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cultés. Il suffit qu'une constitution les émousse pour qu'elle soit monstrueuse. Mais comment dans ce cas nous feraitelle arriver à Dieu en remontant l'échelle des êtres à l'infini? Et si la vérité est infinie, comment ne pas la discerner, puisqu'elle est partout? Arrachez-vous donc à l'action du soleil quand il inonde le globe de ses torrents de lumière? D'un autre côté, si la lumière est infinie, comment la discerner tout entière d'un seul trait de notre esprit nécessairement limité? On croit rêver en lisant de pareilles. affirmations chez les génies du siècle. On ne peut voir que la vérité; le mensonge n'a pas des éléments constitutifs que l'on puisse voir. M. Thiers est à Paris, voilà la vérité; il est à Londres, voilà le mensonge. Le voir toujours à Paris serait-ce ne pas le voir? Faudrait-il le voir à Londres où il n'est pas? Où n'est pas la vérité, il n'y a rien, et le néant ne se voit pas, que je sache. Comment le discernement continu du vrai nous ferait-il aboutir au néant, puisque le vrai est l'élément unique et absolu de la vie? Ce qui nous conduit au néant, c'est l'absence du vrai. Ah! il faut que certaines écoles philosophiques le redoutent bien, puisqu'elles nous le représentent comme portant la mort ; je sais bien où le vrai porte la mort, c'est dans vos théories, et c'est une preuve de plus qu'il est la vie des sociétés.

Mais laissons les autres principes pour arriver au principe fondamental de la théorie de M. Thiers sur la propriété, et voyons où aboutit la dernière conclusion d'un principe incomplet.

<«< Avant de chercher à démontrer que la propriété est un droit, un droit sacré comme la liberté d'aller, de venir, de penser et d'écrire, il importe de se fixer sur la méthode de démonstration à suivre en cette matière.

>> Quand on dit : L'homme a le droit de se mouvoir, de travailler, de penser, de s'exprimer librement, sur quoi se fonde-t-on pour parler de la sorte? Où a-t-on pris la preuve de tous ces droits? Dans les besoins de l'homme, disent quelques philosophes. Ses besoins constituent ses droits, il a besoin de se mouvoir librement, de travailler pour vivre, de penser; quand il a pensé, de parler suivant sa pensée. Donc il a le droit de faire ces choses! Ceux qui ont raisonné ainsi ont approché de la vérité et ne l'ont pas atteinte, car il résulterait de leur manière de raisonner que tout besoin est un droit, le besoin vrai comme le besoin faux, le besoin naturel, simple, comme le besoin provenant d'habitudes perverses (M. Thiers ne veut pas d'équivoque). Je sais bien que les philosophes qui ont raisonné ainsi ont distingué et ont dit: Les vrais besoins font les droits. Alors reste à chercher quels sont les besoins vrais, à discerner les vrais des faux (1). »

Il est incontestable que le besoin de manger est un besoin vrai; il n'est pas moins incontestable que ce besoin est un besoin commun. Si le droit de propriété est un droit qui corresponde à un besoin commun, le droit de propriété est un droit commun. Besoin vrai et droit sont corrélatifs, donc toute possession supérieure au besoin est une propriété sans droit. Peut-on mieux prouver que ne l'a fait M. Thiers la proposition de M. Proudhon : « La propriété, c'est le vol? >>

<< Après avoir observé l'homme, je vois qu'il a besoin de » penser, d'exercer cette faculté, qu'en l'exerçant elle se » développe, s'agrandit, et je dis qu'il a droit de penser, » de parler, car penser, parler, c'est la même chose. Je le (1) De la Propriété, livre 1, pages 15 et 16.

» lui dois, si je suis gouvernement, non pas comme au >> chien dont je viens de faire mention, mais comme à un >> être qui est mon égal, à qui je donne ce que je sais lui >> être dû et qui reçoit fièrement ce qu'il sait lui appartenir. >> En un mot, c'est toujours la même méthode (1). » C'est le même droit, c'est le même besoin donnez donc la propriété à celui qui n'a pas, comme vous lui donnez la pensée, comme vous lui donnez la parole. Il recevra fièrement ce qui est établi sur le même titre, sur le même besoin, et conséquemment sur le même droit................. Eh quoi! vous reculez, logicien inconséquent! Pourquoi donc avez-vous écrit? Vous avez écrit, non pas pour constater l'égalité du droit à la propriété, mais pour justifier le droit des grandes propriétés. Vous avez voulu combattre les communistes, vous avez été leur plus éloquent avocat.

