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4. Dans la chaleur du discours, on croit voir, on se figure les choses, soit passées ou futures, comme si elles se passaient actuellement devant les yeux.

Le récit de la mort d'Hippolyte offre un bel exemple du présent figuré, mis à la place du passé.

Cependant, sur le dos de la plaine liquide,

S'élève à gros bouillons une montagne humide, etc.

Dans ces deux vers de Boileau, on trouve tout ensemble et le passé et le futur remplacés par le présent figuré :

Mais hier il m'aborde, et me serrant la main,

Ah! Monsieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain.

Le présent actuel et le présent figuré ne diffèrent entre eux que parce que le premier est employé dans le sens propre, et le second dans un sens étendu. Leur emploi n'offre point de difficulté ; seulement, quand on a commencé à se servir du présent figuré, il faut continuer la figure, et ne pas dire l'onde approche, vomit... un monstre, le flot qui l'APPORTA, etc., passant ainsi du présent à un passé.

Mais les deux autres présents, l'essentiel et l'habituel, sont sujets à être confondus avec le temps 2, dit imparfait indicatif, lorsque le verbe est précédé d'un que et d'un passé; comme dans j'ai dit que Dieu est bon, ou j'ai dit que Dieu était bon.

Nous allons donc comparer l'un et l'autre présent, et le temps 2, dans les phrases que nous venons de désigner.,

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M. Laveaux a jeté beaucoup de clarté sur ce sujet, que M. Domergue avait traité plutôt en métaphysicien qu'en observateur. D'où des règles générales inflexibles, en contradiction avec les faits, qu'avant tout il fallait recueillir

<< Dans l'esprit des théologiens qu'ont tournés en ridicule Boileau et l'au>>teur des Lettres provinciales, un pécheur peut, sans aimer Dieu, entrer » dans le ciel, saint Pierre doit en ouvrir l'abord à tout venant, un prêtre peut » vendre trois fois la messe, on peut assassiner un homme pour une pomme, etc. >>> Ces maximes sont également invariables pour ces théologiens. » Pourquoi donc, dans les deux passages, ne sont-elles pas également exprimées par le présent essentiel ? et Boileau a-t-il employé dans le second le temps 2 pouvait, devait?

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C'EST QUE

le temps grammatical doit être celui qui existe dans l'esprit de la personne qui parle; et quoiqu'il s'agisse d'une chose qui existe en tout temps, celui qui parle, non-seulement peut la présenter comme telle, en employant le présent; mais il peut la représenter comme correspondante à une époque passée, et dans ce cas, il emploie le temps 2.

Quand Boileau dit : On apprit qu'un prêtre PEUT vendre trois fois la messe, qu'on PEUT assassiner un homme pour une pomme il énonce ces maximes sans rapport à aucune époque, ce qu'il ne peut exprimer que par le pré

sent.

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Mais quand il dit: On entendit prêcher. qu'on pouvait....... qu'on devait, il se reporte à une époque passée, à celle où l'on cherchait, en prêchant, à établir ces propositions, qui, quoique admises par ceux qui les prêchent, sont contestées par d'autres, et ont besoin d'être prouvées.

PRINCIPE.

C'est l'époque qu'on a en vue d'exprimer qui doit régler le choix du temps 1 (je suis) et du temps 2 (j'étais).

De ce qu'une chose est habituellement ou essentiellement vraie, et par conséquent présente dans tous les temps, il ne s'ensuit point qu'il faille employer le présent.

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Quoique ce soit une maxime toujours vraie, qu'il ne faut pas vendre la

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peau de l'ours avant de l'avoir mis par terre, et que la loi du premier occupant est une loi sage, non-seulement on a pu employer le présent, il m'a dit qu'il ne faut jamais...... j'ai pensé que le premier occupant est une loi sage; mais si l'on était plus affecté du fait que de la maxime, et qu'on préférât de le faire correspondre avec une époque passée, on pourrait dire: Il m'a dit qu'il ne fallait jamais vendre la peau de l'ours; et avec La Fontaine : La dame répondit que la terre était au premier occupant.

Phrase proposée à l'Académie.

J'ai cru que le caractère essentiel d'un livre classique de jurispru»dence est de rendre la jurisprudence plus aimable.

» L'Académie répondit, par l'entremise de d'Alembert, que la phrase » proposée ne portant ni le caractère d'une assertion absolue, ni celui › d'une vérité incontestable, on doit mettre l'imparfait au second mem» bre. »

C'est-à-dire que si l'auteur avait considéré la chose de cette manière, et qu'il n'eût pas regardé cette assertion comme une vérité absolue, il eût employé le temps 2, et dit comme veut l'Académie : J'ai cru que le caractère d'un livre classique de jurisprudence ÉTAIT de rendre la jurisprudence plus aimable. Mais il est évident qu'au contraire l'auteur de la phrase s'exprime comme un homme persuadé que ce qu'il dit est une maxime qui est vraie dans tous les temps. J'ai cru que le caractère essentiel d'un livre classique de jurisprudence EST, etc., etc.

C'est inutilement qu'on objecterait que tel n'est point en effet le caractère essentiel d'un livre classique de jurisprudence; car on passerait à un autre genre de considération, et ce ne serait plus une difficulté de syntaxe, mais d'idéologie.

Suite.

J'ai toujours cru que Dieu est bon, et que sa bonté s'étend sur toute la na

ture.

J'étais dans un vaste désert, j'allais expirer de faim, lorsque je découvris un prunier solitaire chargé de fruits mûrs. Je sentis que Dieu était bon.

Sans doute, c'est une vérité éternelle que Dieu est bon. Mais en est-il moins vrai que le jour où je découvris ce prunier libérateur, il était bon pour moi d'une bonté toute particulière ? Quand je dis Je sentis que Dieu était bon, ce n'est point à une maxime que je songe, mais à un fait, à une particularité.

