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105 Presque tous les adjectifs qualificatifs latins ont un comparatif : Doctus (docte) fait doctior (plus docte ),

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Doctus, fortis, c'est le degré positif, primitif, originel, il exprime la qualité pure et simple; doctior, fortior, joint à l'idée fondamentale celle d'une idée de supériorité relative, que nous sommes forcés d'exprimer par un mot séparé, par plus, appelé vulgairement adverbe, c'est un vrai comparatif, venu du latin plus, pluris. 106 Oui, je montrerai par Aristote, le philosophe des philosophes, que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables. MOLIère.

Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime. MOLIÈRE. L'Etourdi.

Les latins ont ignorans, ignorantior, ignorantissimus. Voilà leurs trois degrés le positif ignorans, le comparatif ou supérioritif ignorantior, et enfin ignorantissimus, d'où notre ignorantissime, que nous appelons avec eux superlatif, c'est-à-dire adjectif qui porte la qualité à un très-haut degré. On a dit dans le plus haut degré, c'est une grande erreur; ignorantissime ne signifie jamais le plus ignorant, mais très-ignorant.

Nous avons fait, à l'imitation du latin, quelques autres superlatifs :

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Et nos écrivains se permettent quelquefois d'en créer. Voltaire a dit :

La parvulissime, la pédantissime république de Genève.

Ell'un des traducteurs de Don Quichotte :

Puissantissime seigneur, et vous bellissime dame, l'écuyer fidélissime, etc.

Nous avons aussi quelques superlatifs d'une autre forme :

Si Charles, par son crédit,

M'a fait un plaisir extrême,

J'en suis quitte; il l'a tant dit,

Qu'il s'en est payé lui-même. CAILLY.

Des auteurs de nos jours les volontés suprêmes, Au moment du trépas, sont la voix des dieux mêmes.

Nous avons encore minime, une affaire minime, c'est-à-dire très-petite. Voilà pourquoi on ne dit pas très-extrême, très-suprême, très-minime.

NATURE DES DEGRÉS.

108 Soit que le degré s'exprime par une forme particulière de l'adjectif, comme doctus, doctior, doctissimus, ou par un mot séparé, comme dans docte, plus docte, très-docte, il y a évidemment comparaison; car on est

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docte selon une mesure commune, ou plus docte que ne comporte cette mesure ou toute autre mesure, ou très-docte comparativement à la même me

sure commune.

Ainsi les trois degrés ont pû être également appelés degrés de comparaison. C'est par cela même que la dénomination donnée au second degré n'est pas convenable.

Il faut donc chercher quelle est la base des comparaisons qu'on a dû faire pour distinguer entre eux les trois degrés, et savoir les employer à propos.

L'importance de cette recherche n'a pas même été soupçonnée par les grammairiens.

En parcourant un corps, nous éprouvons des sensations successives, qui, comme Locke l'a trouvé le premier, nous donnent l'idée de l'étendue, qualité éminemment mesurable, et prototype de toutes les mesures.

· L'idée de degré ou de graduation est donc prise dans l'étendue même dans l'étendue mesurée. Comment en effet concevoir des degrés sans distance de l'un à l'autre, sans une étendue évaluée? mais cette évaluation ne peut se faire que par des mesures.

Supposons M. Grado né dans un petit globe qui borne tout le genre humain à un très-petit nombre d'individus. Tous les jours ces gens se voient, et, permettez-moi le terme, ils se toisent. L'un ne va qu'au nombril de M. Grado; quelques autres, du nez lui sillonnent la poitrine ou le menton; d'autres le dépassent de tout le front ou de toute la tête. Mais le grand nombre marche à peu près de pair avec lui; il sait tout cela très-exactement, parce qu'il les a tous mesurés à son aune, et qu'il les a trouvés tous ou plus grands ou plus petits que lui, ou à peu près de sa taille. Comme sa mesure à lui est par accident celle qui est la plus commune, ce sera aussi la mesure générale, l'unité métrique qui lui sert pour toutes ses comparaisons. Il prend à volonté et selon le besoin telle ou telle partie de cette mesure.

