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elle procède. Ce n'est certainement ni du cœur, ni du cerveau, ni du sang, ni des atomes. Je ne sais si notre ame est de feu ou d'air; et je ne rougis point comme d'autres d'avouer que j'ignore ce qu'en effet j'ignore. Mais qu'elle soit divine, j'en jurerais, si dans une matière obscure je pouvais parler affirmativement. Car enfin, je vous le demande, la mémoire vous paraît-elle n'être qu'un assemblage de parties terrestres, qu'un amas d'air grossier et nébuleux? Si vous ne savez ce qu'elle est, du moins vous voyez de quoi elle est capable. Hé bien! dirons-nous qu'il y a dans notre ame une espèce de réservoir, où les choses que nous confions à notre mémoire se versent comme dans un vase? Proposition absurde car peut-on se figurer que l'ame serait d'une forme à loger un réservoir si profond? Dirons-nous que l'on grave dans l'ame comme sur la cire, et qu'ainsi le souvenir est l'empreinte, la trace de ce qui a été gravé dans l'ame ? Mais des paroles et des idées peuvent-elles laisser des traces? Et quel espace ne faudrait-il pas, d'ailleurs, pour tant de traces différentes?

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« Qu'est-ce que cette autre faculté, qui s'étudie à découvrir ce qu'il y a de caché, et qui se nomme intelligence, génie? Jugez-vous qu'il ne fût entré que du terrestre et du corruptible

dans la composition de cet homme, qui le premier imposa un nom à chaque chose? Pythagore trouvait à cela une sagesse infinie. Regardez-vous comme pétri de limon, ou celui qui a rassemblé les hommes, et leur a inspiré de vivre en société? ou celui qui, dans un petit nombre de caractères, a renfermé tous les sons que la voix forme, et dont la diversité paraissait inépuisable? ou celui qui a observé comment se meuvent les planètes, et qu'elles sont tantôt rétrogrades, tantôt stationnaires? Tous étaient de grands hommes, ainsi que d'autres encore plus anciens, qui enseignèrent à se nourrir de blé, à se vêtir, à se faire des habitations, à se procurer les besoins de la vie, à se précautionner contre les bêtes féroces: c'est par eux que nous fûmes apprivoisés et civilisés. Des arts nécessaires, on passa ensuite aux beaux-aris. On trouva pour charmer l'oreille les règles de l'harmonie. On étudia les étoiles, tant celles qui sont fixes que celles qui sont appelées errantes, quoiqu'elles ne le soient pas. Quiconque découvrit les diverses révolutions des astres fit voir par-là que son esprit tenait de celui qui les a formés dans le ciel. »

NOTE 2, page 93.

« Mais si tout ce que nous avons dit concernant les sens ne suffit pas pour convaincre un incrédule, avançons encore un peu, et faisons voir que les bornes même dans lesquelles l'étendue du pouvoir de nos sens extérieurs se trouve renfermée, contribuent aussi à nous rendre plus heureux que si leur pouvoir s'étendait beaucoup plus loin, comme cela s'est trouvé dans ces derniers siècles, avec le secours de certains instru

ments.

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Supposons que nos yeux aient le pouvoir de distinguer les objets qu'ils ne sauraient voir sans le microscope; il est vrai qu'ils nous feraient voir un monde de créatures nouvelles; une goutte d'eau dans laquelle on aurait fait tremper du poivre, ou une goutte de vinaigre, ou de matière séminale, nous paraîtrait comme un lac, ou une rivière pleine de poissons; l'écume des liqueurs puantes et corrompues nous paraîtrait un champ couvert de fleurs et de plantes; le fromage paraîtrait un composé de grosses araignées couvertes de poil; il en serait de même à proportion d'une infinité d'autres choses: mais il est aussi aisé de concevoir le dégoût que la vue de ces in

sectes produirait pour beaucoup de choses qui d'ailleurs sont très-bonnes et très-utiles en ellesmêmes. J'ai vu des personnes faire des éclats de rire à la vue des petits animaux qui s'offrent dans un morceau de fromage, par le moyen d'un microscope, et retirer vitement leurs mains, lorsque quelqu'un de ces insectes venait à tomber, de crainte qu'il ne tombât sur elles; mais d'autres faisaient des réflexions plus sérieuses sur la sagesse de Dieu, qui a bien voulu cacher ces choses aux yeux des ignorants et des personnes craintives, et les manifester à d'autres par le moyen des microscopes, afin que les moyens nécessaires ne manquassent point à ceux qui tâchent de pénétrer dans ces merveilles.

« Les philosophes incrédules oseraient-ils jamais souhaiter que leurs yeux eussent les propriétés des meilleurs microscopes, supposé qu'ils en connussent la nature et le fondement? et se eroiraient-ils plus heureux en voyant des objets si petits qui grossiraient jusqu'à ce point-là, tandis qu'en même temps tout ce qui leur tomberait sous les yeux n'occuperait pas plus d'espace qu'un grain de sable? Ils ne sauraient voir aucun objet distinctement, à moins qu'ils ne fussent à une très-petite distance de l'oeil, à un ou deux pouces, par exemple. Quant aux autres

objets plus éloignés, comme les hommes, les bêtes, les arbres et les plantes, pour ne rien dire du soleil, de la lune et des étoiles, ces corps où brille la majesté de l'Être Suprême, ils leur seraient entièrement invisibles, ou ils ne les verraient que dans une grande confusion, si tout cela se trouvait ainsi, et si nos yeux tout seuls pouvaient pénétrer aussi avant que lorsqu'ils sont armés de bons microscopes. Tous ceux qui en ont fait l'expérience conviennent que, par leur moyen, on peut voir des corps composés d'un milieu de petites parties; d'où il suit que, pour bien voir chaque chose jusqu'à ses particules primitives, la vue doit encore s'étendre infiniment plus loin qu'elle ne s'étend avec le secours des meilleurs microscopes.

« D'un autre côté, supposons que nos yeux soient de grands télescopes, semblables à ceux dont nous nous servons pour observer tant de nouvelles étoiles dans les cieux et pour faire tant de découvertes dans le soleil, la lune et les étoiles, ils seraient encore sujets à ces inconvénients: c'est qu'ils ne seraient presque d'aucun usage pour voir les objets qui nous environnent, et ils nous priveraient aussi de la vue des autres objets qui sont sur la terre, parce que nous ver

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