Vous comprenez, dit Condillac, qu'il est inutile de compter les membres d'une période. Vous savez qu'il suffit de bien lier les idées, et qu'il serait ridicule de s'occuper du nombre des phrases. L'ordre usuel varie comme les langues des différents peuples; il est arbitraire et mobile comme les modes. Mais l'ordre idéologique est stable, constant comme la nature, invariable, unique comme la raison. Il est tel qu'étant donné à un nombre plus ou moins grand d'individus, une phrase quelconque, plus ou moins intervertie, elle sera par tous uniformément construite. Dans le premier exemple il n'y a ni plus ni moins de mots que d'idées. Dans le second, il y a des mots qui manquent, mais que l'esprit peut aisément suppléer, et un mot qui surabonde (LES), mais qui ajoute à l'énergie de la pensée. Dans tous les deux les mots, considérés sous le rapport de la place qu'ils occupent, s'éloignent ou se rapprochent plus ou moins de l'ordre idéologique. Enfin la construction qui y est suivie produit des résultats qu'on n'aurait pas obtenus avec telle ou telle autre construction, par exemple, sept étoiles s'offriront devant toi aussitôt, ne serait ni si harmonieux, ni ne présenterait le même intérêt. Nous diviserons donc cette section en trois chapitres. Le premier traitera de la construction sous le rapport de la QUOTITÉ DES Le troisième s'occupera DES RÉSULTATS que donnent les diverses sortes de constructions, et en déduira leurs qualités et leurs défauts. CHAPITRE Ier. DE LA CONSTRUCTION CONSIDÉRÉE SOUS LE RAPPORT Il y a très-peu de phrases où la construction soit pleine; elles appartiennent presque toutes au style coupé, qui constitue l'éloquence militaire, c'est sur-tout le style des tyrans. Nous n'avons rien à dire sur cette construction. Il suffit d'en avoir donné des exemples. SOUS-CHAPITRE II. DE LA CONSTRUCTION SURABONDANTE ou DU PLÉONASME. Pleonasme vient du grec pleos, pleonos, plein, et signifie surabondance; soit que par l'usage les mots surabondants soient devenus nécessaires, ou qu'ils ajoutent à la phrase plus de force ou de grâce, soit que l'usage luimême les réprouve. D'où trois sortes de pléonasmes; pléonasmes nécessaires, pléonasmes utiles, pléonasmes vicieux. Suite. 2. Tombe ou punis les rois, ce sont là les traités. VOLT. Brutus. Quoique ce surabonde pour l'idée, il est nécessaire pour la construction; on ne pourrait pas dire sont là les traités. Quoique pour l'idee ce soit de trop dans ces phrases et semblables, où déjà un autre inot multiplier, épargner, avoir, Multiplier les ressorts du gouvernement, c'est en multiplier les vices. MARMONTEL, Bélisaire. Epargner les plaisirs, c'est les multi-etc., font les fonctions de sujet, il est plier. FONTENELL È. Avoir cent menus soins, C'était parler bas-breton tout au moins. LA F. 3. C'est une affaire où il y a bien des incidents. nécessaire. L'usage l'a consacré; de sorte qu'on peut dire que EST, suivi d'un infinitif, doit toujours se construire avec CE (*). Il y a, dit l'Académie, est une formule consacrée à laquelle on ne peut rien ôter; y figure donc comme pleonasme néces saire. Le pleonasme de la dernière phrase est le plus difficile à démontrer. Il en est des pléonasmes nécessaires comme des hommes nécessaires, il y en a très-peu. A la rigueur, il n'y en a point, car on peut toujours les remplacer. (*) Nous disons que ce employé par pleonasme devant un infinitif est nécessaire. Il cesse de l'être, s'il a pour suite un autre mot. Souffrir est son destin, bénir est son partage. Promettre est un, et tenir est un autre. NOTA. Ce pourrait s'employer aussi dans ces sortes de phrases: souffrir, c'est son destin. Mais M. Maugard prouve, par des faits nombreux, à M. Domergue, qu'on ne doit pas regarder ce pléonasme comme de règle. Pleonasmes utiles. 19 Un jeune homme peut bien être étourdi, léger; Aux travers de l'esprit aisément on fait grâce; Mais les fautes du cœur, jamais on ne les passe. ANDRIEUX, les Etourdis, 2, 13. Celui qui n'a égard, en écrivant, qu'au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors cette justice, qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sail nous la rendre. LA BRUY. 1. Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la for- Il n'est pour le vrai sage aucun revers funeste Et, perdant toute chose, à soi-même ilse reste. Est-ce une répétition ou un pléonasme? peu importe le nom. Cette tournure, sagement employée, produit beaucoup d'effet. Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette. LA F. Les dieux sont de nos jours les maîtres souverains; Mais, seigneur, notre gloire est en nos propres mains. les passages suivants : On les asperge, hélas! le tout en vain. Ouvrant la griffe, et lorsque l'àme échappe, Anonyme. Rigoureusement parlant, prends-moi, on vous le suspendit, il vous le porte, renferment plutôt des ellipses que des pléonasmes. Prends-moi le bon parti, c'est-à-dire prends, si tu veux m'en croire, ou pour me faire plaisir.... On vous le suspendit, c'est-à-dire on le suspendit, c'est à vous que je le dis... Il vous le porte, c'est-à-dire il le porte, c'est à vous que je le raconte... Au reste de quelque manière que cette tournure s'explique par le pléonasme ou par l'ellipse, elle ajoute à l'énergie, mais elle ne sort guère du style familier. |