Page images
PDF
EPUB

car, pour les lui ravir, il faut les arracher de ses entrailles.

Parlerons-nous du poison de ce serpent, toujours plus violent au temps où il a une famille? Raconterons-nous la tendresse de l'ours qui, semblable à la femme sauvage, pousse l'amour maternel jusqu'à allaiter ses enfants après leur mort ? Qu'on suive ces prétendus monstres dans leurs instincts; qu'on étudie leurs formes, leurs armures; qu'on fasse attention à l'anneau qu'ils occupent dans la chaîne de la création; qu'on les examine dans leurs propres rapports, et dans ceux qu'ils ont avec l'homme, nous osons assurer que les causes finales sont peut-être plus visibles dans cette classe d'êtres, qu'elles ne le sont dans les espèces plus favorisées de la nature : de même que dans un ouvrage barbare, les traits de génie brillent davantage au milieu des ombres qui les environnent.

L'objection que l'on fait contre les lieux

1. Voyez les Voyages de Cook.

que ces monstres habitent, ne nous paraît pas mieux fondée. Les marais, tout nuisibles qu'ils semblent, ont cependant de grandes utilités. Ce sont les urnes des fleuves dans les pays de plaines, et les réservoirs des pluies dans les contrées éloignées de la mer. Leur limon et les cendres de leurs herbes fournissent des engrais aux laboureurs; leurs roseaux donnent le feu et le toit à de pauvres familles ; frèle couverture, en harmonie avec la vie de l'homme, et qui ne dure pas plus que nos jours.

Ces lieux ont même une certaine beauté qui leur est propre : frontière de la terre et de l'eau, ils ont des végétaux, des sites et des habitants particuliers: tout y participe du mélange des deux éléments. Les glaïeuls tiennent le milieu entre l'herbe et l'arbuste, entre le poireau des mers et la plante terrestre; quelques-uns des insectes fluviatiles ressemblent à de petits oiseaux: quand la demoiselle, avec son corsage bleu et ses ailes transparentes, se repose sur la fleur du nénuphar blanc, on croirait voir l'oiseau

mouche des Florides sur une rose de magnolia. En automne, ces marais sont plantés de joncs desséchés, qui donnent à la stérilité même l'air des plus opulentes moissons; au printemps, ils présentent des bataillons de lances verdoyantes. Un bouleau, un saule isolé où la brise a suspendu quelques flocons de plumes, domine ces mouvantes campagnes; le vent glissant sur ces roseaux, incline tour à tour leurs cimes : l'une s'abaisse, tandis que l'autre se relève; puis soudain, toute la forêt venant à se courber à la fois, on découvre ou le butor doré, ou le héron blanc, qui se tient immobile sur une longue patte, comme sur un épieu.

CHAPITRE XI.

DES PLANTES ET DE LEURS MIGRATIONS.

Nous entrons à présent dans ce règne où les merveilles de la nature prennent un caractère plus riant et plus doux. En s'élevant dans les airs et sur le sommet des

monts, on dirait que les plantes empruntent quelque chose du ciel, dont elles se rapprochent. On voit souvent par un profond calme, au lever de l'aurore, les fleurs d'une vallée, immobiles sur leurs tiges; elles se penchent de diverses manières, et regardent tous les points de l'horizon. Dans ce moment même où il semble que tout est tranquille, un mystère s'accomplit: la nature conçoit; et ces plantes sont autant de jeunes mères tournées vers la région mystérieuse d'où leur doit venir la fécondité.

Les sylphes ont des sympathies moins aériennes, des communications moins invisibles le narcisse livre aux ruisseaux sa

:

race virginale, la violette confie aux zéphirs sa modeste postérité, une abeille cueille du miel de fleurs en fleurs, et, sans le savoir, féconde toute une prairie: un papillon porte un peuple entier sur son aile. Cependant les amours des plantes ne sont pas également tranquilles; il en est d'orageuses, comme celles des hommes: il faut des tempêtes pour marier sur des hauteurs inaccessibles le cèdre du Liban au cèdre du Sinaï, tandis qu'au bas de la montagne, le plus doux vent suffit pour établir entre les fleurs un commerce de volupté. N'est-ce pas ainsi que le souffle des passions agite les rois de la terre sur leurs trônes, tandis que les bergers vivent heureux à leurs pieds?

La fleur donne le miel : elle est la fille du matin, le charme du printemps, la source des parfums; la grace des vierges, l'amour des poètes : elle passe vite comme l'homme, mais elle rend doucement ses feuilles à la

« PreviousContinue »