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CHAPITRE VIII.

PHILOSOPHIES.

Omnis sapientia a Domino Deo est, et cum illo fuit semper, et est ante

ævum.

Ecclesiast., c. 1, v. 1.

I

La raison qui n'est pas allumée à l'éternel flambeau ne possède pas la véritable lumière; comment pourrait-elle la répandre? La vérité antérieure à l'homme ne saurait dépendre de lui. L'homme ne la connaît qu'autant qu'elle est objectivée dans son âme, je veux dire qu'autant qu'elle lui est communiquée par l'être qui en est le centre nécessaire. Le type primitif de la nature ne procède pas de l'humanité. Ceux qui en sont encore à parler de l'accord de la raison et de la révélation n'ont assurément jamais rien compris à cet amalgame de mots. Lorsque la vue intellectuelle ne voit pas l'éclat de la lumière révélée, la vue intellectuelle est malade, comme la vue corporelle est malade lorsqu'elle ne voit pas l'éclat de la lumière matérielle. Il faut alors guérir la vue; toute autre condition d'alliance entre la raison et la révélation est chimérique, et je suis à en attendre la démonstration, comme une curiosité, de ceux qui la connaissent puisqu'ils la proclament. Ils disent: Sans la raison, la foi n'est pas possible. Cela est juste; sans les yeux non plus, il n'est pas possible de voir. Cela ne signifie pas que la lumière procède de nos yeux, mais qu'elle y est reçue.

Les hommes ont toujours été impuissants à s'élever par

leurs propres forces à la connaissance exacte de la vérité morale. C'est ainsi que les sourds de naissance, avant d'avoir été instruits, ou, ce qui est la même chose, avant d'avoir reçu une révélation externe, n'ont qu'une faible notion du juste ou de l'injuste, du vice ou de la vertu (1). Il leur reste d'ailleurs la ressource des autres sens pour exciter leur intelligence. On les instruit au moyen de la vue, et quand on parvient à leur donner la plus haute idée de Dieu, ils la saisissent avec transport et avec une étonnante richesse de vues; ils sont en cela comme l'aveugle-né qui verrait le soleil par une soudaine guérison: cette idée ne s'efface plus de leur mémoire (2). Tous les phénomènes de la science donnent à l'homme un caractère évident d'objectivité; ce n'est point en lui-même qu'il cherche la genèse de la vérité et des faits de l'univers physique et moral; il n'est pas plus le sujet de la raison suprême qu'il ne l'est de la lumière universelle. Le miroir reçoit et reflète la lumière, mais ne la produit pas. Le soin de mettre notre intelligence en harmonie avec la raison suprême est la grande loi de notre nature dans l'ordre moral, de même que l'harmonie de nos rapports avec les corps qui nous environnent est notre grande loi dans l'ordre matériel. Si nous voulons nous rendre compte de la nécessité de cette double harmonie, ce ne sera pas à la raison d'un autre homme que nous irons demander un terme de comparaison. La philosophie insensée, qui de nos jours s'est déclarée souveraine (3) dans le domaine de la raison, a affirmé en même

(1) Voyez le travail curieux de M. de La Haye, t. 1, p. 207, neuvième livraison de l'Université catholique. Voyez aussi l'intéressant opuscule Langue universelle, par J. Rambosson.

(2) Statimque visum recepit, et glorificabat Deum. TоB.

(3) Cousin, introduction aux Discours politiques, p. 4.

temps qu'elle pouvait errer (1). Cet aveu de sa faillibilité fait plus que lui enlever son titre de souveraine, il lui enlève toute autorité; car, pourquoi abaisserais-je ina raison devant une erreur possible? Celui-là seul qui défie les siècles de le convaincre d'erreur (2) peut se proclamer le vrai révélateur.

On nous vante les lumières des sages de l'Orient et les rêves sublimes du génie appliqués à la conduite de l'humanité. Mais qui ignore qu'en Orient la dégradation des peuples fut plus profonde qu'en aucun autre lieu de l'univers, et que la morale de ces contrées, plus en opposition encore au type de la nature que celle de l'Occident, y a conservé des mœurs, des usages, des législations effroyables?

