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sur cette superbe Tyr, sur les temps de Salomon et d'Isaïe. On s'étonne que sa Muse ait oublié la harpe de David, en parcourant Israël. N'entend-on plus sur le sommet du Liban la voix des prophètes? Leurs ombres n'apparaissent-elles pas quelquefois sous les cèdres et parmi les pins? Les anges ne chantent-ils plus sur Golgotha, et le torrent de Cédron a-t-il cessé de gémir? On est fâché que le Tasse n'ait pas donné quelque souvenir aux Patriarches: le berceau du monde, dans un petit coin de la Jérusalem, ferait un assez bel effet.

CHAPITRE III.

PARADIS PERDU.

le

On peut reprocher au Paradis perdu de Milton, ainsi qu'à l'Enfer du Dante, défaut dont nous avons parlé : le merveilleux est le sujet et non la machine de l'ouvrage; mais on y trouve des beautés supérieures, qui tiennent essentiellement à notre religion.

L'ouverture du poëme se fait aux enfers, et pourtant ce début n'a rien qui choque la règle de simplicité prescrite par Aristote. Pour un édifice si étonnant, il fallait un portique extraordinaire, afin d'introduire le lecteur dans ce monde inconnu, dont il ne devait plus sortir.

Milton est le premier poète qui ait conclu l'épopée par le malheur du principal

personnage, contre la règle généralement adoptée. Qu'on nous permette de penser qu'il y a quelque chose de plus intéressant, de plus grave, de plus semblable à la condition humaine, dans un poëme qui aboutit à l'infortune, que dans celui qui se termine au bonheur. On pourrait même soutenir que la catastrophe de l'Iliade est tragique. Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poëme laisse un sentiment profond de tristesse' on vient de voir les funérailles

1. Ce sentiment vient peut-être de l'intérêt qu'on prend à Hector. Hector est autant le héros du poëme qu'Achille; c'est le défaut de l'Iliade. Il est certain que l'amour du lecteur se porte sur les Troyens, contre l'intention du poète, parce que les scènes dramatiques se passent toutes dans les murs d'Ilion. Ce vieux monarque, dont le seul crime est d'aimer trop un fils coupable; ce généreux Hector, qui connaît la faute de son frère, et qui cependant défend son frère; cette Andromaque, cet Astyanax, cette Hécube, attendrissent le cœur, tandis que le camp des Grecs n'offre qu'avarice, perfidie et férocité: peut-être aussi le souvenir de l'Énéide agit-il secrètement sur le lecteur moderne, et . l'on se range sans le vouloir du côté des héros chantés par Virgile.

de Patrocle, Priam rachetant le corps d'Hector, la douleur d'Hécube et d'Andromaque, et l'on aperçoit dans le lointain la mort d'Achille et la chute de Troie.

Le berceau de Rome chanté par Virgile est un grand sujet, sans doute; mais que dire du sujet d'un poëme qui peint une catastrophe dont nous sommes nous-mêmes les victimes, qui ne nous montre pas le fondateur de telle ou telle société, mais le père du genre humain? Milton ne vous entretient ni de batailles, ni de jeux funèbres, ni de camps, ni de villes assiégées; il retrace la première pensée de Dieu, manifestée dans la création du monde, et les premières pensées de l'homme au sortir des mains du Créateur.

Rien de plus auguste et de plus intéressant que cette étude des premiers mouvements du cœur de l'homme. Adam s'éveille à la vie; ses yeux s'ouvrent : il ne sait d'où il sort. Il regarde le firmament; par un mouvement de désir, il veut s'élancer vers cette voûte, et il se trouve debout, la tête

levée vers le ciel. Il touche ses membres; il court, il s'arrête; il veut parler, et il parle. Il nomme naturellement ce qu'il voit, il s'écrie: « O toi, soleil, et vous, arbres, forêts, collines, vallées, animaux divers!» et les noms qu'il donne sont les vrais noms des êtres. Et pourquoi Adam s'adresse-t-il au soleil, aux arbres? « Soleil, arbres,» dit-il, « savez-vous le nom de celui qui m'a créé ?» Ainsi le premier sentiment que l'homme éprouve est le sentiment de l'existence d'un Être suprême; le premier besoin qu'il manifeste est le besoin de Dieu! Que Milton est sublime dans ce passage! mais se fût-il élevé à ces pensées, s'il n'eût connu la religion de Jésus-Christ?

Dieu se manifeste à Adam; la créature et le Créateur s'entretiennent ensemble:

ils parlent de la solitude. Nous supprimons les réflexions. La solitude ne vaut rien à l'homme. Adam s'endort; Dieu tire du sein même de notre premier père une nouvelle créature, et la lui présente à son réveil : « La grace est dans sa démarche, le ciel

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