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MONTESQUIEU. jours le premier; Caton s'oubliait touCicéron avec des parties admirables jours celui-ci voulait sauver la répupour un second rôle, était incapable dublique pour elle-même, celui-là pour s'en premier. Il avait un beau génie, mais une vanter. Quand Caton prévoyait, Cicéron âme souvent commune. L'accessoire, chez | craignait; où Caton espérait, Cicéron se Cicéron, c'était la vertu; chez Caton, confiait....

c'était la gloire. Cicéron se voyait tou

Quiconque a lu l'histoire romaine est frappé de la vérité du dernier parallèle. Or je demande si ceux qui ont l'usage de la langue française éprouvent de même le sentiment des différences énumérées par Beauzée. Qui comprend ce que c'est que rappeler implicitement une idée et la renverser? Et quel avantage peut-on retirer, pour la pratique, de semblables quiddités?

Guère, synonyme de beaucoup.

Rien peut-être ne prouve mieux que guère combien les grammairiens sont faciles à se laisser imposer par les illusions. Guère, disent-ils, signifie peu.

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Il n'y a guère de gens tout-à-fait désin- C.-à-d. il n'y a (pas) beaucoup de gens

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C'est donc une chose presque incroyable que l'unanimité avec laquelle les dictionnaires et les grammaires répétent que guère signifie peu, puisque si à guère on substitue beaucoup, on a, du moins pour le résultat, le même sens. Dira-t-on que, lorsqu'on emploic beaucoup, on le fait précéder de pas, et que ce pas change l'idée ? Mais c'est ajouter une erreur à une autre. Car il a déjà été démontré que pas exprime une quantité positive, qu'il n'est jamais négatif.

Si pas était une négation, ce qui, dit-on, n'arrive que lorsqu'il est précédé de ne, il s'ensuivrait qu'il y aurait deux négations à côté d'un seul mot, et que l'une balançant l'effet de l'autre, la phrase équivaudrait, pour le résultat, à une phrase affirmative.

D'un autre côté, ne sait-on pas que souvent il est indifférent d'employer ou de ne pas employer pas? Ne dit-on pas Je ne sais, je ne pourrais, etc., etc., dans le même sens que je ne sais pas, je ne pourrais pas ?

1502

1503

Guère signifie peu! La négative ne signifie donc rien. Car si la négation continue à signifier ce qu'elle signifie, je n'ai guère d'argent, signifiera je n'ai peu d'argent, c'est-à-dire, je n'ai une petite quantité d'argent; ce qui, pour le résultat, réveille invinciblement l'idée de beaucoup.

Les poètes écrivent guère ou guères, selon le besoin de la mesure ou de la rime.

Naguère est une crâse de n'a guère, c'est-à-dire, il n'y a guère ou beaucoup de temps.

Pourquoi guère n'est jamais précédé de pas.

Guère ne s'employant jamais que précédé de la négation, toutes les fois qu'il paraît dans une phrase, il est un signe certain de précision. Il indique par-lui-même jusqu'à quel point la négation est restreinte. Donnez-moi du vin, mais ne m'en donnez guère. D'un côté, c'est la négation, de l'autre, c'est un mot qui la précise. Pas ou point n'ajouterait rien au tableau; mais si je dis donnez-moi du vin, ne m'en donnez pas beaucoup, le substantif de quantité pas cesse d'être inutile, car beaucoup, pouvant s'employer dans les phrases affirmatives, n'est point un signe constant de la précision dont nous parlons.

C'est par la même raison qu'avec jamais, rien, aucun, nul, jamais on ne trouve pas ou point, ces mots étant des signes presque certains de la présence de la négation.

Ne.

Ne est un son nasal, signe naturel de refus, de rejet. Ce mot semble appartenir au langage interjectif. On peut dire que seul il suffit pour doubler le langage. Faites des millions de phrases affirmatives, introduisez ne, et vous avez des millions de phrases négatives.

Nous diviserons en numéros ce que nous avons à dire sur ce mot important.

NUMÉRO I.

NE se construit toujours avec un verbe.
Temps simples.

1504 1. Toute confiance est dangereuse, si
elle n'est entière. Il y a peu de con-
jonctures où il ne faille tout dire ou
tout cacher. LA BRUY. 5.

2. J'ai vu, siècles futurs, vous ne pourrez le
croire......

Temps dits composés.

Je ne les ai vus de ma vie.
Si vous n'avez su vaincre, apprenez à servir.
VOLT. Mort de César.
Il n'a fallu qu'Hélène, hélas! pour perdre
Troie.

J'ai vu mon verre plein, et je n'ai pu le boire!
SCARRON.

Temps simples.

3. L'inquisiteur qu'entends-je? Ah! quand notre courage

Du Vatican altier fesait taire l'outrage,

L'inquisiteur traitait nos succès d'attentats.
Il prêche le pardon et ne pardonne pas.
4. Ne pouvoir supporter tous les mau-
vais caractères dont le monde est
plein n'est pas d'un bon caractère.
LA BRUY. 5.

N'avoir pas seulement le temps d'être malade!
MOL. Malade imagin.

Temps dits composés.

Auguste, disent lâchement les historiens, pardonna à Rome...... à Rome, dont il était le sujet! Lui et ses pareils n'ont jamais pardonné, ils ont calculé.

N'avoir pu vivre que par l'opinion, et hors de soi, c'est n'avoir eu qu'une existence précaire; c'est être mort sans avoir vécu.

Dans la première colonne, ne est construit avec un temps simple personnel; elle n'est, il ne faille, etc., ou impersonnel, ne pouvoir, n'avoir, etc.

