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Voilà donc les trois mêmes rôles joués par Mercure, toujours par des personatifs.

24 Ces trois mêmes personnages ou rôles peuvent être également remplis par tous les êtres de la nature, et par tous ceux que peut enfanter l'imagination.

Ainsi trois mots, je, tu, il, avec quelques variétés de formes, peuvent peindre les mêmes états, les mêmes actions que cent mille substantifs natifs ou factices; et, de plus, se mettre en rapport avec l'acte de la parole. 25 La même action pourra toujours être exprimée avec quatre différences:

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1. Mercure veut être fils unique; 2. Je veux être fils unique;

3. Tu veux être fils unique ;
4. Il veut être fils unique.

Voyez quelle immense variété trois monosyllabes jètent dans le discours! Par le seul effet de je, tu, il, le nombre des phrases où se trouvent les substantifs natifs ou factices est quadruplé.

Il résulte, de ce chapitre et du précédent, que les substantifs désignent les êtres d'une manière absolue, ou avec relation à l'acte de la parole, et qu'il faut en distinguer deux sortes, savoir:

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Et que m'a fait, à moi, cette Troie où je cours? RACINE. Iph. 4, 6.

Si au personatif on substituait Achille, on aurait : Et qu'a fait à Achille, à Achille, cette Troie où court Achille? Il n'y aurait plus de scène, plus d'acteur, plus de rôle; on ne saurait qui porte la parole, ni à qui, ni de qui l'on parle.

Nous sommes quatre à partager la proic. LA F. 1, 6.

Nous est ici pour moi et vous: c'est le lion qui parle pour lui, la brebis, la chèvre et la génisse.

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La raison du plus fort est toujours la meilleure. ( C'est-à-dire celle qui prévaut.)

Nous l'allons montrer tout à l'heure. LA F. 1, 10.

Ici nous est pour je ou moi; c'est comme s'il y avait : Moi (l'auteur de cette fable) je vais le prouver.

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Voilà tous les personatifs de première personne je, me, moi, nous.

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Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui, | Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui, Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de fa- Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles. La F. 9, 9.

milles,

Vous peut se traduire ici par toi et toi, toi et lui, toi et eux; mais vous contient toujours l'idée de toi.

Vous se prend souvent pour ne désigner que l'unité.

Vous chantiez! j'en suis fort aise;

Eh bien! dansez maintenant. LA F. 1, 1.

Vous n'est ici adressé qu'à la cigale. Tu, te, toi, vous, sont les seuls personatifs de seconde personne.

TROISIÈME PERSONNE.

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LA F. 2, 11.

LA F. 1, 5. On a souvent besoin d'un plus petit que soi.

Voilà tous les personatifs de troisième personne, quand il est question de l'unité.

Eux venus, le lion par ses ongles compta.

Jupin les renvoya s'étant censurés tous.

LA F. 1, 7.

Elles se mariraient dans de bonnes familles.

LA F. 2, 20.

LA F. 2, 7.

LA F. 1, 6.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

On a vu que se sert au pluriel comme au singulier. Il en est de même de soi, il, le, lui, se, soi, elle, la, au singulier; eux, ils, sc, soi, les, leur, elles, au pluriel. Voilà tous les personatifs de la troisième personne.

30 Paris nous méconnaît, Paris ne veut pour maître

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Il n'est si poltron sur la terre

Ni moi, qui suis son roi, ni vous, qui devez | Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. l'être! VOLT. Henriade.

LA F. 2, 14.

Voilà qui en rapport avec les trois personnes; il pourrait s'appeler omnipersonnel. Il en est de même de que; mais les deux mots sont d'un usage si varié, si étendu, qu'ils ont besoin d'être traités avec de grands détails : c'est ce que nous ferons dans la Syntaxe.

Les personatifs de troisième personne ont dû être les plus nombreux; car ils sont relatifs à des êtres qui ne sont pas sous les yeux, et dont on est obligé de désigner le sexe. Au contraire, ceux de première et ceux de seconde personne sont sur la scène, et l'on n'a pas besoin d'exprimer s'ils sont mâles ou femelles.

CHAPITRE IV.

Les personatifs ne tiennent pas la place des noms ou des substantifs; il n'y a donc point de pronoms.

39 Quoi! l'on veut me mener coucher sans autre | Il n'en a tenu compte ; il a si bien veillé, Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé. RAC. Plaid. 1, 1.

forme!

Obtenez un arrêt comme il faut que je dorme.
RAC. Plaid. 1, 5.

Monsieur, vous vous levez tous les jours trop

matin. RAC. Plaid.

Voilà les trois rôles remplis par un seul et même individu. Essayez de remplacer les trois personatifs par le substantif absolu Perrin Dandin, et

Vous aurez :

Quoi! l'on veut mener coucher Perrin Dandin!

Perrin Dandin lève Perrin Dandin trop matin;

Perrin Dandin n'en a tenu compte.

Les personatifs ont disparu; mais aussi en même temps les rôles. Est-ce Perrin Dandin qui parle? est-ce à lui qu'on parle? ou sait-on, par exemple, que dans Perrin Dandin n'en a tenu compte, c'est plutôt de lui qu'on parle que dans les autres vers?

