforts impuissants, l'idée ou la parole plane pure, radieuse, et réhabilite l'humanité (1) Apologétique, IV.

en lui communiquant la vigueur d'une éternelle jeunesse. Cœlum et terra transibunt, verba autem mea non præteribunt.

III

Tempus faciendi, Domine: dissipaverunt legem tuam. (Ps. 18.)

Faire les lois, c'est faire acte de souveraineté ; les appliquer, c'est faire acte de ministre.

Les hommes font-ils les lois?

Ce qui est bien et conforme à l'ordre est tel par la nature des choses. Ce qui est mal et contraire à l'ordre est tel par la nature des choses.

Un être est bien, il est bon quand il est dans toutes les conditions de son existence. Lorsque Moïse raconte que Dieu, après la création, vit que tout était bien, il ne veut pas dire autre chose, sinon que chaque être suivait les lois de son existence.

Les lois des êtres sont donc leurs conditions d'existence, et leurs conditions d'existence sont inhérentes à leur essence. Or, l'homme ne peut ni changer ni même connaitre l'essence des êtres; il ne peut donc pas être l'auteur des conditions de leur existence.

Comment serait-il législateur, puisque les conditions de l'existence des êtres seront toujours antérieures à ses préceptes, qu'il ne les aura pas faites, qu'il les aura tout au plus formulées?

S'est-on jamais avisé d'appeler Newton le législateur de la nature, parce qu'il en a deviné et mathématiquement formulé les lois?

Si, au contraire, l'homme prescrit des préceptes qui ne soient point dans les conditions des êtres, il en est encore moins le législateur; car ce qui est contraire à la condition. des êtres n'est pas leur loi.

L'homme ne peut pas plus se donner à lui-même des lois qu'en imposer aux autres; il doit soumettre ses actes aux lois de sa conscience, qu'il ne peut ni faire ni changer; elles naissent avec lui, il les trouve toutes faites, et elles sont inflexibles, inexorables.

La loi sociale est la condition de l'existence de la société ; et la société est bien, elle est bonne quand elle est dans toutes les conditions de son existence. La société fut-elle jamais dans les conditions de son existence? L'état du monde entier répond à cette question. L'esclavage se lève en accusateur contre les lois sociales du paganisme, et le paupérisme, odieux esclavage des sociétés qui se prétendent civilisées, les accuse, par des millions de voix, d'avoir menti à leur origine chrétienne. L'homme qui prend le nom de législateur, qui se met à la place de Dieu, qui usurpe les droits de la nature, a osé quelquefois définir les actes de sa souveraineté sacrilége: la constitution du droit des nations contre la nature; et c'est de la nature humaine qu'il est ici question!!! Constituer la société humaine contre la nature humaine, c'est la prérogative de la souveraineté de l'homme et en même temps la preuve de la sagesse avec laquelle il l'exerce!

L'état de détresse, les cris d'angoisse de tous les peuples, et, plus que tout cela, leur stupide prostration, sont des signes trop évidents que la société n'est pas dans les vraies conditions de son existence.

Les révolutions incessantes qui bouleversent le globe,

ou, ce qui est pis, l'abjection des peuples, ont-elles une autre cause que les constitutions issues de la souveraineté humaine? Après les lois anciennes, après les lois barbares, après les capitulaires, après la pragmatique sanction, après le Code civil, après trois révolutions radicales, les lois sociales restent à formuler. Nous faudra-t-il encore six mille ans de tâtonnements et d'expériences sanglantes ou oppressives pour nous faire comprendre que la loi sociale n'est pas, ne peut pas être l'œuvre des hommes?

La justice dérive de Dieu seul. Si ses lois étaient observées, si nous savions résister à l'entraînement de nos passions, nous aurions à peine besoin d'être gouvernés. Mais l'indifférence, l'ignorance, les mauvais penchants des hommes leur ont fait comprendre le besoin d'une direction soutenue par la force. Ce sentiment universel, puisé dans l'expérience, ainsi que la vraie connaissance de la nature humaine pervertie, prouve sans réplique que l'ordre ne peut sortir ni de l'an-archie comme l'enseigne M. Proudhon, ni du désordre comme le pratiquait M. Caussidière. Pour que la proposition de M. Proudhon fût admissible, il faudrait que chaque homme fût complet dans son intelligence et dans sa volonté.

Si une direction ou gouvernement est nécessaire, cette direction est dans la nature; elle devient une des conditions de l'existence sociale, une de ses lois par conséquent; et c'est sous ce point de vue qu'apparaît le droit divin.

Toutes les lois de notré existence individuelle ou collective ressortent de Dieu : il y aurait folie et danger à le contester. Chercher l'origine du droit dans la souveraineté de l'homme, il n'y a qu'un tyran qui ait osé, en se déi

fiant lui-même, inventer cette doctrine, et il n'y a que des esclaves stupides et dégradés qui aient pu s'y soumettre. La conséquence logique du principe de la souveraineté humaine, c'est l'idolâtrie et l'oppression. Déifier l'homme, attribuer à son semblable les prérogatives de Dieu, c'est établir le rapport de l'esclave au maître, de l'idolâtre à l'idole.

Mais, me dira-t-on, vos déductions conduisent droit à la théocratie.

Oui, tout droit à la théocratie! Et qui aura le droit de s'en plaindre? De qui venez-vous? De Dieu. Pourquoi donc vous mettre sous la dépendance de l'homme?... L'homme, dans ma théorie, relève de Dieu, mais il ne relève que de lui seul.

La théocratie est la domination du clergé.

- La domination du clergé! c'est précisément l'inverse de ma thèse. Le sacerdoce est divinement institué pour conduire l'homme à Dieu, et non pour conduire l'homme à l'homme.

La théocratie élève l'homme à Dieu; l'idolâtrie le laisse à la créature; la domination du sacerdoce l'arrache à Dieu et au monde, elle le livre à la haine et à la méfiance. Aspirer à la domination, c'est rechercher sa propre gloire (1), au lieu de rechercher la gloire de Dieu (2); c'est se rendre soimême le centre des affections, des intérêts, des hommages; c'est prendre la place de Dieu, c'est en détruire l'idée ; je ne dis pas assez, c'est la rendre odieuse. La domination du clergé n'est pas la théocratie, elle en est le renversement. Un prêtre dominateur est un prêtre déicide. « Mal

(1) Concile de Cologne.

(2) Quærentes quæ sua sunt, non quæ Jesu Christi.

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