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et sa solitude, au moment même où l'on promenait la tête du jeune homme sous les remparts du camp, ce femineo ululatu, sont des choses qui n'appartiennent qu'à l'ame de Virgile. Les plaintes d'Andromaque, plus étendues, perdent de leur force; celles de la mère d'Euryale, plus resserrées, tombent, avec tout leur poids, sur le cœur. Cela prouve qu'une grande différence existait déjà entre les temps de Virgile et ceux d'Homère, et qu'au siècle du premier, tous les arts, même celui d'aimer, avaient acquis plus de perfection.

CHAPITRE IV.

DE QUELQUES POEMES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS.

QUAND le christianisme n'aurait donné à la poésie que le Paradis perdu; quand son génie n'aurait inspiré ni la Jérusalem délivrée, ni Polyeucte, ni Esther, ni Athalie, ni Zaïre, ni Alzire, on pourrait encore soutenir qu'il est favorable aux Muses. Nous placerons dans ce chapitre, entre le Paradis perdu et la Henriade, quelques poëmes français et étrangers dont nous n'avons qu'un mot à dire.

Les morceaux remarquables répandus dans le Saint-Louis du Père Lemoine ont été si souvent cités, que nous ne les répéterons point ici. Ce poëme informe a pourtant quelques beautés qu'on chercherait en vain dans la Jérusalem. Il y règne une

II.

I I

sombre imagination, très-propre à la peinture de cette Égypte pleine de souvenirs et de tombeaux, et qui vit passer tour à tour les Pharaon, les Ptolémée, les Solitaires de la Thébaïde, et les Soudans des Barbares.

La Pucelle de Chapelain, le Moïse sauvé de Saint-Amand, et le David de Coras, ne sont plus connus que par les vers de Boileau. On peut cependant tirer quelque fruit de la lecture de ces ouvrages : le David surtout mérite d'être parcouru.

Le prophète Samuel raconte à David l'histoire des rois d'Israël :

Jamais, dit le grand saint, la fière tyrannie
Devant le Roi des rois ne demeure impunie :
Et de nos derniers chefs le juste châtiment
En fournit à toute heure un triste monument.

Contemple donc Héli, le chef du tabernacle,
Que Dieu fit de son peuple et le juge et l'oracle;
Son zèle à sa patrie eût pu servir d'appui,
S'il n'eût produit deux fils trop peu dignes de lui.

....

Mais Dieu fait sur ces fils, dans le vice obstinés,
Tonner l'arrêt des coups qui leur sont destinés;
Et par un saint héros, dont la voix les menace,

Leur annonce leur perte et celle de leur race.
O ciel! quand tu lanças ce terrible décret,
Quel ne fut point d'Héli le deuil et le regret!
Mes yeux furent témoins de toutes ses alarmes,
Et mon front, bien souvent, fut mouillé de ses larmes.

Ces vers sont remarquables parce qu'ils sont assez beaux comme vers. Le mouvement qui les termine pourrait être avoué d'un grand poète.

L'épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité.

On ne sait qui des deux, ou l'épouse, ou l'époux,
Eut l'ame la plus pure et le sort le plus doux, etc.

Enfin Coras réussit quelquefois dans le vers descriptif. Cette image du soleil à son midi est pittoresque :

Cependant le soleil, couronné de splendeur,
Amoindrissant sa forme, augmentait son ardeur.

Saint-Amand, presque vanté

par Boi

leau, qui lui accorde du génie, est néan

moins inférieur à Coras. La composition du Moïse sauvé est languissante, le vers lâche et prosaïque, le style plein d'antithèses et de mauvais goût. Cependant on y remarque quelques morceaux d'un sentiment vrai, et c'est sans doute ce qui avait adouci l'humeur du chantre de l'Art poétique.

Il serait inutile de nous arrêter à l'Araucana, avec ses trois parties et ses trentecinq chants originaux, sans oublier les chants supplémentaires de Don Diego de Santistevan Ojozio. Il n'y a point de merveilleux chrétien dans cet ouvrage; c'est une narration historique de quelques faits arrivés dans les montagnes du Chili. La chose la plus intéressante du poëme, est d'y voir figurer Ercilla lui-même, qui se bat et qui écrit. L'Araucana est mesuré en octaves, comme l'Orlando et la Jérusalem. La littérature italienne donnait alors le ton aux diverses littératures de l'Europe. Ercilla chez les Espagnols, et Spencer chez les Anglais, ont fait des stances et imité

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