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>> miers pères ne fut pas de longue durée; ils virent bientôt » s'échapper, par leur faute, toutes les félicités qui avaient >> jusque-là embelli leur existence. L'homme mangea le » fruit d'une plante blanche, et tout fut consommé (1). » Les Scythes avaient des traditions étonnantes de ressemblance avec celles des autres peuples (2).

Les Grecs et les Romains ont perpétué l'universelle tradition.

Hésiode, dans sa theogonie, la plus ancienne que nous connaissions, est si frappé du fait de la déchéance humaine, qu'il y revient sans cesse. Il en parle encore dans son poëme des Travaux et des Jours. « Furieux d'avoir » été trompé, Jupiter nous cache le feu de la vie; voilà >> pourquoi il condamne les hommes aux cruels travaux. » L'admirable épisode de Pandore, qu'est-il autre chose que l'histoire d'Ève? Prométhée, dérobant le secret de Jupiter, ne rappelle-t-il pas Adam apprenant le bien et le mal? Le vautour qui dévore les entrailles de Prométhée n'est-il pas l'emblème du remords, des regrets éternels qui déchirent le sein de l'humanité entière et la portent à se déchirer elle-même avec un aveuglement et une fureur que ni les siècles ni les tombeaux entassés ne peuvent calmer? N'en est-il pas de même d'Épiméthée, dont le nom signifie qui réfléchit trop tard? Ce ne fut, en effet, qu'après l'avoir commise qu'il reconnut sa faute. Mais les maladies, les maux, la mort, s'étaient déjà échappés de la fatale boîte si imprudemment ouverte par lui.

Penthée a la curiosité de voir les sacrifices secrets

(1) Ozanam, Analyse de Benjamin Bergam. (2) Hérodote, Diodore de Sicile.

qu'on offrait à Bacchus, et dans ce dessein il monte sur un arbre... « Puni de sa curiosité sacrilege, il tombe dans un » état de démence. Le caractère propre de sa démence est >> de voir les objets doubles. » N'est-ce pas là l'état d'Adam, qui voit Dieu en Dieu et qui le voit aussi dans le moi humain? Penthée voyait deux soleils. Sa vie misérable se consume dans une alternative interminable de mouvements opposés, en punition de sa témérité. Et c'est la vie de tous les hommes après la chute du genre humain. Homère, contemporain d'Hésiode, croyait, comme lui, à la faute originelle du premier homme et de la première femme et à la solidarité du genre humain, qui n'a pas d'autres moyens d'expliquer ses malheurs, ses crimes, sa dégradation. «< Jadis Até offensa Jupiter, qu'on dit être >> au-dessus des hommes et des dieux; Jupiter prononça >> le serment terrible... En parlant ainsi, il la saisit d'une >> main vigoureuse, la précipita des cieux, et bientôt elle >> atteignit la terre habitée par les hommes (1). » Ce n'est pas un langage digne et simple comme celui de Moïse; mais n'est-ce pas au fond la même idée? Voici l'expression très-remarquable de Timée de Locres, disciple de Pythagore : « Nous apportons le vice de notre nature, de nos an» cêtres; ce qui fait que nous ne pouvons jamais nous dé>> faire de ces mauvaises inclinations qui nous font tomber » dans le défaut primitif de nos premiers parents. >> Platon affirme cette même croyance avec la netteté de son magnifique langage : « La nature et les facultés de l'homme ont » été changées et corrompues dans son chef dès le com» mencement. » Cicéron ne l'articule pas avec moins de précision : « Nous naissons pour expier certaines fautes (1) Iliade, liv. XIX,

>> commises dans une vie précédente (1). » Nous n'avons pas plus l'idée que la preuve de cette vie précédente. Ces fautes, que nous expions pendant toute notre vie, ne peuvent donc se rapporter qu'au malheur de notre déchéance, qui nous prive encore, selon Cicéron, de notre lumière naturelle (2). Les livres religieux et politiques, qui furent partout la sagesse des nations, reproduisent sans cesse la même idée sous toutes les formes. La recherche des sources du mal est dans l'ordre de la nature. Mais le concert unanime des peuples à attribuer la cause du mal à une faute originelle, comment l'expliquer autrement que par l'affirmation même de cette faute? Cette idée peut être d'autant moins inventée par la raison humaine, qu'elle est plus contraire à toutes nos notions de justice en dehors de la vraie science. D'ailleurs, où trouver une autorité capable de donner à une affirmation un pareil caractère d'universalité et de perpétuité? La vérité seule peut donner à un fait un crédit universel pendant six mille ans. Pythagore, disciple de Zoroastre, en constatant qu'une faute première était la cause de l'altération de notre nature, a cherché à l'expliquer par la transmigration successive des âmes dans différentes espèces de corps. Platon a répété ce frivole système, qui n'explique rien, mais qui concourt à attester l'unanime croyance d'une faute originelle. Virgile (3) se rapproche

