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Cette phrase se divise d'abord en deux grandes parts; la première, on trouve là trois sortes de styles; la seconde se subdivise.

D'abord on distinguera par la virgule les subdivisions de la seconde partie; le style rapide, lestyle pittoresque, le style inégal. Maintenant pour séparer la phrase en deux, il faut un signe plus fort, et qui soit immédiatement au-dessus de la virgule; on est convenu que ce serait le point-virgule(;). On aura donc :

On trouve là trois sortes de styles; le style rapide, le style pittoresque, le style inégal.

5 PHRASE.

On trouve là trois sortes de styles le style rapide qui émeut

qui entraine

le style pittoresque

le style inégal tantôt correct

tantôt incorrect.

Cette phrase non-seulement est divisée et subdivisée, comme la précédente; mais la subdivision est elle-même subdivisée. D'où trois degrés de division.

Il a donc fallu chercher de plus un signe plus expressif, plus fort que le point-virgule, il est convenu que c'est les deux points (:). On aura donc :

le style rapide,

On trouve là trois sortes de styles: le style pittoresque;

le style inégal,

qui émeut, qui entraîne;

(tantôt correct,
(tantôt incorrect.

Le second membre, le style pittoresque n'est point subdivisé; mais comme il marche sur la même ligne que le premier et le troisième, il est universellement admis qu'il se terminera de même, c'est-à-dire par le point-virgule. La virgule aurait suffi idéologiquement à la fin de ce membre indivisé, mais elle aurait rompu la symétrie, présentant à la fin d'un membre parallèle une ponctuation différente.

Rien de plus lumineux que cette théorie; cependant les applications n'en sont pas toujours sans difficulté. D'ailleurs elle ne comprend point encore les phrases interrogatives, exclamatives, interlocutoires et la parenthèse. Nous avons donc besoin de la développer et de la compléter.

Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent se rapporte à la ponctuation qu'on peut appeler graduelle, c'est-à-dire qui indique le point comme

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le signe de la clôture de la phrase, la virgule, le point-virgule, et les deux points pour marquer les divisions et subdivisions des parties de la phrase. Il est de fait qu'il y a des phrases simples, sans parties séparables, et que d'autres ont plus ou moins de degrés de division.

Or, pour noter ces différents degrés, quatre signes suffisent;

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Ces quatre signes de la ponctuation graduelle vont être examinés un à un, et faire le sujet d'autant de chapitres.

CHAPITRE IV.

DU POINT (.).

1 Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine char-
ge,

L'autre portant l'agent de la gabelle.

2 Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulage.

3 Il marchait d'un pas relevé,
Et fesait sonner sa sonnette,

Quand l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le mulet du fise une troupe se jete,
Le saisit au frein.et l'arrête.

Ces deux vers présentent un sens complet, indépendant de ce qui suit. C'est donc une phrase, et le point a dû la séparer de la suivante.

C'est encore un sens complet, independant. On pourrait l'abréger et dire, celuici n'eût voulu en être soulagé; mais que deviendraient sans liens tous les autres mots?

On aurait pu s'arrêter aux deux premiers vers et les terminer par un point. Mais les vers qui suivent, quand l'ennemi, etc. ne seraient plus une phrase. Le point a donc dû être renvoyé à la fin du dernier vers.

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NOTA. C'est surtout sur le point qu'il faut porter son attention.

La Fontaine, éditions autographes, Barbou et Pierre Didot ont également trouvé dans ces dix vers trois phrases qu'ils ont distinguées par le point.

4. Le mulet en se défendant

Rigoureusement il y a là plusieurs chai Se sent percer de coups, il gémit, il soupire.nes de mots. On verra pourquoi on n'en fait qu'ane phrase.

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Une exception à la règle du point,

Qu'il faut se hater de faire connaître, c'est celle que présentent les deux derniers vers. Analytiquement voilà trois phrases: 1° le mulet se sent percer de coups, 2° il gémit, 5° il soupire. Cependant on est universellement convenu de ne point ainsi morceler le discours et de ne considérer ces petites phrases que comme les parties d'une phrase unique, et d'employer la simple virgule au lieu du point.

C'est ainsi que dans les vers suivants :

1 Un cri redoutable
Trouble les enfers,
2 Un bruit formidable
Gronde dans les airs,
3 Un voile effroyable
Couvre l'univers.

On a renvoyé le point à la fin de la strophe, se contentant de distinguer les deux premières phrases par la virgule. C'étaient pourtant bien là trois phrases bien distinctes, bien complètes.

C'est ainsi que dans le style coupé, on affaiblit la ponctuatien, comme pour montrer que l'élocution doit être rapide. Cette exception, souvent facile à appliquer, complique quelquefois singulièrement la théorie du point. Dans les cas difficiles, l'écrivain ou le typographe doit se décider hardiment à employer ou à ne pas employer le point, et à tout régler ensuite d'après le parti qu'il aura pris.

Le premier soin qu'on doit avoir lorsqu'on ponctue, c'est de reconnaitre où il faut mettre le point. Ce n'est qu'après cette séparation d'une première phrase d'avec celle qui la suit, par le moyen du point, qu'on peut songerà employer tel ou tel autre signe : tout dépend de cette première délimitation. Tracez ces premières limites d'une manière franche, mettez le point partout où l'enchaînement des mots cesse; ne craignez point de les trop multiplier. Une ponctuation un peu forte soulage l'esprit et ne nuit point au sens, car le point placé entre deux phrases n'est point une si grande barrière qu'on ne puisse ensuite appercevoir l'espèce de relation qu'elles ont entre elles. Il y a des auteurs qui volontiers ue mettraient le point qu'à la fin de chaque chapitre. Alors, dans un si vaste assemblage de mots, comment reconnaître leurs différentes sortes d'enchaînement, et pouvoir marquer tous les degrés de subordination? C'est l'impossible qu'on a entrepris, et il faut nécessairement qu'on succombe. Combien il est plus naturel et plus proportionné à notre faiblesse de faire finir la chaîne où en effet la construction idéologique montre qu'elle finit!