Dans la seconde, c'est encore la même analogie, car l'analyse ne reconnaît point de temps composés. Elle ne voit dans ces collections de mots que les éléments qui les composent, c'est-à-dire, les temps simples du verbe avoir ou du verbe être et l'adjectif passif. Or c'est sur ce premier élément, sur le verbe en temps simple, personnel ou impersonnel, que tombe la négation.

Je ne les ai vus de ma vie. CONSTRUCTION : J'ai

{

ne

eux vus de ma vie. De fait, dans les temps dits composés, ne se place devant le verbe être ou avoir, et non devant l'adjectif passif, et l'idéologie montre sans peine que ce n'est point cet adjectif que frappe la négation. Je les ai vus, signifie j'ai, ou je possède eux vus, c'est-à-dire, considérés comme étant rus, et cela se conçoit. Mais qui pourrait comprendre, j'ai eux non rus? Que serait-ce que d'avoir des hommes ou des choses non rues?

NUMÉRO II.

NE est le seul mot négatif de notre langue qui se construise avec un verbe.

Ce n'était pas un sot, non, non, et croyez

m'en,

Que le chien de Jean de Nivelle. LA F.

Non, non, c'est-à-dire, ce n'était pas un sot, ce n'était pas un sot, etc.

Non diffère de ne, en ce qu'à lui seul il constitue une phrase entière, au lieu que ne n'est jamais qu'un élément de phrase.

On sent bien que c'est contre l'analogie que la finance a ses non-valeurs, le barreau sa non-jouissance et ses fins de non-recevoir.

1506

On demandait à Socrate s'il voulait) C'est-à-dire, il répondit que non ; c'estéchapper, par la fuite, à la mort injuste à-dire, qu'il ne voulait pas échapper par à la quelle il était condamné. Il répondit Ja fuite.

NEGATIVEMENT. ACAD.

On voit que négativement n'est point l'équivalent de ne; car répondre négativement et ne pas répondre, c'est tout autre chose. Répondre négativement porte sur la manière dont on répond, ne pas répondre porte sur le fond lui-même.

NUMÉRO III.

NE, en se joignant à un verbe, a la propriété de changer en proposition contradictoire la proposition dans laquelle il entre. Les logiciens distinguent la proposition contradictoire de la proposition contraire.

Propositions contradictoires.

La cocarde française est blanche.

La cocarde française n'est pas blanche.

Propositions contraires.

La cocarde française est noire.
La cocarde française est rouge.
La cocarde française est bleue.

Les logiciens appèlent proposition contradictoire, celle qui ne dit précisément que ce qu'il faut pour en néanter une autre. Voyez les deux propositions, ou première colonne.

Ils donnent le nom de proposition contraire à celle qui dit plus qu'il ne faut pour en détruire une autre. Voyez les propositions de la secondc.

Une proposition contradictoire n'en a jamais qu'une qui lui soit correspondante; une proposition contraire peut en avoir un nombre indéfini. Un objet peut n'être pas blanc, sans être noir, sans être vert, sans être rouge, etc., etc.

Mais entre deux propositions contradictoires, comme être ou n'être pas, il n'y a point de propositions moyennes.

L'art de prendre la proposition contradictoire est tout à-la-fois facile,

utile et rare.

Qu'y a-t-il de plus facile, puisqu'il ne consiste qu'à savoir ajouter ne dans une phrase, ou à savoir l'en retrancher?

De plus utile, puisqu'il montre le but unique auquel il faut frapper?
De plus rare, puisqu'il est de fait qu'on se jète presque toujours dans les

contraires?

Un joueur tirait au blanc, Diogène court se placer devant le but. On lui en demande la cause : C'est que, dit-il, j'ai peur d'être blessé.

Ce joueur est l'image de ceux qui, au lieu de réfuter une proposition

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par sa contradictoire, en opposent telle ou telle qui dit plus qu'il ne faut

pour

la détruire.

La paix ne se fera pas avant deux ans.

La paix se fera avant dix-huit mois.

La paix se fera avant un an.

La paix se fera avant six mois.

La proposition contradictoire était celle-ci :

La paix se fera avant deux ans.

L'une des deux sera nécessairement vraie. Il n'en est point ainsi des propositions contraires, elles peuvent être fausses toutes les trois. Elles le seront en effet, si la paix se fait dans vingt mois.

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Je puis faire ce que vous dites.

Je saurais me venger.

Je ne puis faire ce que vous dites.
Je ne saurais me venger.

Il faut nécessairement que j'aie dit dans ma pensée je bouge, je puis, je saurais, avant qu'il me soit possible de songer à nier l'existence de ces actions.

NUMÉRO V.

Ainsi ne étant toujours placé devant le verbe ne peut l'être que par in

version.

Les Allemands disent: Ich rühre mich Je bouge moi ne.

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Les Anglais et les Allemands construisent leur négation d'après l'ordre des idées, et, quoi qu'en disent nos grammairiens, ce ne sont point eux, c'est nous qui fesons une inversion.

NUMÉRO VI.

Mots prétendus négatifs.

Nous ne pourrions guère ici que nous répéter. Nous nous bornerons. donc à donner un exemple de chacun de ces mots, avec le rétablissement de l'ellispe qui les a fait prendre pour des négations.

Exemples.

1. On ne prime point avec les grands, ils se défendent par leur grandeur; ni avec les petits, ils vous repoussent par le qui vive. La BruY.

Traduction.

C.-à-d. on ne prime d'un point, ou en un

point quelconque, etc.

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