Il est donc démontré qu'en remplaçant le personatif par le substantif absolu, tout est changé. Les personatifs ne sont donc pas des mots qui tiennent la place des noms. C'est donc dans l'ignorance de la saine idéologie qu'ils ont été appelés pronoms.

Prenons encore quelques exemples:

33 Monsieur, excusez-moi: je n'y puis rien com- | Va, tu seras un jour l'honneur de la famille.

prendre. RAC. Plaid. 2, 2.

Elle lit un billet. Rac. Plaid. 2, 3.

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Mettez à la place de je, tu, elle, le substantif absolu Isabelle, vous

aurez :

Monsieur, excusez Isabelle;

Isabelle sera l'honneur de sa famille ;

Isabelle lit.

Vous avez une idée, celle d'Isabelle; mais vous n'avez plus d'idées de. rôle on ne sait qui parle, à qui, ni de qui l'on parle.

Par le moyen de je, tu, il, elle, tout le genre humain, mâle et femelle, peut aussi, comme Perrin Dandin et Isabelle, être représenté dans toutes sortes d'états, fesant toutes sortes d'actions.

D'où toujours quatre phrases, où il n'y en aurait qu'une s'il n'y avait que des substantifs absolus.

1° Isabelle lit un billet;

2° Je lis un billet;

5° Tu lis un billet;

4° Elle lit un billet;

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C'est Isabelle qui parle.

C'est à Isabelle qu'on adresse la parole.
C'est d'Isabelle qu'on parle.

Les êtres parlants ne sont pas seuls mis en scène par les personatifs.

La Fontaine dit :

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Dans le numéro suivant La Fontaine fait parler des êtres inanimés.

Je vous défendrai de l'orage (dit le chêne); | Votre compassion, lui (à lui, chêne) répondit Les vents me sont moins qu'à vous redou

tables.

l'arbuste,

Part d'un bon naturel. LA F. 1, 22.

Voilà le chêne qui, dans le premier vers, dit je Je vous défendrai.
Dans le second le roseau lui dit vous.

Et dans le troisième lui est aussi, comme on a vu, relatif à chêne.

Je plie et ne romps pas.

Vous avez beau sujet d'accuser la nature.

Comme il disait ces mots. La F. 1, 22.

Voilà le roseau qui devient aussi successivement je, tu, il.

SUITE.

Il n'y a pas même jusqu'aux substantifs factices qui ne puissent être mis en scène par les personatifs.

Près de là, fort heureusement,

La Fortune passa, l'éveilla doucement,

Et lui dit: Mon mignon, je vous sauve la vie.

LA F. 5, 11.

O Fortune! ô toi qu'on envie...

Elle part à ces mots. LA F. 5, 11.

La Fortune n'est point un être réel; on a vu des êtres fortunés, et l'on en a détaché cette manière d'être; on a parlé de la Fortune comme d'une 'femme, d'une déesse, et on lui a donné les mêmes attributs.

38 Cependant, dira-t-on, quand on emploie le personatif on n'exprime point le substantif; donc il en tient la place.

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Sans doute, lorsqu'on emploie l'un on n'emploie pas l'autre. C'est comme la phrase de celui qui, entendant bien faire ses trois repas par jour, disait: Quand je déjeûne, je ne dine pas; quand je dîne, je ne soupe pas.

Quand un roi nomme un vice-roi, le vice-roi le remplace réellement et fait tout ce que ferait le roi; c'est donc un véritable lieutenant. Quand Charles XII envoya sa botte au sénat de Suède pour y être représenté, c'était un impertinent, car la botte ne pouvait pas remplir les fonctions royales, mais il agissait comme si elle devait les remplir.

Jamais le substantif absolu ne peut être substitué au personatif sans altérer doublement le sens. Car, par l'effet de cette substitution, on a d'un côté une idée de moins, celle de relation à l'acte de parole, et une idée de plus, celle d'un être positif.

40 On ajoute: Mais au moins on peut conserver le nom de pronom au personatif de troisième personne ? Je répondrai, par exemple:

Il marchait d'un pas relevé. La F. 1,4.

Qui? un tambour-major? Non. Un recteur d'académie? Non. Mais cet il m'annonce qu'il faut me reporter en arrièrc, et je trouve qu'il s'agit du mulet du fisc.

Le mulet du fisc marchait d'un pas relevé, exprimerait une idée de plus, celle d'un substantif absolu, et ne supposerait point un autre substantif dont on aurait déjà parlé. Le personatif de troisième personne n'est donc pas plus un pronom que celui de première et de seconde per

sonne.

RÉSUMÉ

Des quatre chapitres précédents.

41 Un trait commun ne fait qu'une classe de tous les substantifs absolus, et des substantifs relatifs ou personatifs, c'est-à-dire celui de désigner des êtres. Mais une différence visible sépare les deux sortes les substantifs absolus n'ayant rien qui désigne le rôle, et les personatifs, rien qui indique la nature, l'organisation des êtres, s'ils sont du règne animal, végétal ou

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