Le point une fois place,

On verra si l'on peut, ou si l'on ne peut pas, diviser ou sous-diviser la phrase.

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re

1 PHRASE.

des villageois sont encore bien loin de Je t'avoue qu'il n'y a rien de si déso-ce qu'ils devraient être. J.-J. R. Emil. lant que de voir une jolie chose qu'on a dite mourir dans l'oreille d'un sot qui l'entend. MONTESQ. Lettre pers.

2 et 3 PHRASE.

Deux écoliers de la ville feront plus de dégât dans un pays que la jeunesse de tout un village. Cependant les enfants

4 PHRASE.

Je crois qu'une des raisons pourquoi les paysans ont généralement l'esprit plus juste que les gens de la ville est que leur dictionnaire est moius étendu. J.-J. R. Emil. 1

Aucune de ces phrases n'est divisible ni subdivisible en parties qui puissent se détacher. Par exemple, ou ne pourrait point couper ainsi la première phrase:

Je t'avoue qu'il n'y a rien

de si désolant

que de voir une jolie chose
qu'on a dite

mourir dans l'oreille d'un sot qui l'entend.

Toute autre coupe serait encore plus insupportable. La dernière phrase est remarquable par sa longueur. Cependant il est impossible d'y faire des coupes, qu'on puisse distinguer par la ponctuation. Elle pourrait être trois fois plus longue, et être encore indivisible. C'était donc une doctrine créée en l'absence totale des faits, que celle qui établissait que la ponctuation doit se régler sur les besoins de la respiration, et qu'elle est l'art d'indiquer, par des signes reçus, la proportion des pauses qu'on doit faire en

lisant.

Cette erreur a jeté de si vastes, de si profondes, et, nous osons le dire, de si pernicieuses racines, qu'elle ne peut être trop puissamment combattue. Aux faits déjà avancés, nous allons ajouter les suivants :

Je préfère le témoignage de ma conscience à tous les discours qu'on peut tenir de moi.

La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir.

LA ROCHEF. cité par Beauzée. Je ne sentis point devant lui le désordre où nous jète ordinairement la présence des grands hommes. MeNT.

Mais ils ne veulent s'exposer qu'autant qu'il est nécessaire pour faire réussir le

dessein pour lequel ils s'exposent.

LA ROCHER. Le peuple s'étonna comme il se pouvait faire Qu'un homme seul eût plus de sens Qu'une multitude de gens. La F.

Un loup qui commençait d'avoir petite part

Aux brebis de son voisinage

Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard.
LA F.

Le même orgueil qui nous fait blåmer les défauts dont nous nous croyons exempts nous porte à mépriser les bonnes qualités que nous n'avons pas.

LA ROCHEF.

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Selon Beauzée même, la première phrase, où il y a vingt-six syllabes, n'excède pas la portée ordinaire de la respiration, et peut en être regardée dpeu-prés comme la mesure.

Remarquez que les trois phrases suivantes, dont l'une est de trentetrois syllabes, sont encore écrites par Beauzée sans ponctuation intérieure. Les trois subséquentes, dont l'une est de trente-huit syllabes, sont ponctuées de même par Didot.

Urbain Domergue et plusieurs autres grammairiens prétendent que la portée de la respiration ne s'étend pas au-delà de huit syllabes, parce qu'en effet nous n'avons point de vers au-dessus de cette mesure, sans un repos intérieur ou césure.

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Que M. Beauzéc nous dise s'il trouve ces repos bien ou mal notés. Dans le premier cas que deviennent ses principes de ponctuation? Dans le second qui peut y atteindre?

D'après les exemples ci-dessus et l'explication qui les suit, il est évident que la respiration n'a rien, absolument rien à démêler avec la ponctuation; que c'est le sens seul, plus ou moins divisible de la phrase, qui décide la manière de ponctuer (*).

Exemples.

La venue du faux christ semblait être un plus prochain acheminement à la dernière ruine. Boss. Hist. univ.

Chaque connaissance ne se développe qu'après qu'un certain nombre d'autres connaissances se sont développées.

Passage déjà cité. L'homme impatient est entraîné par ses désirs indomptés dans un abîme de malheurs. FÉNÉL.

Observations.

Beauzée, à la longue haleine, est resté court dans ces deux phrase, et il met une virgule après la partie italique, qui pourtant se lie invinciblement à ce qui suit.

Ainsi dans la première phrase il sépare le nominatif et le verbe la venue...... semblait. Dans la seconde il nous fait bailler en attendant un complément nécessaire, et inséparable pour le sens; àpeu-près comme si l'on disait il était devenu amoureux d'une autre.... philosophie. Dans la troisième il nous force à détonner.

(*) Entendez l'abbé Girard, Beauzée, etc.; ils s'extasient sur les avantages de la ponctuation. C'est elle, disent-ils, qui montre les pauses qu'il faut faire en lisant: et ils ajoutent que ce sont les pauses qu'il faut faire en lisant qui règlent la ponctuation. Ainsi voulez-vous savoir bien lire? apprenez à bien ponctuer; mais n'oubliez pas que, pour savoir bien ponctuer, il faut savoir bien lire.

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