Vous m'avez dit, tout franc, que je dois ac-
cepter

Celui que pour époux on me veut présenter.
MOL. Tartuffe, 2, 4.

Vous

Qu'est-ce que vous me voulez, mon papa? Ma belle maman m'a dit que me demandez. MOL. Malad. imagin. 2, 2.

N'avez-vous jamais bien fait réflexion souffrent eux-mêmes, ou que le repos de leur famille en est troublé.

que nous sommes de

pures machines? VOLT. Corresp. t. 9. Je te l'ai déjà dit, que j'étais gentilhomme, Né pour chomer et pour ne rien savoir. LA F.

Vite, qu'on aille dire que je n'y suis pas. On a déjà dit que vous y étiez. Et qui est le sot qui l'a dit?

MOL. Crit. de l'Ec. des Femmes, 1, 2.

Ayant fait réflexion, depuis quelques années, qu'on ne gagnait rien à être bon homme, je me suis mis à être un peu gai, parce qu'on m'a dit que cela est bon à la santé. VOLT. Corresp. génér. t. 7.

J'ai connu qu'il n'y avait de bon pour la vieillesse qu'une occupation dont on fût toujours sûr. VOLT. à Mad. du Deffant.

J'ai toujours remarqué que les gens faux sont sobres, et que la grande réserve de la table annonce assez souvent des mœurs feintes et des âmes doubles.

J.-J. R. Nouv. Héloise. t. 1. Ce n'étaient pas des particuliers qui ne songent qu'à leurs affaires, et ne sentent les maux de l'Etat, qu'autant qu'ils en

BOSSUET, Hist. univ. 3a part. D'argent point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort,

Que le travail est un trésor. La F. 5, 9.

Il concluait que la sagesse vaut encore mieux que l'éloquence. VOLT. Taur. bl.

tion d'esprit était une image de la granJ'ai déjà écrit ailleurs que cette élévadeur d'âme. BOIL. Traité du sublime.

S'il l'a fait pour avoir cru que le sublime et le pathétique naturellement fesaient qu'un, il se trompe. Id. 6. n'allaient pas l'un saus l'autre, et ne

Il me fallait cacher avec quelque artifice
Que j'étais Pulchérie et fille de Maurice.

VOLT. Sur Heracl. 1, 2.

Tout le monde criait pour la liberté, mais on ne savait ce que c'était qu'être libre et juste. VOLT.

Il fallait un corps d'Hercule pour vivre ici, et j'ai trouvé que la liberté valait encore mieux que la santé.

VOLT. Corresp. génér. t. 9.

Il serait difficile de dire de quel côté il y a le plus d'exemples. Cependant les grammairiens sont divisés en deux partis, qu'on peut appeler les absolus et les relatifs.

Les premiers, à la tête desquels est Urbain Domergue, veulent que, toutes les fois qu'on énonce une qualité habituelle ou essentielle, il faut toujours employer le présent, même lorsque le verbe est employé complétivement après un passé. Pour eux, toutes les phrases de la seconde colonne où est employé le passé, sont des violations de la raison éternelle, qui veut qu'on exprime comme présent ce qui est existant dans tous les temps. Les relatifs disent :

« C'est une règle générale que lorsque dans une phrase il y a deux >> verbes correspondants dont le premier est au passé le second doit être à » l'imparfait. >>

Et pour eux tous les exemples de la première colonne et autres semblables sont des fautes.

L'une et l'autre de ces règles sont également contraires aux faits.

La raison éternelle veut sans doute que, lorsqu'on veut exprimer une

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vérité habituelle ou essentielle comme telle, c'est-à-dire comme une maxime invariable, on emploie le présent; mais elle n'exige point que nous la considérions toujours comme maxime, elle n'empêche pas que nous ne la fassions correspondre à une époque passée, et que, pour peindre cette idée, nous ne nous servions de l'imparfait ou temps 2. Par exemple, de ce que Dieu est toujours et essentiellement bon, s'ensuit-il que je ne puisse pas dire qu'il était bon hier d'une manière particulière, à telle ou telle occasion?

Quant à la règle des relatifs, elle doit être classée parmi ces recettes dont leurs livres sont pleins, et dont le principal effet est de déformer l'intelligence et de convertir les hommes en automates.

Qu'importe donc que le temps qui précède soit passé, si l'idée du second est une idée de présent? car c'est toujours ce qu'il faut savoir. Nous ne pourrions ici que répéter ce que nous avons reproduit déjà sous tant de formes.

Suite.

que!

TEMPS 1, je suis. Je le priai de me dire ce que c'est que le pouvoir prochain. PASCAL, 6o Let. prov.

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TEMPS 2, j'étais.

Je le suppliai de me dire ce que c'était que le pouvoir prochain de faire quelque chose. PASCAL, 1 Lett. prov.

Les philosophes les plus sensés, qui ont réfléchi sur la nature de Dieu, ont dit qu'il était un Être souverainement parfait. MONTESQ. 69 Let. pers.

Il assurait que c'était faute de vertu et de courage que les hommes avaient si souvent besoin de la médecine.

FENEL. Télém. 17. Je croyais qu'il n'y en avait point sur la terre, et que la probité était un vrai fantôme. Féx. Télém. 13,

J'ai toujours vu que les jeunes gens corrompus de bonne heure, et livrés aux femmes et à la débauche, étaient inhumains et cruels. J.-J. R. Emil. 4.

L'abbé de Saint-Yves supposait qu'un homme, qui n'était pas né en France, n'avait pas le sens commun, VOLT. L'Ing.

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