Je résoudrai cette difficulté en son lieu; j'ai voulu seulement constater, en passant, l'impuissance où est la raison, sans la foi en un principe primitif, d'établir une théorie équitable car, à qui M. Thiers le cèderait-il en fait de ressources d'esprit ? Je lui dirai donc aussi : Quæ sursum sunt sapite, et sans cette sagesse je le défie d'être logicien.

<«< Mais moi, ajoute M. Thiers, qui m'en rapporte aux >> faits visibles pour augurer des volontés de Dieu (2). »

Vous vous en rapportez aux faits visibles pour augurer des volontés de Dieu! Il n'y a pas longtemps, car tout le monde vous a vu combattre très-visiblement les faits visibles. du passé. Ne vous vantez pas si haut de votre foi; dans le fond, elle ne vous ferait que médiocrement honneur, car les faits visibles, des faits malheureusement trop visibles,

(1) De la Propriété, chap. II, page 19,

(2) De la Propriété, page 45.

dégradent souvent au lieu de relever la nature de l'homme: or, cette dégradation n'est pas la loi de la création, elle en est le renversement. N'était-ce pas là votre conviction, lorsque vous avez travaillé à la destruction des faits permanents du passé?

La subtile définition que vous donnez de la liberté ne vous vient point en aide; elle enlève, au contraire, toute base à votre théorie. La liberté, dites-vous, consiste à se tromper, à pouvoir souffrir; mais l'erreur ne produit que des faits contraires à la nature de nos rapports, contraires aux lois de la création. En partant de ces faits pour élever votre théorie, c'est donc l'erreur que vous lui donnez pour fondement. La souffrance, je l'ai dit déjà, n'est point un attribut de notre nature, el'e en est une altération : vous êtes malade quand vous souffrez. J'ai montré que la conscience du genre humain n'a expliqué le fait des douleurs de l'humanité que par le fait de son altération primitive, et vous l'avez prouvé vous-même en affirmant que le droit était le corrélatif du besoin vrai. L'homme a le droit de satisfaire son besoin vrai, donc il a le droit de ne pas souffrir. Les faits visibles qui accablent l'humanité de souffrances sont manifestement des faits contraires aux lois de la création, et ces faits, loin de constater les volontés de Dieu, constatent l'abus que nous faisons de notre liberté. <«< La liberté de l'homme, c'est l'innocence (1). » Je vous défie de la bien définir et de la rendre légitime en dehors de cette affirmation. Vous vous en rapportez aux faits visibles pour augurer des volontés de Dieu : vous croyez donc en Dieu? Comment alors affirmez-vous que vous êtes le propriétaire incontestable de vos pieds, de votre bras, de votre (1) Alcuin.

corps, du principe qui l'anime? La vie des êtres créés n'est qu'un rapport, l'idée de rapport est une idée de dépendance, et l'usage de votre bras, de vos pieds, de votre corps, du principe qui l'anime, dépend de la volonté de Dieu. Propriétaire incontestable de votre bras, de votre esprit, malheur à vous si vous en faites un mauvais usage: vous avez prononcé le nom de Dieu, vous aurez un compte à rendre.

Cette reddition de compte sonne mal à l'oreille du propriétaire incontestable. L'idée de Dieu vous gêne, il faut la détruire. Le brillant Alcibiade, doué de toutes les facultés à la fois, manquera-t-il de ressources à cet effet? Nous allons le voir. « Ces facultés inégales, consistant en plus de forces musculaires ou en plus de forces intellectuelles, sont à l'homme, à qui Dieu les donna ; il les tient de Dieu (1). »

Proposition vraie, mais qui entraîne l'idée de dépendance et ne laisse pas l'homme autonome. Il faut donc détruire cette importune idée. C'est l'affaire d'un trait de plume; c'est encore la flèche du Parthe, ou le blasphème de M. Proudhon, de ce Dieu que je nommerai comme il vous plaira (M. Thiers n'y tient pas, il en fait bon marché), Dieu, fatalité, hasard, auteur, enfin, quel qu'il soit, auteur des choses, les laissant faire ou les faisant, les souffrant ou les voulant (2). »

<«<< Quand des hommes d'un esprit aussi éminent que >> M. Thiers, et élevés comme lui à l'école du dix-huitième » siècle, font de tels retours et se sentent arracher de tels >> hommages, ces fortes leçons prennent dans leur bouche un >>> caractère singulier, et leur parole répond à une inspira» tion dont Dieu seul a le secret. » Voilà par quels hymnes

(1) Thiers, de la Propriété, page 43.

(2) Idem, page 44.

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