Il y a encore quelques autres signes, comme les points suspensifs, la parenthèse, etc.; mais ils ne peuvent être rangés parmi les signes graduels. L'Iliade, l'Odyssée, l'Énéide et autres poèmes épiques, sont divisés en livres et en chants; les tragédies et les comédies en actes et en scènes. Mais les ouvrages didactiques se divisent et se subdivisent, selon que le besoin l'exige, en plusieurs parties appelées sections, chapitres, paragraphes, articles, etc. La Botanique divise les plantes en classes, les classes en ordres, les ordres en genres, les genres en espèces, etc. Nous n'entrerons ici dans aucun détail; il nous suffit d'avoir indiqué qu'un sujet quelconque doit être plus ou moins divisé et subdivisé en parties graduelles et subordonnées. Lorsqu'un auteur a conçu son plan, qu'il sait le nombre de divisions et de subdivisions qui se trouveront dans son ouvrage, il faut, pour la typographie, qu'il veille à ce que la grosseur du caractère soit conforme à la graduation des titres, comme nous l'avons figuré ci-dessus. Non-seulement on marque l'ordre par des titres, tels que sont les mots parties, sections, chapitres, etc., mais on indique à la suite ou en dessous la nature de l'objet qu'on va traiter. Vient ensuite l'alinéa, qui, comme dit Domergue, rompt la monotonie des lignes, repose la vue et délasse l'esprit. Rien n'est plus mal entendu que les ouvrages tout d'une haleine et sans pause. Un texte qui n'est coupé que par des titres clair-semés est comme une mer effrayante, qui ne présente à l'œil qu'une masse incommensurable. 1669 « Il existe, dit l'Encyclopédie, au mot ponctuation, un grand nombre de » manuscrits anciens, où ni les sens ni les propositions ne sont distinguées en aucune manière; ce qui porterait à croire que l'art de la pone>>tuation était ignoré dans les premiers temps. >> Les principes en sont même aujourd'hui si incertains, si peu fixés par » l'usage uniforme et constant des bons auteurs, qu'au premier aspect on » est porté à croire que c'est une invention moderne. >> On trouve néanmoins, dans les écrits des anciens, une suite de té moignages qui démontrent que la nécessité de cette distinction raison>> née s'était fait sentir de bonne heure,qu'on avait établi descaractères pour » cette fin. » Isidore de Séville, dans le septième siècle, dit que la ponctuation est une figure particulière, placée à la manière d'une lettre, pour démontrer chaque division des mots, des sens et des vers. Voici ses termes: Est figura propria in litteræ modum posita ad demonstrandam unamquamque verbi sententiarumque ac versuum rationem. Aristote se plaignait de ce qu'il ne pouvait ponctuer (diastizai) les écrits d'Héraclite, sans risquer de donner dans quelques contre-sens. Dia-stizai, de diistêmi, signifie séparer par des intervalles. Cicéron, accent oratoire, livre III, parle de la même opération; et il la désigne par le mot INTER-PUNGERE, poindre, ou mettre des points entre. C'est du latin punctum que nous avons fait poinct, ponctuer. Nous verrons que la ponctuation est l'art, non pas de marquer les pauses qu'on doit faire en lisant, mais de distinguer les phrases entre elles, et les sens partiels de chaque phrase. 0 CHAPITRE II. PONCTUATION COMPARÉE. De fait on ponctue, tous les livres sont ponctués. Commençons par constater l'état de cette partie de la science grammaticale. Nous avons pris le livre le plus répandu peut-être qu'il y ait au monde, Les Fables de La Fontaine, et nous avons choisi quatre éditions parmi celles qui sont les plus estimées; savoir les deux premières revues par La Fontaine luimême, celle de Barbou et l'édition stéréotype de Pierre Didot. Pour faciliter notre notation, nous les avons distinguées par les chiffres 1, 2, 3, 4. LE CORBEAU ET LE RENARD. Maître corbeau 1 2 3 4, sur un arbre perché 1, 2 3, 4, (1) Maître renard 1 23 4, par l'odeur alléché 1, 2 3, 4, Lui tint à peu près ce langage 1: 2. 3. 4: Hé 1 2 3 4! bonjour, monsieur du corbeau 1 : 2. 