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CHAPITRE VIII.

OISEAUX DES MERS; COMMENT UTILES A L'HOMME.

QUE LES MIGRATIONS DES OISEAUX SERVAIENT DE CALENDRIER AUX LABOUREURS DANS LES ANCIENS JOURS,

Les oies, les sarcelles, les canards, étant de race domestique, habitent partout où il peut y avoir des hommes. Les navigateurs ont trouvé des bataillons innombrables de ces oiseaux jusque sous le pôle antarctique, et sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Nous en avons rencontré nous-même des milliers, depuis le golfe Saint-Laurent jusqu'à la pointe de l'isthme de la Floride. Nous vîmes un jour aux Açores une compagnie de sarcelles bleues, que la lassitude contraignit de s'abattre sur un figuier. Cet arbre n'avait point de feuilles; mais il por

tait des fruits rouges enchaînés deux à deux comme des cristaux. Quand il fut couvert de cette nuée d'oiseaux, qui laissaient pendre leurs ailes fatiguées, il offrit un spectacle singulier : les fruits paraissaient d'une pourpre éclatante sur les rameaux ombragés, tandis que l'arbre, , par un prodige, semblait avoir poussé tout à coup un feuillage d'azur.

Les oiseaux de mer ont des lieux de rendez-vous, où ils semblent délibérer en commun des affaires de leur république : c'est ordinairement un écueil au milieu des flots. Nous allions souvent nous asseoir, dans l'île Saint-Pierre', sur la côte opposée à une petite île que les habitants ont appelée le Colombier, parce qu'elle en a la forme et qu'on y vient chercher des œufs au printemps.

La multitude des oiseaux rassemblés sur ce rocher était si grande, que souvent nous

I. Ile à l'entrée du golfe Saint-Laurent, sur la côte de Terre-Neuve.

distinguions leurs cris, pendant le mugissement des tempêtes. Ces oiseaux avaient des voix extraordinaires, comme celles qui sortaient des mers; si l'Océan a sa Flore, il a aussi sa Philomèle; lorsqu'au coucher du soleil, le courlis siffle sur la pointe d'un rocher, et que le bruit sourd des vagues l'accompagne, c'est une des harmonies les plus plaintives qu'on puisse entendre; jamais l'épouse de Céix n'a rempli de tant de douleurs les rivages témoins de ses infortunes.

Une parfaite intelligence régnait dans la république du Colombier. Aussitôt qu'un citoyen était né, sa mère le précipitait dans les vagues, comme ces peuples barbares qui plongeaient leurs enfants dans les fleuves, pour les endurcir contre les fatigues de la vie. Des courriers partaient sans cesse de cette Tyr avec des gardes nombreuses qui, par ordre de la Providence, se dispersaient sur les mers, pour secourir les vaisseaux. Les uns se placent à quarante et cinquante lieues d'une terre inconnue, et

deviennent un indice certain pour le pilote qui les découvre, flottants sur l'onde comme les bouées d'une ancre; d'autres se cantonnent sur un rescif, et, sentinelles vigilantes, élèvent pendant la nuit une voix lugubre, pour écarter les navigateurs; d'autres encore, par la blancheur de leur plumage, sont de véritables phares sur la noirceur des rochers. Nous présumons que c'est pour la même raison que la bonté de Dieu a rendu l'écume des flots phosphorique, et toujours plus éclatante parmi les brisants, en raison de la violence de la tempête : beaucoup de vaisseaux périraient dans les ténèbres, sans ces fanaux miraculeux allumés par la Providence sur les écueils.

par

Tous les accidents des mers, le flux et le reflux, le calme et l'orage, sont prédits les oiseaux. La mauve descend sur une grève, retire son cou dans sa plume, cache une patte dans son duvet, et, se tenant immobile sur l'autre, avertit le pêcheur de l'instant où les vagues se lèvent; l'alouette marine, qui court le long du flot, en pous

sant un cri doux et triste, annonce, au contraire, le moment du reflux: enfin, les procellaria s'établissent au milieu de l'Océan. Compagnes des mariniers, elles. suivent la course des navires, et prophétisent la tempête. Le matelot leur attribue quelque chose de sacré, et leur donne religieusement l'hospitalité, quand le vent les jette à bord; c'est de même que le laboureur respecte le rouge-gorge, qui lui prédit les beaux jours, et c'est ainsi qu'il le reçoit sous son toit de chaume, pendant les rigueurs de l'hiver. Ces hommes malheureux, placés dans les deux conditions les plus dures de la vie, ont des amis que leur a préparés la Providence; ils trouvent dans un être faible le conseil ou l'espérance, qu'ils chercheraient souvent en vain chez leurs semblables. Ce commerce de bienfaits entre de petits oiseaux et des hommes infortunés est un de ces traits touchants qui abondent dans les œuvres de Dieu. Entre le rouge-gorge et le laboureur, entre la procellaria et le matelot, il

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