Ainsi, quand il dit que quelqu'un est grand; d'abord il ne parle que de quelqu'un de son globe, et il entend que sa grandeur est égale à la mesure générale, qui, je suppose, est de cinq pieds et quelques pouces.

Quand il le désigne comme grandissime, il le compare à cette même mesure générale, et lui attribue un grand excédent de grandeur par rapport à cette mesure; quand il l'annonce comme major, c'est un terme de son globe que nous traduisons par la périphrase plus grand; il le compare à la mesure générale, ou à telle ou telle mesure particulière.

Le géant est plus grand que la mesure générale, etc.; Ini Grado est plus grand que le nain, etc., etc. Ici le peu ou le beaucoup ne fait rien à la chose: un pouce, une ligne suffit pour justifier le degré.

110 La graduation de l'adjectif grand étant assez éclaircie, et celle des autres adjectifs étant dans la même analogie, nous croyons pouvoir céder cette fois à l'empressement de définir.

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Définitions particulières.

Il exprime une idée d'égalité avec la mesure générale.

Il exprime une idée de supériorité par rapport à la mesure générale, ou toute autre mesure supérieure ou inférieure.

Il exprime une idée d'abondance par rapport à la mesure générale. C'est le positif très-augmenté. Le comparatif est souvent moins que le positif; il est quelquefois plus que le superlatif même.

Définition générale.

111 Le degré de l'adjectif est la propriété qu'il a ( par lui-même et sans le secours d'aucun autre mot) d'ajouter à l'idée fondamentale l'idée accessoire d'un rapport à une mesure quelconque (générale ou particulière).

Nous disons, sans le secours d'aucun autre mot. Pourquoi le répéter cent fois? Il n'y a, il ne peut y avoir en aucune langue, un seul substantif, absołu ou relatif, un seul adjectif simple ou verbe, qui soit de plusieurs pièces, qui soit plusieurs substantifs, ou un substantif et un adjectif.

Le superlatif absolu des grammairiens très-grand, n'est autre chose que l'adjectif variable grand, et l'invariable très, du latin ter, trois fois. C'est ainsi qu'on disait : saint, saint, saint, ou trois ( fois) saint. Le mot gran→ dissime est un vrai superlatif, puisque par lui-même il exprime tout à la fois l'idée fondamentale grand, et l'idée accessoire d'abondance par rapport à la mesure générale.

Le prétendu superlatif relatif, le plus grand, est un composé des deux adjectifs le et grand, et de plus, mot expliqué dans la note (1). Le plus grand des deux enfants, c'est l'enfant ( entre les deux enfants) PLUS GRAND que l'autre.

(1) L'idée de plus se trouve aussi dans moins, car moins équivaut à plus menument, plus petitement. Plus vient du latin plus, de pleniùs, de plenus, du grec Pléos, et signifie une supériorité de plénitude, car plenus veut dire plein. PLUS n'est donc pas un signe de comparatif, mais un vrai comparatif.

S'il y a des comparatifs d'infériorité.

112 Si moindre, par exemple, était le comparatif de grand, ce serait sans

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doute un comparatif d'infériorité. Mais moindre est évidemment la traduction du latin minor, de minutus, menu, petit, et signifie plus menu, c'està-dire plus petit; donc moindre renferme une idée de supériorité dans la petitesse.

Il n'existe dans aucune langue de comparatifs d'infériorité. Les Latins disent: magnus, major, maximus ; voilà les trois degrés, savoir, le positif, le supérioritif (comparatif) et le superlatif de magnus. Ils disent : minutus, minutior ou minor, et minimus, petit, moindre (ou plus petit), très-petit. Ce sont encore les trois mêmes degrés, mais d'un autre adjectif.