3. (2) 4! Sans mentir 1 2 3, 4, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. A ces mots 1 2 3, 4, le corbeau ne se sent pas de joie 1: 2: 5:4; Et 1 2 3, 4, pour montrer sa belle voix 1,2 3, 4, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie 1, 2. 3. 4. Vit aux dépens de celui qui l'écoute 1. 2. 3:4: Cette leçon vant bien un fromage 1 2 3 4, sans doute. Le corbeau 1 2 3 4, honteux et confus 1 2 3 4, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. 10 fois. 3o Barbou et Didot different entr'eux. Prenez toute autre édition, tout autre livre; même discordance, même désordre. L'art de la ponctuation est donc à créer, ou s'il existe, il est, même pour les plus habiles, d'une extrême difficulté. (1) Maître corbeau 1 2 3 4, signifie que La Fontaine, 1 et 2o édition, et Barbou ou chiffre 3, n'ont employé aucun signe de ponctuation, et que Pierre Didot ou chiffre 4 a mis une virgule. (a) Monsieur du corbeau 1: 2. 5. 4 voilà trois sortes de ponctuation. 71 2 CHAPITRE III. IDÉE GÉNÉRALE DE LA PONCTUATION. Soient les cinq phrases suivantes : 1 Je trouve là trois sortes de styles. 2 Je trouve là le style rapide. 3 Je trouve là le style rapide le style inégal le style pittoresque. le style pittoresque 5 Je trouve là trois sortes de styles le style rapide qui émeut qui entraîne. le style pittoresque le style inégal tantôt correct Avant tout il faut trouver un signe qui distingue, qui sépare ces phrases. Ce sera le signe de ponctuation le plus expressif, le plus fort; ce sera le point (.). Déjà il se trouve employé à la fin des cinq phrases ci-dessus. Dès ce moment, on peut avoir une idée de l'emploi du point. LE POINT SERT A SÉPARER LES PHRASES, c'est-à-dire les chaînes de mots qui présentent un sens fini. Mais qu'est-ce qu'un sens fini? cette reconnaissance est déjà une difficulté. Car on verra que la fable notée offre sur ce point cinq dissidences, savoir dans le second vers, le quatrième, le cinquième, le douzième et le quinzième. Arrêtons-nous à la première phrase: Maître corbeau sur un arbre perché Ces deux vers ainsi détachés présentent une chaîne de mots dont on peut montrer idéologiquement tous les anneaux. Cette phrase commence par un mot en delà duquel il n'y a rien, c'està-dire par le sujet du verbe; elle est rompue ou se termine dans le second vers par le mot FROMAGE. Il est certain que la phrase ainsi isolée ne peut être terminée que par 1678 un point. Le point même, la phrase étant seule, ne serait pas nécessaire puisqu'il n'aurait rien à séparer. Mais la phrase étant encadrée, un signe de séparation devenait néces saire. La phrase qui suit est celle-ci : Maître renard par l'odeur alléché Lui tint à peu-près ce langage. N'est-il pas évident que c'est là une autre chaine de mots ? C'était donc évidemment le point qui était réclamé après le mot fromage. La ponctuation de Barbou qui admet un autre signe, est donc évidemment vicieuse; mais revenons à nos cinq phrases, on trouve là, etc. Elles ont toutes été séparées par le point, mais ont-elles ou n'ont-elles pas des parties séparables? 1T PHRASE. Dans on trouve là trois sortes de styles, Il n'y a rien à séparer. Que signifierait on trouve, ou bien trois sortes de styles? Cette première phrase ne peut donc exiger dans son intérieur ancun signe de séparation. On trouve la le style rapide, 2o PHRASE. Il n'y a rien encore à séparer dans cette phrase. 3o PHRASE. On trouve la le style rapide le style pittoresque le style inégal. C'est comme s'il y avait : On trouve là 1o le style rapide 2o le style pittoresque 3 le style inégal. Voilà des parties évidemment séparables, mais sans subdivisions et marchant sur la même ligne. Pour distinguer ces détails, il faut donc, outre le point qui termine la phrase, un autre signe, et ce doit être le plus faible. Or le signe le plus faible de la ponctuation, c'est celui qui porte le nom de virgule (,). Nous ponctuerons donc ainsi : On trouve la le style rapide, le style pittoresque, le style inégal. 4 PHRASE. On trouve là trois sortes de styles le style rapide le style inégal.. |