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cipite dans le sein de Dieu, où viennent se réunir les idées de l'infini, en perfection, en temps et en espace; mais elle ne se plonge dans la Divinité que parce que cette Divinité est pleine de ténèbres, Deus absconditus'. Si elle en obtenait une vue distincte, elle la dédaignerait, comme tous les objets qu'elle mesure. On pourrait même dire que ce serait avec quelque raison; car si l'ame s'expliquait bien le principe éternel, elle serait ou supérieure à ce principe, ou du moins son égale. Il n'en est pas de l'ordre des choses divines comme de l'ordre des choses humaines un homme peut comprendre la puissance d'un roi, sans être un roi; mais un homme qui comprendrait Dieu. serait Dieu.

Or, les animaux ne sont point troublés par cette espérance que manifeste le cœur de l'homme; ils atteignent sur-le-champ à leur suprême bonheur: un peu d'herbe satisfait l'agneau, un peu de sang rassasie le

1. Isaïe XLV, 15.

tigre. Si l'on soutenait, d'après quelques philosophes, que la diverse conformation des organes fait la seule différence entre nous et la brute, on pourrait tout au plus admettre ce raisonnement pour les actes purement matériels; mais qu'importe ma main à ma pensée, lorsque, dans le calme de la nuit, je m'élance dans les espaces pour y trouver l'Ordonnateur de tant de mondes? Pourquoi le bœuf ne fait-il pas comme moi? Ses yeux lui suffisent; et quand il aurait mes pieds ou mes bras, ils lui seraient pour cela fort inutiles. Il peut se coucher sur la verdure, lever la tête vers les cieux, et appeler par ses mugissements l'Être inconnu qui remplit cette immensité. Mais non préférant le gazon qu'il foule, il n'interroge point, au haut du firmament, ces soleils qui sont la grande évidence de l'existence de Dieu. Il est insensible au spectacle de la nature, sans se douter qu'il est jeté lui-même sous l'arbre où il repose, comme une petite preuve de l'intelligence divine.

Donc la seule créature qui cherche au dehors, et qui n'est pas à soi-même son tout, c'est l'homme. On dit que le peuple n'a point cette inquiétude : il est sans doute moins malheureux que nous; car il est distrait de ses désirs par ses travaux, il éteint dans ses sueurs sa soif de félicité. Mais quand vous le voyez se consumer six jours de la semaine pour jouir de quelques plaisirs le septième; quand toujours espérant le repos et ne le trouvant jamais, il arrive à la mort sans cesser de désirer, direz-vous qu'il ne partage pas la secrète aspiration de tous les hommes à un bien-être inconnu? Que si l'on prétend que ce souhait est du moins borné pour lui aux choses de la terre, cela n'est rien moins que certain : donnez à l'homme le plus pauvre les trésors du monde, suspendez ses travaux, satisfaites ses besoins; avant que quelques mois se soient écoulés, il en sera encore aux ennuis et à l'espérance.

D'ailleurs est-il vrai que le peuple, même dans son état de misère, ne connaisse pas

ce désir de bonheur qui s'étend au-delà de la vie? D'où vient cet instinct mélancolique qu'on remarque dans l'homme champêtre?, Souvent le dimanche et les jours de fêtes, lorsque le village était allé prier ce Moissonneur qui sépare le bon grain de l'ivraie, nous avons vu quelque paysan resté seul à la porte de sa chaumière : il prêtait l'oreille au son de la cloche; son attitude était pensive; il n'était distrait ni par les passereaux de l'aire voisine, ni par les insectes qui bourdonnaient autour de lui. Cette noble figure de l'homme, plantée comme la statue d'un dieu sur le seuil d'une chaumière; ce front sublime, bien que chargé de soucis; ces épaules ombragées d'une noire chevelure, et qui semblaient encore s'élever comme pour soutenir le ciel, quoique courbées sous le fardeau de la vie, tout cet être si majestueux, bien que misérable, ne pensait-il à rien, ou songeait-il seulement aux choses d'ici-bas? Ce n'était pas l'expression de ces lèvres entr'ouvertes, de ce corps immobile, de ce regard attaché à

la terre : le souvenir de Dieu était là avec le son de la cloche religieuse.

S'il est impossible de nier que l'homme espère jusqu'au tombeau; s'il est certain que les biens de la terre, loin de combler nos souhaits, ne font que creuser l'ame et en augmenter le vide, il faut en conclure qu'il y a quelque chose au-delà du temps. Vincula hujus mundi, dit saint Augustin, asperitatem habent veram, jucunditatem falsam; certum dolorem, incertam voluptatem; durum laborem, timidam quietem ; rem plenam miseria, spem beatitudinis inanem. « Le monde a des liens pleins d'une véritable âpreté et d'une fausse douceur; des douleurs certaines, des plaisirs incertains; un travail dur, un repos inquiet; des choses pleines de misère, et une espérance vide de bonheur '. » Loin de nous plaindre que le désir de félicité ait été placé dans ce monde, et son but dans l'autre, admirons en cela la bonté de Dieu. Puisqu'il faut tôt

1. Epist. 30.

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