Page images
PDF
EPUB

terre. Chez les anciens, elle couronnait la coupe du banquet, et les cheveux blancs du sage; les premiers chrétiens en couvraient les martyrs, et l'autel des catacombes; aujourd'hui, et en mémoire de ces antiques jours, nous la mettons dans nos temples. Dans le monde, nous attribuons nos affections à ses couleurs : l'espérance à sa verdure, l'innocence à sa blancheur, la pudeur à ses teintes de rose; il y a des nations entières où elle est l'interprète des sentiments: livre charmant qui ne renferme aucune erreur dangereuse, et ne garde que l'histoire fugitive des révolutions du cœur!

En mettant les sexes sur des individus différents dans plusieurs familles de plantes, la Providence a multiplié les mystères et les beautés de la nature. Ainsi, la loi des migrations se reproduit dans un règne qui semblait dépourvu de toute faculté de se mouvoir. Tantôt c'est la graine ou le fruit, tantôt c'est une portion de la plante, ou même la plante entière qui voyage. Les cocotiers croissent souvent sur des rochers,

au milieu de la mer : quand la tempête sur vient, leurs fruits tombent, et les flots les roulent à des côtes habitées, où ils se transforment en beaux arbres; symbole de la vertu qui s'élève sur des écueils exposés aux orages plus elle est battue des vents, plus elle prodigue de trésors aux hommes.

On nous a montré au bord de l' Yar, petite rivière du comté de Suffolk en Angleterre, une espèce de cresson fort curieux : il change de place, et s'avance comme par bonds et par sauts. Il porte plusieurs chevelus dans ses cimes; lorsque ceux qui se trouvent à l'une des extrémités de la masse. sont assez longs pour atteindre au fond de l'eau, ils y prennent racine. Tirées par l'action de la plante qui s'abaisse sur son nouveau pied, les griffes du côté opposé lâchent prise, et la cressonnière, tournant sur son pivot, se déplace de toute la longueur de son banc. Le lendemain, on cherche la plante dans l'endroit où on l'a laissée la veille, et on l'aperçoit plus haut ou plus bas sur le cours de l'onde, formant, avec le

1

reste des familles fluviatiles, de nouveaux effets et de nouvelles harmonies. Nous n'avons vu ni la floraison, ni la fructification de ce cresson singulier, que nous avons nommé MIGRATOR, voyageur, à cause de nos propres destinées.

Les plantes marines sont sujettes à changer de climat; elles semblent partager l'esprit d'aventure de ces peuples insulaires, que leur position géographique a rendus commerçants! Le fucus giganteus sort des antres du Nord, avec les tempêtes; il s'avance sur la mer, en enfermant dans ses bras des espaces immenses. Comme un filet tendu de l'un à l'autre rivage de l'Océan, il entraîne avec lui les moules, les phoques, les raies, les tortues qu'il prend sur sa route. Quelquefois, fatigué de nager sur les vagues, il allonge un pied au fond de l'abîme, et s'arrête debout; puis, recommençant sa navigation avec un vent favorable, après avoir flotté sous mille latitudes diverses, il vient tapisser les côtes du Canada, des guirlandes enlevées aux rochers de la Norwège.

Les migrations des plantes marines, qui, au premier coup d'œil, ne paraissent que de simples jeux du hasard, ont cependant des relations touchantes avec l'homme.

En nous promenant un soir à Brest, au bord de la mer, nous aperçûmes une pauvre femme qui marchait courbée entre des rochers; elle considérait attentivement les débris d'un naufrage, et surtout les plantes attachées à ces débris, comme si elle eût cherché à deviner, par leur plus ou moins de vieillesse, l'époque certaine de son malheur. Elle découvrit sous des galets une de ces boîtes de matelot qui servent à mettre des flacons. Peut-être l'avait-elle remplie elle-même autrefois pour son époux, de cordiaux achetés du fruit de ses épargnes du moins nous le jugeâmes ainsi, car elle se prit à essuyer ses larmes avec le coin de son tablier. Des mousserons de mer remplaçaient maintenant ces présents de sa tendresse. Ainsi, tandis que le bruit du canon apprend aux Grands le naufrage des Grands du monde, la Provi

dence, annonçant aux mêmes bords quelque deuil aux petits et aux faibles, leur dépêche secrètement quelques brins d'herbe et un débris.

« PreviousContinue »