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intérêts privés s'accordent pour choisir des interprètes de la volonté de Dieu. Les rois choisissent ces interprètes et les enchaînent ainsi à leur cause. La caste sacerdotale devient toute-puissante. Elle n'a pas d'autre raison d'être que d'étendre son crédit, et de fortifier la souveraineté de ses créateurs. Du sommet de Babel, comme d'un observatoire gigantesque, le fourbe Araméen fait donc descendre une fausse doctrine sur les peuples pour les façonner par l'erreur à la domination humaine. La multitude oublieuse s'identifie bientôt avec la partie altérée de la tradition primitive, et les habiles profitent de sa crédulité pour inventer des systèmes qui les distinguent et les placent au-dessus du reste des hommes. Ainsi s'établit, par le crime de quelques-uns et la stupidité du plus grand nombre, ce double outrage à Dieu et à l'homme, le droit divin, qui livre la famille humaine à la merci de quelques individus.

Le droit divin se produit d'abord comme une manifestation ou plutôt comme une extension de l'essence divine. Cette essence divine se mêle aux astres majestueux qui sont répandus dans la voûte céleste, aux hommes privilėgiés, aux rois, aux sages des nations, et, pour rendre plus sensible la présence de l'essence divine dans les dominateurs de la terre, on les suppose fils du soleil ou d'un autre astre divin. L'essence divine se mêle enfin à toute la nature, elle anime la terre, les eaux, les plantes, les animaux, elle se confond avec les passions humaines; de là ces formes si multipliées, si bizarres, si monstrueuses de l'idolâtrie, qui n'est elle-même que la forme vulgaire du panthéisme, lequel se renouvelle de nos jours dans les théories philosophiques en termes identiques aux fables perfides de l'Araméen. Dieu sort de la raison du philo

sophe, comme il est autrefois sorti de la raison du Chaldéen. Il n'y a pas loin de l'âne de Wicleff à l'anubis des Égyptiens; et la raison de M. Proudhon est tout aussi puissante pour engendrer Dieu que celle d'un astronome de Babylone.

Babylone, bâtie à l'ombre même de Babel, étendait son influence politique et religieuse en Occident comme en Orient. La caste sacerdotale, toute-puissante, y rendait ses oracles, ne révélant au vulgaire que ce qu'elle avait intérêt à lui révéler. Cette race impie envoyait au reste du monde ses prêtres, ses juges, ses médecins, ses analystes, ses chantres sacrés, ses prophètes, ses magiciens, ses conjurateurs, ses astronomes, ses astrologues ou ses menteurs, comme les appelle Jérémie (1). Partout à la tête de la société, elle était chargée d'entretenir le feu sacré de la science, à la condition, bien entendu, de la cacher aux profanes (2). Inspirait-elle de l'ombrage aux tyrans, les honneurs divins qu'elle leur rendait devenaient un nouveau gage d'alliance entre elle et le trône.

La première personnification de la divinité reçut en Chaldée le nom de Bel, qui veut dire seigneur, maître toutpuissant. Désigna-t-elle dans le principe Djem-Schid, roi

(1) Déjà les astronomes araméens occupent les tours supérieures de Babel; un système humain, scientifique et religieux va en descendre pour remplacer la vraie tradition. (Hist. du Monde, par Henry et Charles de Riancey, tome 1, page 35.)

(2) Entourés de respect et de crainte, ils se séparèrent de la multitude, qui se crut trop heureuse de les combler de prérogatives, de leur assigner des tributs et des terres; enfin, ils formèrent une tribu distincte qui concentra en ses mains toutes les connaissances, c'est-àdire les traditions et les observations antiques, et n'en usa que pour sa gloire et son profit. (Idem, ibid. page 37.)

de l'Iran, Nemrod, fondateur de Babylone, ou le soleil (1)? C'est ce qu'il est difficile de discerner. Mais il est certain que les quatre premiers rois chaldéens, Nemrod, Evechous, Chomas, Phor ou Phegor, recurent les honneurs divins, et que leur apothéose fut le signal de la domination de l'homme sur l'homme pendant quatre mille ans. Les peuplades, en se séparant, portèrent avec elles sur toutes les parties du globe les erreurs de leur berceau. Bel ou Bal, Dieu de la Chaldée, fut également celui de l'Assyrie et de la Mésopotamie, soumises à l'empire de Babylone.

