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ou tard sortir de la vie, la Providence a mis au delà du terme un charme qui nous attire, afin de diminuer nos terreurs du tombeau : quand une mère veut faire franchir une barrière à son enfant, elle lui tend de l'autre côté un objet agréable pour l'engager à passer.

CHAPITRE II.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

LA conscience fournit une seconde. preuve de l'immortalité de notre ame. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soimême, en attendant que l'Arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu plutôt que d'ac: quérir des biens illégitimes? Pourquoi y at-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort; l'homme devient homicide et veille. Il cher

che les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est mobile et inquiet, il n'ose regarder le mur de la salle du festin, dans la crainte d'y lire des caractères funestes. Ses sens semblent devenir meilleurs pour le tourmenter il voit, au milieu de la nuit, des lueurs menaçantes; il est toujours environné de l'odeur du carnage, il découvre le goût du poison dans le mets qu'il a lui-même apprêté; son oreille, d'une étrange subtilité, trouve le bruit où tout le monde trouve le silence; et, sous les vêtements de son ami, lorsqu'il l'embrasse, il croit sentir un poignard caché.

O conscience! ne serais-tu qu'un fantôme de l'imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? je m'interroge; je me fais cette question : « Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine, et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu'on n'en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce dé

sir? >> J'ai beau m'exagérer mon indigence; j'ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu'il n'a point d'héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l'État; j'ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins; j'ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu'il l'appelle lui-même, qu'il n'a plus qu'un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j'entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d'une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience.

C'est donc une triste nécessité que d'être obligé de nier le remords, pour nier l'immortalité de l'ame et l'existence d'un Dieu vengeur. Toutefois nous n'ignorons pas que l'athéisme, poussé à bout, a recours à cette dénégation honteuse. Le sophiste, dans le paroxisme de la goutte, s'écriait: <«< O douleur! je n'avouerai jamais que tu

sois un mal!» Et quand il serait vrai qu'il se trouvât des hommes assez infortunés pour étouffer le cri du remords, qu'en résulterait-il? Ne jugeons point celui qui a l'usage de ses membres, par le paralytique qui ne se sert plus des siens; le crime, à son dernier degré, est un poison qui cautérise la conscience: en renversant la religion, on a détruit le seul remède qui pouvait rétablir la sensibilité dans les parties mortes du cœur. Cette étonnante religion du Christ était une sorte de supplément à ce qui manquait aux hommes. Devenait-on coupable par excès, par trop de prospérité, par violence de caractère, elle était là pour nous avertir de l'inconstance de la fortune et du danger des emportements. Était-ce, au contraire, par défaut qu'on était exposé, par indigence de biens, par indifférence d'ame, elle nous apprenait à mépriser les richesses, en même temps qu'elle réchauffait nos glaces, et nous donnait, pour ainsi dire, des passions. Avec le criminel surtout, sa charité était inépui

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