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tiennes, par des hommes qui n'ont pas craint de déshonorer le christianisme dans l'intérêt de leur ambition personnelle. Je n'ai jamais pu comprendre l'appui coupable que certains théologiens ont donné à cette maxime qui prend sa racine dans l'idolâtrie; je les aurais crus incrédules si je n'avais pu les supposer insensés ou pervers. L'homme n'appartient qu'à Dieu, telle est ma foi, et je me méfie de celui qui voudrait me donner à une autre domination, comme je me méfierais d'un Pharisien ou d'un pouvoir impie. Cavete a fermento Pharisæorum et fermento Herodis, a dit Jésus-Christ, mon souverain révélateur.

Je n'accuse pas Confucius : il ne savait pas; mais j'affirme l'impuissance de la philosophie, et quand, par suite d'une erreur, et d'une erreur imperceptible à bien des regards, je vois les douleurs de tant de peuples, de tant de générations d'hommes, je suis ému jusqu'au fond des entrailles, et je ne puis contenir l'accent de mon cœur brisé !

XIII

Le Japon, visité par nos missionnaires dès le douzième siècle, et qui nous a été révélé par Marco Polo et Rubruquis, a les mêmes doctrines que la Chine; l'idée du dogme y est plus effacée encore. Instruits par les Chinois et les Brahmanes, les Japonais conservent quelque souvenir confus de l'unité de Dieu, créateur de l'univers. Le nom hébreu du cap Comorin fait présumer qu'ils ont eu des rapports avec le peuple juif (1). Cette conjecture est confirmée par les voyages des navigateurs de Salomon en Ophir. Ces contacts avec le peuple de Dieu, et les souvenirs de la révélation primitive, expliquent comment quel(1) Marco Polo, liv. 111, ch. 53.

ques idées saines sur la divinité ont pu se conserver parmi les Japonais malgré le naufrage de la raison humaine. Mais ces idées, noyées au milieu de superstitions populaires et de pratiques barbares, sont restées inefficaces. Le peuple japonais se livre à un culte idolâtrique très-ressemblant à celui des anciens Égyptiens.

Osiris, au rapport de Diodore de Sicile, pénétra dans le Japon (1), qui se vante en effet d'avoir donné naissance à ce dieu. Les Japonais comparent le monde à un œuf; la metempsycose est la base de leur philosophie dogmatique, et la morale de Confucius le fonds de leur philosophie sociale. Cette morale affreuse y produit son résultat le plus rigoureusement logique : la servilité japonaise nous montre que le despotisme lui-même peut être perverti (2). Tous les crimes sont punis de mort dans ce malheureux pays, et le crime se réduit à la désobéissance à l'empereur. L'empereur est à la famille japonaise ce que Dieu est à la famille humaine. Il ne s'agit pas de punir le coupable, il s'agit de venger le prince; il n'y a de crime que dans les actes contraires à son intérêt (3), et là où il est possible qu'il y ait un coupable, on ne trouve jamais un innocent. Prosterne-toi donc devant ton Dieu de chair et de sang, stupide Japonais! Plus bas, plus bas encore ! le front élevé, tu pourrais paraître impie! Les lois qui procèdent de la souveraineté humaine sont faites pour que les hommes se surveillent les uns les autres dans l'intérêt de l'abjection générale telle est l'origine odieuse de l'inquisition. Au Japon, la philosophie, c'est la religion. La religion n'ayant

(1) Marco Polo, liv. I et II.

(2) Montesquieu, Esprit des Lois, 1re partie, liv. VI, ch. 7, p. 179. (3) Montesquieu, ibid.

ni dogme ni morale, les lois y suppléent, et les lois, pour être efficaces, ont besoin d'être d'une sévérité effrayante, d'une exécution inexorable. Ce peuple esclave hait le christianisme; Montesquieu en indique la raison : la fermeté qu'il inspire paraît dangereuse aux despotes.

