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ne puisse méconnaître tes destinées, tu dompteras les monstres de la mer avec un roscau, et tu mettras les tempêtes sous tes pieds.

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mille raisons

Ainsi, en nous attachant à la patrie, la Providence justifie toujours ses voies, et nous avons pour notre pays d'amour. L'Arabe n'oublie point le puits du chameau, la gazelle, et surtout le cheval, compagnon de ses courses; le Nègre se rappelle toujours sa case, sa zagaie, son bananier, et le sentier du zèbre et de l'éléphant.

On raconte qu'un mousse anglais avait conçu un tel attachement pour un vaisseau à bord duquel il était né, qu'il ne pouvait souffrir d'en être séparé un moment. Quand on voulait le punir, on le menaçait de l'envoyer à terre; il courait alors se cacher à fond de cale, en poussant des cris. Qu'est-ce qui avait donné à ce matelot cette tendresse pour une planche battue des vents? Certes, ce n'étaient pas des convenances purement locales et physiques. Était-ce quelque con

formité morale entre les destinées de l'homme et celles du vaisseau? ou plutôt trouvait-il un charme à concentrer ses joies et ses peines, pour ainsi dire, dans son berceau? Le cœur aime naturellement à se resserrer; moins il se montre au dehors, moins il offre de surface aux blessures c'est pourquoi les hommes trèssensibles, comme le sont en général les infortunés, se complaisent à habiter de petites retraites. Ce que le sentiment gagne en force, il le perd en étendue : quand la République romaine finissait au mont Aventin, ses enfants mouraient avec joie pour elle; ils cessèrent de l'aimer lorsque ses limites atteignirent les Alpes et le Taurus. C'était sans doute quelque raison de cette espèce qui nourrissait chez le mousse anglais cette prédilection pour son vaisseau paternel. Passager inconnu sur l'océan de la vie, il voyait s'élever les mers entre lui et nos douleurs: heureux de n'apercevoir que de loin les tristes rivages du monde !

Chez les peuples civilisés, l'amour de la patrie a fait des prodiges. Dans les desseins de Dieu, il y a toujours une suite; il a fondé sur la nature l'affection pour le lieu natal, et l'animal partage en quelque degré cet instinct avec l'homme; mais l'homme le pousse plus loin, et transforme en vertu ce qui n'était qu'un sentiment de convenance universelle : ainsi les lois physiques et morales de l'univers se tiennent par une chaîne admirable. Nous doutons qu'il soit possible d'avoir une seule vraie vertu, un seul véritable talent, sans amour de la patrie. A la guerre, cette passion fait des prodiges dans les lettres, elle a formé Homère et Virgile. Le poète aveugle peint de préférence les mœurs de l'Ionie où il reçut le jour, et le cygne de Mantoue ne s'entretient que des souvenirs de son lieu natal. Né dans une cabane, et chassé de l'héritage de ses aïeux, ces deux circonstances semblent avoir singulièrement influé sur son génie : elles lui ont donné cette teinte de tristesse qui en fait un des prin

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cipaux charmes; il rappelle sans cesse ces événements, et l'on voit qu'il se souvient toujours de cet Argos où il passa sa jeu

resse:

Et dulces moriens reminiscitur Argos

Mais la religion chrétienne est encore .venue rendre à l'amour de la patrie sa véritable mesure. Ce sentiment a produit des crimes chez les anciens, parce qu'il était poussé à l'excès. Le christianisme en a fait un amour principal, et non pas un amour exclusif: avant tout, il nous ordonne d'être justes; il veut que nous chérissions la famille d'Adam, puisqu'elle est la nôtre, quoique nos concitoyens aient le premier droit à notre attachement. Cette morale était inconnué avant la mission du Législateur des chrétiens; c'est à tort qu'on a prétendu qu'il voulait anéantir les passions: Dieu ne détruit point son ouvrage. L'Évangile n'est point la mort du cœur; il en est

1. En. lib. x, vers 782%

la règle. Il est à nos sentiments ce que le goût est aux arts; il en retranche ce qu'ils peuvent avoir d'exagéré, de faux, de commun, de trivial: il leur laisse ce qu'ils ont de beau, de vrai, de sage. La religion chrétienne, bien entendue, n'est que la nature primitive lavée de la tache originelle.

C'est lorsque nous sommes éloignés de notre pays que nous sentons surtout l'instinct qui nous y attache. Au défaut de réalité, on cherche à se repaître de songes; le cœur est expert en tromperies; quiconque a été nourri au sein de la femme, a bu à la coupe des illusions. Tantôt c'est une cabane qu'on aura disposée comme le toit paternel; tantôt c'est un bois, un vallor, un coteau, à qui l'on fera porter quelques-unes de ces douces appellations de la patrie. Andromaque donne le nom du Simoïs à un ruisseau. Et quelle touchante vérité dans ce petit ruisseau qui retrace un grand fleuve de la terre natale! Loin des bords qui nous ont vus naître, la nature est comme diminuée, et ne nous paraît plus que

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