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aimait naturellement les beaux-arts, les lettres et la grandeur, et il n'est pas rare de le surprendre dans une sorte d'admiration pour la Cour de Rome. Son amourpropre lui fit jouer toute sa vie un rôle pour lequel il n'était point fait, et auquel il était fort supérieur. Il n'avait rien, en effet, de commun avec MM. Diderot, Raynal et d'Alembert. L'élégance de ses mœurs, ses belles manières, son goût pour la société, et surtout son humanité, l'auraient vraisemblablement rendu un des plus grands ennemis du régime révolutionnaire. Il est très-décidé en faveur de l'ordre social, sans s'apercevoir qu'il le sape par les fondements en attaquant l'ordre religieux. Ce qu'on peut dire sur lui de plus raisonnable, c'est que son incrédulité l'a empêché d'atteindre à la hauteur où l'appelait la nature, et que ses ouvrages, excepté ses poésies fugitives, sont demeurés au-dessous de son véritable talent: exemple qui doit à jamais effrayer quiconque suit la carrière des lettres. Voltaire n'a flotté parmi tant d'er

reurs, tant d'inégalités de style et de jugement, que parce qu'il a manqué du grand contre-poids de la religion : il a prouvé que des mœurs graves et une pensée pieuse sont encore plus nécessaires dans le commerce des Muses qu'un beau génie.

ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

NOTE UNIQUE, page2 9.

« Les véritables philosophes n'auraient pas prétendu, comme l'auteur du Système de la Nature, que le jésuite Needham eût créé des anguilles, et que Dieu n'avait pu créer l'homme. Needham ne leur aurait pas paru philosophe, et l'auteur du Système de la Nature n'eût été regardé que comme un discoureur par l'empereur Marc-Aurèle. (Quest. encycl. tom. VI, art. Philosoph.)

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Dans un autre endroit, combattant les athées, il dit, à propos des Sauvages qu'on croyait sans

Dieu :

<< Mais on peut insister, on peut dire : Ils vivent en société, et ils sont sans Dieu; donc on peut vivre en société sans religion.

« En ce cas, je répondrai que les loups vivent ainsi, et que ce n'est pas une société qu'un assemblage de barbares anthropophages, tels que vous les supposez et je vous demanderai tou

jours si, quand vous avez prêté votre argent à quelqu'un de votre société, vous voudriez que ni votre débiteur, ni votre procureur, ni votre notaire, ni votre juge, ne crussent en Dieu? » (Ib., tom. II, art. Ath.)

Tout cet article sur l'athéisme mérite d'être parcouru. En poétique, Voltaire montre le même mépris de toutes ces vaines théories qui troublent le monde. « Je n'aime pas le gouvernement de la canaille, » répète-t-il en cent endroits. (Voyez les Lettres au roi de Prusse.) Ses plaisanteries sur les républiques populacières, son indignation contre les excès des peuples, tout enfin dans ses ouvrages prouve qu'il haïssait de bonne foi les charlatans de la philosophie.

C'est ici le lieu de mettre sous les yeux du lecteur un certain nombre de passages tirés de la Correspondance de Voltaire, qui prouvent que je n'ai pas trop hasardé lorsque j'ai dit qu'il haïssait secrètement les sophistes. Du moins l'on sera forcé de conclure (si on n'est pas convaincu) que, Voltaire ayant soutenu éternellement le pour et le contre, et varié sans cesse dans ses sentiments, son opinion en morale, en philosophie, et en religion, doit être comptée pour peu

de chose...

Année 1766.

« Contre les philosophes et le philosophisme. Je n'ai rien de commun avec les philosophes modernes, que cette horreur pour le fanatisme intolérant.» (Corresp. gén., tom. X, pag. 337.)

Année 1741.

« La supériorité qu'une physique sèche et abstraite a usurpée sur les belles-lettres commence à m'indigner. Nons avions, il y a cinquante ans, de bien plus grands hommes en physique et en géométrie qu'aujourd'hui, et à peine parlait-on d'eux. Les choses ont bien changé. J'ai aimé la physique tant qu'elle n'a point voulu dominer sur la poésie; à présent qu'elle a écrasé tous les arts, je ne veux plus la regarder que comme un tyran de mauvaise compagnie. Je viendrai à Paris faire abjuration entre vos mains. Je ne veux plus d'autre étude que celle qui peut rendre la société plus agréa– ble, et le déclin de la vie plus doux. On ne saurait parler physique un quart d'heure et s'entendre. On peut parler poésie, musique, histoire, littérature, tout le long du jour, etc. » (Correspondance gén., tom. III, pag. 170.)

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