Les théories des peuples orientaux ne donnent aucune satisfaction à la raison. Donc elles ne sont pas la vraie lumière. « C'est un fatras abominable, dit Voltaire, dont on >> ne peut pas lire deux pages sans avoir pitié de la na>>ture humaine. >>

Les traits purs de la tradition primitive ou de la vraie morale, que l'on y trouve de loin en loin, sont, de l'aveu de tous les sages, empruntés aux plus anciennes traditions, auxquelles ils attribuent une origine divine. Tous les philosophes de l'Orient ont invoqué, proclamé ou répété le fait de la révélation, origine de toute vérité. Or, ils étaient à la source, tout près du lieu où l'homme sortit des mains de Dieu comment n'auraient-ils pas reçu quelques rayons de la divine lumière? Ces rayons, je les reconnais à leur clarté, et, lorsque je les retrouve, leur beauté me ravit. Mais tout ce que les hommes y ont mêlé de leurs folies révolte mon cœur et humilie ma raison.

XIV

La Phénicie eut-elle une philosophie? Ses habitudes mercantiles ne lui permirent guère de se livrer aux spéculations abstraites de l'esprit. Cependant, Sanchoniathon, né à Béryte, et qu'Eusèbe regarde comme le plus ancien écrivain après Moïse, fit l'histoire des théogonies et des traditions phéniciennes. Certains passages de cet

ouvrage prouvent qu'il avait puisé ses connaissances sur la formation du monde dans le récit de Moïse ou à la source de la tradition biblique, encore oralement conservée en Phénicie. Moschus exposa une théorie de la for-mation du monde par la combinaison des atomes. Il répète absolument la théorie de Kapila. Sa cosmologie, comme celle de Kapila, est toute matérielle. Les ouvrages de Sanchoniathon et de Moschus sont les deux monuments les plus considérables de la philosophie des Phéniciens.

XV

Il est étrange que l'on demande si les Grecs ont une philosophie qui leur soit propre. Les générations humaines, poussées par les générations, se sont répandues sur les différentes parties du globe comme les eaux d'un fleuve qui coulent sans interruption du lieu de leur source dans des régions éloignées. Le mouvement ne change pas la nature de l'eau; les migrations des peuples n'ont pas changé le fond des idées humaines. Mais, tout en conservant sa nature, l'eau perd souvent sa pureté, selon les terres qu'elle traverse: ainsi des idées. Il ne faut donc pas s'étonner si la révélation primitive a été altérée d'une manière si profonde dans le cours des siècles. Or, la philosophie des Grecs n'est qu'une altération d'une philosophie déjà altérée, et les sages de l'Égypte n'avaient peut-être pas tort quand ils disaient aux sages de la Grèce : Vous, Grecs, vous n'êtes que des enfants. Ces derniers, en effet, s'éloignaient bien plus que les premiers des vérités révélées, et en faisaient l'aveu d'assez bonne grâce. « Quand >> je suis venu à considérer ces choses, dit Platon, je suis

>> resté convaincu que j'étais aussi incapable qu'il est pos»sible de l'être de pénétrer de pareils mystères, et je vais >> vous en donner une preuve frappante: Avant d'aborder >> ces méditations, je possédais parfaitement certaines con» naissances, du moins c'est le témoignage que me ren>> daient ma conscience et ceux qui étaient à même de me >> juger; eh bien! la réflexion sur ces matières me frappe » d'une cécité si grande, que j'ai désappris ce que je >> croyais savoir (1). » C'est ce qui arrive inévitablement lorsque l'homme cherche en lui-même le fondement de l'affirmation qu'il ne peut y trouver, puisque, étant objectif, il ne saurait être le foyer de la lumière. Diodore de Sicile signale ce fait sans en donner la raison : « Quand les >> hommes ne suivent plus la doctrine de leurs pères et » plongent au-dedans d'eux-mêmes, les dogmes primitifs » s'ébranlent. » Il est bien certain que l'homme ne sait que ce qu'il a appris, et qu'il ne peut rien apprendre qu'à l'aide de ce qu'il croit, car les premiers éléments de nos connaissances ne sont pas démontrables on les propose à notre intelligence, qui les saisit, mais sans qu'elle puisse jamais donner leur raison d'être. Le moyen terme primitif de nos connaissances est l'objet d'un acte de foi, jamais d'un raisonnement. Cela tient à l'essence de notre être créé, et postérieur à la vérité, qui ne vient à lui que par des idées transmises. En sorte que, demander si les Grecs ont eu une philosophie qui leur fût propre, c'est demander si un ensemble d'idées saines et vraies, c'est-à-dire révélées ou objectivées, leur a été communiqué. Ils ont peu su lire, dans le livre de la nature, les lois du monde matériel. Ce qu'ils ont écrit sur l'origine et la formation de l'univers (1) Dialogue sur l'âme.

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