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leurs paroles, qui devaient déceler cet esprit? Du moins, le chantre d'Achille n'a mis l'Iliade en harangues.

pas

Quant au merveilleux, il est, sauf erreur, à peu près nul dans la Henriade. Si l'on ne connaissait le malheureux système qui glaçait le génie poétique de Voltaire, on ne comprendrait pas comment il a préféré des divinités allégoriques au merveilleux du christianisme. Il n'a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu'aux endroits mêmes où il cesse d'être philosophe pour devenir chrétien : aussitôt qu'il a touché à la religion, source de toute poësie, la source a abondamment coulé.

Le serment des Seize dans le souterrain, l'apparition du fantôme de Guise qui vient armer Clément d'un poignard, sont des machines fort épiques, et puisées dans les superstitions mêmes d'un siècle ignorant et malheureux.

Le poète ne s'est-il pas encore un peu trompé lorsqu'il a transporté la philosophie dans le ciel? Son Éternel est sans

doute un dieu fort équitable, qui juge avec impartialité le bonze et le derviche, le juif et le mahométan; mais était-ce bien cela qu'on attendait de sa Muse? ne lui demandait-on pas de la poésie, un ciel chrétien, des cantiques, Jéhovah, enfin le mens divinior, la religion?

Voltaire a donc brisé lui-même la corde la plus harmonieuse de sa lyre, en refusant de chanter cette milice sacrée, cette armée des martyrs et des anges, dont ses talents auraient pu tirer un parti admirable. Il eût trouvé parmi nos saintes des puissances aussi grandes que celles des déesses antiques, et des noms aussi doux que ceux des Graces. Quel dommage qu'il n'ait rien voulu dire de ces bergères transformées par leurs vertus en bienfaisantes divinités; de ces Geneviève qui, du haut du ciel, protègent avec une houlette l'empire de Clovis et de Charlemagne! Il nous semble qu'il y a quelque enchantement pour les Muses à voir le peuple le plus spirituel et le plus brave consacré par la reli

gion à la fille de la simplicité et de la paix. De qui la Gaule tiendrait-elle ses troubadours, son esprit naïf et son penchant aux graces, si ce n'était du chant pastoral, de l'innocence et de la beauté de sa patrone?

Des critiques judicieux ont observé qu'il y a deux hommes dans Voltaire : l'un plein de goût, de savoir, de raison; l'autre qui pèche par les défauts contraires à ces qualités. On peut douter que l'auteur de la Henriade ait eu autant de génie que Racine; mais il avait peut-être un esprit plus varié et une imagination plus flexible. Malheureusement la mesure de ce que nous pouvons n'est pas toujours la mesure de ce que nous faisons. Si Voltaire eût été animé par la religion comme l'auteur d'Athalie; s'il eût étudié comme lui les Pères et l'antiquité; s'il n'eût pas voulu embrasser tous les genres et tous les sujets, sa poésie fût devenue plus nerveuse, et sa prose eût acquis une décence et une gravité qui lui manquent trop souvent. Ce grand homme eut le malheur de passer sa

vie au milieu d'un cercle de littérateurs médiocres qui, toujours prêts à l'applaudir, ne pouvaient l'avertir de ses écarts. On aime à se le représenter dans la compagnie des Pascal, des Arnauld, des Nicole, des Boileau, des Racine: c'est alors qu'il eût été forcé de changer de ton. On aurait été indigné, à Port-Royal, des plaisanteries et des blasphèmes de Ferney; on y détestait les ouvrages faits à la hâte; on y travaillait avec loyauté, et l'on n'eût pas voulu, pour tout au monde, tromper le public en lui donnant un poëme qui n'eût pas coûté au moins douze bonnes années de labeur. Et ce qu'il y avait de très-merveilleux, c'est qu'au milieu de tant d'occupations ces excellents hommes trouvaient encore le secret de remplir les plus petits devoirs de leur religion, et de porter dans la société l'urbanité de leur grand siècle.

C'était une telle école qu'il fallait à Voltaire. Il est bien à plaindre d'avoir eu ce double génie qui force à la fois à l'admirer et à le haïr. Il édifie et renverse; il donne

les exemples et les préceptes les plus contraires; il élève aux nues le siècle de Louis XIV, et attaque ensuite en détail la réputation des grands hommes de ce siècle : tour à tour il encense et dénigre l'antiquité; il poursuit, à travers soixante-dix volumes, ce qu'il appelle l'infame; et les morceaux les plus beaux de ses écrits sont inspirés par la religion. Tandis que son imagination vous ravit, il fait luire une fausse raison qui détruit le merveilleux, rapetisse l'ame et borne la vue. Excepté dans quelques-uns de ses chefs-d'œuvre, il n'aperçoit que le côté ridicule des choses et des temps, et montre, sous un jour hideusement gai, l'homme à l'homme. Il charme et fatigue par sa mobilité; il vous enchante et vous dégoûte; on ne sait quelle est la forme qui lui est propre : il serait insensé s'il n'était si sage, et méchant si sa vie n'était remplie de traits de bienfaisance. Au milieu de ses impiétés, on peut remarquer qu'il haïssait les sophistes. Il

1. Voyez la note à la fin du livre.

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