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eux-mêmes à l'aide du sens vague et indéterminé qu'ils laissent au mot, ne voyant pas la marche de l'idée.

Cette erreur funeste, source de tous nos maux, offre deux aspects. Aux uns, il apparaît que la société s'appartient à elle-même, qu'elle peut se régir comme elle l'entend, qu'elle est à elle-même sa providence. Où irait-elle chercher la règle de sa conduite et la base de ses lois, en dehors de sa volonté, quand elle a dit : Dieu, c'est moi! Or, le caractère de la divinité, c'est la souveraineté. Voilà sans doute pourquoi la révolution ne pactise pas avec la divinité (1). Affaire de rivalité.

Selon les autres, l'individu réunit en lui-même tous les éléments de la souveraineté. « Dieu est la force universelle pénétrée d'intelligence qui produit, par une information infinie d'elle-même, les êtres de tous les règnes, depuis le fluide impondérable jusqu'à l'homme, et qui, dans l'homme seul, parvient à se connaître et à dire moi (2). » - Comprenez-vous une force universelle, pénétrée d'intelligence, qui produit tous les êtres et qui n'a pas le sentiment de sa propre existence avant de l'avoir rencontré dans l'homme? Mais le vrai tour de force, c'est de ne pas permettre à la révolution de pactiser avec Dieu, et de mettre Dieu et l'homme en communion si intime. A toi, Satan! je ne vois de place que pour toi dans la révolution ; la révolution ne pactise pas avec Dieu; Dieu et l'homme ne se séparent pas!

Il faut convenir que, tout en se proposant le plus noble but, l'amélioration des hommes, les écrivains qui s'éloignent de l'idée chrétienne, même ceux qui passent pour

(1) Proudhon, Idée générale de la révolution, page 10. (2) M. Proudhon.

les plus pénétrants et les plus profonds, renversent nonseulement les systèmes les uns des autres, mais leurs propres systèmes, parce qu'ils partent d'une idée fausse, à savoir qu'il est dévolu aux hommes de déterminer les rapports sociaux, lorsqu'il ne leur appartient que de les interpréter et de les suivre. L'expérience des siècles, l'expérience de tous les jours atteste l'impuissance où ils sont de réaliser les théories qui leur sont propres.

Qu'est-ce à dire? L'homme subira-t-il donc le droit divin? Le droit divin étant la vérité du droit, l'homme ne le subira jamais assez! Si je n'eusse rencontré que la vérité du droit dans les constitutions des anciens peuples, si je l'avais vu adopté franchement et sans combats dans les constitutions qui datent de l'ère d'affranchissement, je n'aurais pas pris la plume, et je n'aurais eu de voix que pour chanter des hymnes. Mais je n'ai trouvé que d'aveugles préjugés contre le droit divin, seule garantie de la liberté humaine; car, où réside le droit divin, si ce n'est en Dieu? et ce droit peut-il apparaître sur la terre sous une autre forme que celle de la vérité, de la vérité morale dans nos œuvres?

L'homme, pour s'affranchir du droit divin, subira-t-il le droit de la force, de la force aveugle et brutale, qui part de la souveraineté humaine et constitue le droit des nations contre la nature?

Subira-t-il le droit du capital, combinaison perfide de l'égoïsme qui jette tout le poids de la matière dans l'un des plateaux de la balance?

Subira-t-il le droit de la souveraineté de la raison, avec ses contradictions et ses erreurs?

Trouvera-t-il, enfin, un principe capable de produire

l'ordre et la liberté, qui ne sont qu'une même chose? Ce principe sera-t-il la loi du travail, un contrat social, un pacte juré?

La loi du travail n'est pas un principe; elle est une conséquence, une déduction de ensemble de notre organisation naturelle.

