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d'Évandre. Le troisième, caché dans le feuillage d'un chêne, prolonge ses roucoulemens semblables aux sons onduleux d'un cor dans les bois. Eufin le rouge-gorge répète sa petite chanson sur la porte de la grange où il a placé son gros nid de mousse; mais le rossignol dédaigne de perdre sa voix au milieu de cette symphonie i attend l'heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres.

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Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l'oreille de l'homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l'Éternel. D'abord il frappe l'écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants; il saute du grave à l'aigu, du doux au fort; ii fait des pauses; il est lent, il est

vif: c'est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l'amour. Mais tout à coup la voix tombe, l'oiseau se tait. Il recommence! Que ses accents sont changés! quelle tendre mélodie! Tantôt ce sont des modulations languissantes, quoique variées; tantôt c'est un air un peu monotone, comme celui de ces vieilles romances françaises, chefs-d'œuvre de simplicité et de mélancolie. Le chant est aussi souvent la marque de la tristesse que de la joie : l'oiseau qui a perdu ses petits, chante encore; c'est encore l'air du temps du bonheur qu'il redit, car il n'en sait qu'un; mais, par un coup de son art, le musicien n'a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur.

Ceux qui cherchent à déshériter l'homme, à lui arracher l'empire de la nature, voudraient bien prouver que rien n'est fait pour nous. Or, le chant des oiseaux, par exemple, est tellement commandé pour notre oreille, qu'on a beau persécuter les hôtes des bois,

ravir leurs nids, les poursuivre, les blesser avec des armes ou dans des pièges, on peut les remplir de douleur, mais on ne peut les forcer au silence. En dépit de nous, il faut qu'ils nous charment, il faut qu'ils accomplissent l'ordre de la Providence. Esclaves dans nos maisons, ils multiplient leurs accords: il y a sans doute quelque harmonie cachée dans le malheur, car tous les infortunés sont enclins au chant. Enfin que des oiseleurs, par un raffinement barbare, crèvent les yeux à un rossignol, sa voix n'en devient que plus mélodieuse. Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter, et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue. << Démodocus, » dit le poète de Chio, en se peignant sous les traits du chantre des Phéaciens, « était le favori de la <<< Muse; mais elle avait mêlé pour lui le bien <<< et le mal, et l'avait rendu aveugle, en lui « donnant la douceur des chants. »

κακόν τε.

Τὸν πέρι μοῦσ ̓ ἐφίλησε, δίδου δ ̓ ἀγαθόν τε,
Οφθαλμῶν μὲν ἄμηρσε δίδου δ' ἡδεῖαν ἀοιδήν.

L'oiseau semble le véritable emblème du chrétien ici-bas: il préfère, comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.

Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux, qui, ce nous semble, n'ont point encore été observées, et qui mériteraient bien de l'être. Le divers langage des hôtes du désert nous paraît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent, et sur l'heure du jour à laquelle ils se montrent. Le rugissement du lion, fort, sec, âpre, est en harmonie avec les sables embrasés où il se fait entendre, tandis que le mugissement de nos bœufs charme les échos champêtres de nos vallées; la chèvre a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix, comme les rochers et les ruines où elle aime à se suspendre; le cheval belliqueux imite les sons grêles du clairon; et, comme s'il sentait qu'il n'est pas fait pour les soins rustiques, il se tait sous l'ai

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guillon du laboureur, et hennit sous le frein du guerrier. La nuit, tour à tour charmante ou sinistre, a le rossignol et le hibou l'un chante pour le zéphir, les bocages, la lune, les amants; l'autré pour les vents, les vieilles forêts, les ténèbres et les morts. Enfin, presqué tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier, qui ressemble à celui de leurs victimes : l'épervier glapit comme le lapin, et miaule comme les jeunes chats; le chat lui-même a une espèce de murmure, semblable à celui des petits oiseaux de nos jardins; le loup bêle, mugit ou aboie; le renard glousse ou crie; le tigre a le mugissement du taureau; et l'ours marin une sorte d'affreux râlement tel que le bruit des rescifs battus des vagues où il cherche sa proie. Cette loi est fort étonnante, et cache peut-être un secret terrible. Observons que les monstres parmi les hommes suivent la loi des bêtes carnassières; plusieurs tyrans ont eu des traces de sensibilité sur le visage et dans la voix, et ils affectaient au dehors le langage des mal

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