On voit par-là que ceux qui admettent des comparatifs d'infériorité n'ont pas même soupçonné la nature de la graduation.

Développements.

Nous avons vu comment M. Grado a varié l'adjectif grand. Nous avons remarqué que pour employer le positif grand et le superlatif grandissime, il a dû connaître la MESURE GÉNÉRALE d'après laquelle on est grand dans son globe; que pour faire ses majors, c'est-à-dire ses hommes plus grands que les autres, il a eu peu de peine, toute mesure lui a été bonne; car il a facilement aperçu que le géant était major, par rapport à lui, et que lui Grado était major à son tour, comparativement à ceux qu'il surpassait d'un pied, d'un pouce, ou seulement d'une ligne.

Mais la grandeur générale que s'est faite M. Grado n'est que pour les habitants de son globe; un Lapon-géant, un Lilliputien-géant est un nain pour lui.

Ce n'est pas tout. L'idée de grand s'applique à d'autres êtres qu'à l'homme; il a donc fallu que M. Grado se formât des idées nettes d'autant de mesures générales de grandeurs qu'il a d'êtres différents à mesurer. Sous ce rapport il a eu

un homme grand,

un grand arbre,

un grand dîner,

un grand château,

un grand champ,

un grand génie,
un grand chapeau,
un grand sot,

un grand fripon,

et mille et mille autres objets qu'il n'a pu appeler grands qu'après s'être fait, par de longues observations, autant de mesures générales; car dans

son globe, un homme ne peut être appelé grand qu'il n'ait cinq pieds quelques pouces ; tel arbre n'y est réputé grand qu'autant qu'il a cinquante pieds; il y faut tant de convives ou tant de plats pour un grand dîner, tant d'ailes ou de croisées pour un grand château, etc. Quelle immensité de connaissances pour la graduation de la seule qualité grand, cependant la plus facile de toutes à mesurer, puisqu'elle n'est qu'une manière de considérer l'étendue! Par quelle accumulation de prodiges a-t-il donc pu se faire des mesures générales pour les cinq mille adjectifs graduables de sa langue, surtout pour ceux qui ont le moins de rapport avec l'étendue ? C'est pourtant ce que nous avons dû faire nous-mêmes. Pour parler avec quelque exactitude, il faut que nous connaissions non-seulement les idées fondamentales comprises dans les adjectifs que nous employons, mais encore les diverses mesures générales qui constituent leur degré positif.

C'est peut-être là ce qui fait le charme secret des bons orateurs, des bons écrivains. Un esprit observateur, un tact fin et sûr leur a donné cette connaissance des mesures générales.

Elles ont toutes été calquées sur l'idée d'étendue. On a supposé des dimensions à la richesse, à la vertu, à la science, à l'esprit ; et quand on dit de quelqu'un qu'il est riche, vertueux, savant, spirituel, on tient en quelque sorte à la main la mesure requise pour qu'il puisse être déclaré tel. En général quelqu'un n'est pas riche parce qu'il possède quelques milliers d'écus, quoique dans telle ou telle classe le possesseur de cette somme fût riche ou même richissime.

CHAPITRE XVII.

Idées accessoires et variations de l'adjectif affirmatif ou verbe S1 et 2. Personne et Nombre.

Singulier.

1 J'ai, dit-il, dans mon écurie,

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Un fort beau roussin d'Arcadie.

Pluriel.

1 Reposez-vous, usez du peu que nous avons. LA F. Philemon ct Baucis.

a Eh! n'as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans 2 Vous avez beau sujet d'accuser la nature. Paris

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LA F. 1, 22.

3 De quand sont vos jambons? Ils ont fort bonne mine. LA F. 4, 4.

N'ont-ils point de pitié de leur vieux do-
mestique? LA F. 3, 1.

Imprudence, babil et sotte vanité,
Ont entr'eux étroit parentage. LA F.

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