Depuis le commencement du monde jusqu'à nous, il n'y a eu que deux enseignements, ou deux écoles, et chacune de ces écoles a eu son révélateur. Præcepit nobis Deus, a dit celui de la première; Sicut dii eritis, a dit celui de la seconde. Ces deux enseignements n'ont pas la même date, mais ils ont le même berceau. Dieu, et il ne pouvait en être autrement, instruisit l'homme dès qu'il l'eut créé. Cet enseignement a été voilé partout, mais nulle part il n'a été entièrement effacé; on en trouve, dans toutes les philosophies du monde, des traces plus ou moins altérées par les erreurs qui y ont été mêlées. L'autre enseignement procède de cette voix même qui insinua dans le cœur de l'homme qu'il pouvait être dieu, et qui lui en inspira le désir. L'orgueil se l'est assimilé; l'homme a pris le moi humain pour le centre du monde et son intelligence pour le foyer primitif de la lumière, C'est pour cela que l'on af

(1) Cousin, Introduction aux Discours politiques, p. 5.
(2) SAINT LUC: Quis ex vobis arguet me de peccato?

firme que cet enseignement procède de l'homme; mais l'idée même de cette erreur lui a été révélée. L'autorité de l'histoire se joint à l'évidence pour établir cette révélation (1). Le double enseignement que se transmettent les hommes a donc une origine bien marquée, et il est facile d'y remonter en suivant l'empreinte non interrompue des pas de chaque école philosophique. Les philosophes se sont servilement répétés; pas une idée nouvelle n'a été par eux jetée dans le domaine intellectuel. Il est impossible d'articuler une vérité morale qui n'ait sa source dans la révélation divine, comme il est impossible d'articuler une vérité dans les arts et dans les sciences exactes qui n'ait sa source première dans les lois de la nature. L'homme est objectif par essence, et, pour lui, savoir, c'est voir. Il fait tous les jours d'heureuses applications des lois de la nature dans les arts; et, en s'éloignant de ces lois, il ne produit, il ne peut produire que des monstruosités. Il en est de même en morale l'erreur a eu ses variétés, ses accidents temporaires; mais, dans le fond, elle est toujours restée ce qu'elle est, un écart du type primitif de la loi des êtres. L'idée philosophique des premiers peuples de la terre, c'est-àdire des peuples de l'Orient, se retrouve, plus ou moins défiguréé, dans toutes les philosophies des diverses nations. Il n'y a à cela rien d'étonnant, car l'homme intelligent, comme l'homme physique, se développe; la vie morale lui est donnée comme la vie organique, ses idées lui sont données comme ses aliments matériels, et les idées comme les aliments qu'il s'assimile sont quelquefois d'une nature fort malsaine.

(1) « Cette philosophie, dit Malebranche, ne nous vient pas d'Adam; >> elle nous vient du serpent. » Le panthéisme a donc pris naissance dans l'orgueil de la plus sublime créature; il est devenu contagieux.

II

La philosophie primitive de l'Inde a un tel caractère de grandeur qu'on y reconnaît évidemment la trace encore fraîche de la première révélation divine.

La philosophie orientale comprend ce que l'on connaît des théories de l'Inde, de la Chaldée, de la Perse, de la Phénicie, de l'Égypte, de la Judée, de la Chine.

Les Védas (1) renferment la doctrine des Hindous sur Dieu, sur la création, sur l'âme, sur ses relations avec Dieu. On y voit poindre déjà l'idée de panthéisme, c'est une application encore timide du mot sicut dii eritis. Cette première embûche tendue à l'orgueil du premier homme se montre dans le premier écrit de l'enseignement humain. La matière n'est qu'une illusion, ou la forme des âmes, qui, après avoir subi diverses transformations, obtiendront leur délivrance finale en s'éteignant dans la grande âme. La théogonie des Hindous est une idolâtrie, comme le prouvent leurs dix-huit poëmes, appelés Pouranas (2), et leurs trois grandes épopées, le Ramayana, le Mahabharata, le Bhagavad-Gita. Le Ramayana (3) célèbre les courses de Rama; le Mahabharata chante les exploits des Kous et

(1) Les Védas ont quatre livres mis en ordre par Vyasa.

(2) Les Pouranas exposent la théogonie et la cosmogonie mythologiques des Hindous; ils sont attribués à Vyasa.

(3) M. Hippolyte Fauche vient de publier une élégante traduction de ce poëme. Valmiki, l'auteur, vivait à une époque rapprochée de celle de Moïse, près de mille quatre cents ans avant l'ère chrétienne, quatre cents ans environ avant Homère. L'unité est très-bien observée dans cette épopée orientale, où l'on admire des vues élevées, des passages d'une grande beauté d'inspiration et une imagination fantastique à laquelle on ne trouve rien de comparable, si ce n'est chez le Tasse et l'Arioste.

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