(1) Ob aliqua scelera suscepta in vità superiore pœnarum luendarum causa nos esse natos. (HORTENSIUS, traité perdu, mais cité par saint Augustin, et dont les fragments ont été recueillis.) (2) Obrutus quidem divinus ignis.

(3) Ante Jovem nulli subigebant arva coloni;

Ne signare quidem aut partiri limite campum
Fas erat; in medium quærebant; ipsaque tellus
Omnia liberiùs, nullo poscente, ferebat.

(Géorg., livre 1.)

encore plus de la vérité. Ovide (1) et Horace (2) semblent avoir connu nos livres saints, tant leur sentiment sur la faute originelle est clair et lucide. Lucrèce, que n'entraînent pas les préjugés religieux, n'est pas moins précis (3). Le langage de Pline n'est ni moins pittoresque ni moins poétique, et il est profond comme une inspiration de la foi (4). Les livres sibyllins, dont l'origine se perd dans l'obscurité de la fable, parlent de la création de l'homme, de sa dignité originelle, en termes qui n'ont rien d'équivoque, et plus clairement encore de sa chute provoquée

(1) Aurea prima sata est ætas, quæ vindice nullo Sponte suâ, sine lege, fidem rectumque colebat.

...

Ipsa quoque immunis, rastroque intacta, nec ullis
Saucia vomeribus, per se dabat omnia tellus.

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(3) Et tellus nitidas fruges vinetaque læta

Sponte suâ primùm mortalibus ipsa creavit,
Ipsa dedit dulces fœtus, et pabula læta;

Quæ nunc vix nostro grandescunt aucta labore;
Conterimusque boves et vires agricolarum.

(LUCRET., livre 11, v. 1157 et seq.)

(4) Animal cæteris imperaturum à suppliciis vitam auspicatur, unam tantum ob causam quia natum est. (Hist. nat., livre VII.)

par le serpent (1). Mais ce ne sont pas seulement les philosophes de l'antiquité, ce sont les philosophes de tous les âges qui ont affirmé la déchéance humaine. On lit dans Montaigne : « Il me faut trouver la cause de notre corrup» tion, il me faut trouver par où elle s'est insinuée dans >> notre nature, et par quels moyens nous nous sommes si >> étrangement éloignés de nos conditions premières. Je » viens d'arrêter que Dieu fit l'homme d'une tout autre >> sorte et tel qu'il devait être... C'est notre volonté qui de >> soi s'est dévoyée, et par sa franche volonté, de la droite >> carrière, et précipitée au gouffre de tout mal et de tout >> vice (2). » Selon Bayle, « l'âme de l'homme a été créée dans l'ordre, aussi bien que les autres choses, par un être infiniment parfait; et si elle n'y est plus, c'est parce qu'abusant de sa liberté, elle est tombée dans le désordre (3). » Locke, établissant les justes conséquences d'une révélation prouvée, dit très-énergiquement: La parole de Dieu est la démonstration de tout ce qu'il révèle (4). « Aurea prima sata est ætas, est la devise de toutes les nations,» a dit Voltaire (5).

« L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux (6). » M. de Humboldt a retrouvé les mêmes traditions en Amé

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Ανθρωπον πλάσθεντα Θεοῦ παλαμαῖς ἔνι αὐταῖς
Ου κε πλάνησεν ὄφις δολίως ἐπὶ μοῖραν ἀνελθεῖν
Τοῦ θανάτου, γνώσιν τε λαβεῖν ἀγάθου τε κακου τε.
(2) Théologie naturelle.

(3) Dict., art. Homme.

(4) 3e lettre de Locke à Stilling, fleet.

(5) Essai sur les mœurs.

(6) Lamartine, Méditations poétiques.

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