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IV

Dans les Indes, le seigneur ou le maître absolu s'appela Brahma et ses ministres brahmanes. Brahma était le principe; Vishnou et Siya, les deux premières productions de Brahma, étaient une extension de sa substance. Cette substance divine s'étendit et se personnifia, dans tous les êtres vivants. Dans la crainte sans doute de déchirer quelque portion de la substance divine, les brahmanes s'abstenaient de la chair de tous les animaux. Ils abandonnaient aux castes inférieures les occupations serviles, indignes d'eux (2). Les erreurs religieuses, sociales ou philosophiques qui se sont répandues dans l'univers ont leur ori

(1) Eschius, écrivain du troisième siècle, Servius, commentateur de Virgile, écrivain du cinquième siècle, soutiennent que le Bel des Phéniciens est le même que le Bel des Assyriens, et que le Bel ou Bal, ou Baal, est tantôt Saturne Chronos, tantôt le soleil. Giraldi et d'autres savants ont soutenu que dans beaucoup d'anciens manuscrits on lit Hel ou Hal au lieu de Bel ou Bal, et ils retrouvent le nom de Hel ou Bel dans le nom grec du soleil, Hélios.

(2) Les prêtres des Hébreux avaient fini par céder à l'entraînement des mœurs et de l'hypocrisie du sacerdoce païen; Jésus-Christ le leur reproche en ces termes : « Alligant enim onera gravia et importa

gine et jusqu'à leurs formes dans la théorie brahmanique, qui elle-même se modèle sur la théorie chaldéenne. Rien ne serait frappant comme la confrontation de chacun de nos systèmes, même les plus modernes, au système indou; mais cette confrontation monotone serait fastidieuse. Toutes les existences indiduelles devaient être absorbées dans Brahma par l'action de Siva ou du temps destructeur des formes. En attendant, la forme de Brahma ou Vishnou se personnifiait dans une multitude d'êtres à des degrés différents, et cette multitude de divinités subalternes donnait lieu à une multitude de cultes remplis de superstitions ridicules et révoltantes. Aucun tyran n'a immolė autant de victimes humaines que le féroce dieu des Indiens Djaggernath.

La magie régnait en Perse, où les prêtres, appelés mages, avaient des rapports directs avec les divinités invisibles, et exerçaient une puissance effrayante. La métempsycose, ou plutôt l'émanation de l'essence divine dans tous les êtres de la nature, était aussi la base de la religion chez les Perses. Les mages recevaient plus abondamment l'émanation divine, qui communiquait à leur âme une puissance capable de produire dans tous les êtres organiques et inorganiques l'animation, la pensée, la parole, et tous les phénomènes objets de la magie. La principale personnification ou incarnation divine se produisait dans Mithra. Le culte de ce dieu inspirait la crainte et l'effroi; les épreuves des initiations étaient si terribles, que l'initié y succombait quelquefois. Les mages, à l'exemple des brahmanes, et par les mêmes motifs, ne vivaient que de végétaux.

>> bilia et imponunt in humeros hominum: digito autem suo nolunt >> ca movere.» (S. MATTH., cap. 23, v. 4.)

V

La Chine semblait avoir conservé avec la pureté de la tradition primitive une idée plus juste de la divinité; mais elle reçut insensiblement les superstitions des brahmanes, des Chaldéens et des mages, et leur donna les formes bizarres du polythéisme et même d'un athéisme grossier. On y reconnaissait encore le culte d'un être suprême; mais cet être suprême n'avait qu'un prêtre : l'empereur, fils du soleil, homme et dieu tout à la fois, représentant l'État et le Céleste Empire dans sa personne. La divinité, selon Foé, dont la théorie est devenue la religion du plus grand nombre, la divinité émanait de l'empereur. Chaque action, chaque mot de l'empereur était un oracle, une loi. Ce genre d'idolâtrie passa au Japon et dans les royaumes de Siam et de Ceylan. Le régime des peuples russes nous donne une idée des douceurs que devait procurer cette idolâtrie. Et cependant elle n'est pas complète en Russie; l'empereur est bien le pontife suprême, mais il ne prétend pas à la divinité, quoique le principe régulateur de la conscience humaine émane de lui.

Le bouddhisme pratiqué dans la Corée et dans le Mongol n'est qu'une transformation du brahmanisme. L'incarnation, au lieu de se faire par Vishnou, se fait par Bouddha. Pendant les intervalles de ces incarnations ou émanations de la raison suprême, lesquelles ne se produisent que tous les cinq mille ans, le Dieu réside dans Dalaï-Lama, qui habite le Thibet, Ses prêtres s'appellent lamas. Quand DalaïLama meurt, les lamas le remplacent par celui d'entre eux qui lui ressemble le plus, et, au moyen de cette supercheric, ils font croire à l'immortalitė du grand lama.

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