Un contrat social! un pacte juré! Il n'y a que les choses conventionnelles par leur essence qui puissent être les objets d'un contrat ou les éléments d'un pacte. Le droit social ne peut pas résider sur une base si mobile. Est-ce par contrat que l'on a faim ou soif? Les besoins moraux comme les besoins physiques sont évidemment de création, et les droits sont la résultante des besoins de création. Que peuvent les contrats contre les appétits de la vie animale? Que peuvent-ils contre les besoins moraux, et à quel titre peuvent-ils annuler les droits qui en dérivent? Aussi, une révolution sociale n'a-t-elle jamais été la dénonciation de la rupture d'un contrat. Une révolution sociale se produit pour briser le contrat lui-même, pour en proclamer le mensonge et protester contre l'impiété d'un pouvoir qui envahit les droits de la nature et dévie des larges voies que Dieu lui a ordonné de suivre. C'est ainsi, du moins, que j'explique la chute de la civilisation païenne.

Avant l'ère du christianisme, les révolutions d'empires étaient fréquentes, les guerres atroces: delenda Carthago. Mais l'idée de révolution sociale eût-elle été même soupçonnée? Cette idée ne pouvait pas naître avant l'idée du dogme de la fraternité, et, en présence de ce dogme, l'ancien ordre social n'aurait pas pu subsister. Ce dogme, généralement accrédité aujourd'hui, et semblable à la colonne lumineuse que suivait le peuple hébreu dans le dé

sert, doit éclairer ceux qui sont au premier rang, comme dit le Christ; il doit guider leurs pas dans le désert stérile des théories humaines, les affermir contre les tempêtes qui éclatent si souvent au choc des partis, et les rassurer contre la foudre qui gronde dans leur sein. L'idée de fraternité détermine la nature des pouvoirs humains, les moyens et le but des gouvernements. Il n'y a de grandeur humaine que pour l'utilité des faibles. L'éloquence de Donoso Cortès et la vigoureuse logique de M. de Maistre ne feront jamais croire à la noblesse originelle. La noblesse n'est un titre de gloire qu'autant qu'elle est le symbole d'une plus grande vertu, d'une plus pure abnégation (1)! L'usage de la force et de la puissance n'est légitimé que par les services qu'elles rendent à l'humanité.

Si cette théorie effraye l'imagination par l'immensité de la perspective nouvelle qu'elle ouvre à l'esprit, au moins n'offense-t-elle pas la conscience d'un seul honnête homme. Si quelqu'un s'indigne à la voix de celui qui réclame de la société, pour chaque homme, la satisfaction de tous les besoins de création, qu'il me maudisse, j'ai droit à sa colère, car je viens troubler le sommeil de son égoïsme. Mais que la société cesse de vouloir régler les besoins de création: ils ne peuvent être l'objet ni d'un contrat ni d'une législation, à moins que l'on ne veuille substituer le désordre à l'harmonie, le délire de l'homme à la sagesse divine (2), le néant à la majesté de l'univers.

La beauté de la société humaine ressortira, comme celle de l'univers, du cours régulier des lois qui lui sont propres.

(1) Qui voluerit inter vos primus esse erit vester servus.

(2) Videns autem turbas, misertus est eis: quia erant vexati, et acentes sicut oves non habentes pastorem. (MATTH., c. IX, v. 36.)

Etudier ces lois, les mettre en relief, montrer que leur accomplissement est possible, nécessaire, qu'il est la condition du bonheur de tous et de chacun, tel est le programme des études dont cet ouvrage est l'objet.

II

Rudibus populis plana...
Conc. Arqui., xxi, f. v.

L'humanité et l'organisation humaine sont l'œuvre de Dieu. L'être humain le plus complet a une enfance; plus tard, une vieillesse ; à tout àge, il peut avoir des infirmités. Ce triple état de faiblesse réduit l'homme à l'impossibilité de mettre en jeu l'ensemble de son organisation, qui est la vie. Dans l'enfance, il a besoin, pour vivre, d'un secours étranger. Cette nécessité d'un secours constitue le principe de la société première, de la famille.

soin?

Par qui est dû à l'enfant le secours dont il a be

Évidemment, par les auteurs de ses jours.

Ces secours dus à l'enfant obligent-ils la famille ?
Sans nul doute.

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Là seulement où cesse le besoin de l'enfant. Dieu, par la nature de notre organisation, a marqué la nature et l'étendue de notre droit.

- Quelle est l'étendue du droit de l'enfant?

- L'étendue des besoins auxquels l'a soumis la nature.

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