1221 Il y a quelques verbes qui, quoique intransitifs ou neutres, construisent toujours leur adjectif passif avec être, tandis que, d'après l'analogie générale, ils devraient le construire avec avoir. Alors l'illusion est complète, l'adjectif passif s'accorde avec le nominatif passif, et l'on est porté invinciblement à écrire : IL EST venu, ELLE EST venue; de même que il est battu, elle est battue. Voici la liste des adjectifs passifs qui, quoique dérivés des verbes intransitifs, se construisent toujours avec être : On verra qu'il y a quelques autres adjectifs semblables qui, selon le sens, se construisent tantôt avec avoir, tantôt avec être tels sont accouché, entré. 5° ACCOUCHÉ, PASSÉ, et autres adjectifs passifs qui, selon le sens, se construisent tantôt avec Être, tantôt avec AVOIR. Mad. DE SÉV. 18 mai 1671. Les Roussels passeront, les Janots sont passés. Une sage-femme l'a accouchée. Elle en avait accouché un grand nombre d'autres. Cette loi a été bien défendue, elle a passé. Les légions romaines ont-elles passé sous le joug en Numidie? MONTEsq. Gr. et Déc. des Rom. ch. 11. Cette mode est passée. Id. Cette femme, cette fleur est passée. Il y a quelques verbes intransitifs ou neutres dont l'adjectif passif se construit quelquefois avec être, contre l'analogie générale. Dès-lors l'accord avec le nominatif est nécessaire. Accoucher, pour se mettre en couches, est un verbe intransitif; accoucher, signifiant aider une femme en couches, est transitif. L'analogie portait à dire : elle a accouché d'un garçon; mais l'usage a fait prévaloir elle est accouchée. Passer, entrer, sortir, rester, demeurer, convenir, sont susceptibles des deux constructions. Voyez les Dictionnaires. Dans nous sommes convenus de nos faits, il faut nécessairement que l'adjectif passif s'accorde avec nous. Mais dans on nous a présentés à ces Messsieurs, nous leur avons convenu, le substantif de convenu n'est point exprimé, et il doit rester invarié. 1222 1223 1224 6° OBÉI. Est-il si pénible d'aimer pour être ai- Ils sont aussi arrogants, même plus, mée, de se rendre aimable pour être heu-quand ils prient, que quand ils comreuse, de se rendre estimable pour être mandent, comme étant bien plus sûrs obéie? J.-J. R. Emil. 5. d'être obéis. J.-J. R. Emil. 2. La nature a fait les enfants pour être aimés et secourus. Mais les a-t-elle faits pour être obeis et craints? J.-J. R. Emil. 2.1 C'en est fait, j'ai parlé, vous êtes obéie, On dit aimer, secourir, craindre quelqu'un ; quelqu'un peut donc être craint, secouru, aimé. Mais on ne dit pas obéir quelqu'un; on ne devrait donc pas dire être obéi. Cependant l'usage parait avoir consacré cet emploi de l'adjectif obéi en rapport avec un nominatif passif. C'est le seul de notre langue qui puisse être ainsi construit. 7° Plu, ri. Les poètes, épiques se sont toujours [ Une foule d'écrivains se sont plu à re plu à décrire les batailles. cueillir tout ce que les femmes ont fait DELILLE, Préf. de l'Enéide.d'éclatant. Thomas (*). Insectes invisibles que la main du Créateur s'est plu à faire naître dans l'abime de l'infiniment petit. VOLT. Mycromég. Ils se sont ri de nos projets. VoLT. (*) Plaire et rire viennent des verbes intransitifs latins placere, ridere, qui sont suivis d'un datif : sibi placere, sibi ridere. On peut en effet se plaire à soi-même, se rire à soi-même comme à un autre ; il plaît à tout le monde, tout lai rit. Ainsi ils se sont ri de nos projets, signifie qu'ils ont ri à soi ou en soi de nos projets, etc. 8° MOQUÉ, REPENTI, Elle s'est moquée de vous. DUVIVIER, Gram. des gram. EMPARÉ, TU, SOUCIE. A ces mots, les transports de joie se sont emparés de tous mes sens. VOLT. (*) J'estime après tout que ce sont des fautes dont ils ne se sont pas souciés. BOILEAU, Traité du sublime. Il y a des verbes, comme moquer, repentir, emparer, soucier, et quelques autres qui sont semi-transitifs, dont l'action ne peut être reçue que par (*) Cité par Bescher, Théorie du participe. 1225 celui qui la fait. Mais celui qui agit étant passif de sa propre action, l'adjectif qui s'y rapporte doit en recevoir la loi. Elle s'est moquée, c'est-à-dire, elle a soi moquée ou amusée. Ils se sont repentis, c'est-à-dire, ils ont soi repentis, ou ils ont soi reportés en arrière, etc. 9° APPERÇU, DOUTÉ, JOUÉ, AVISÉ, ATTENDU, attaqué. Elle s'est apperçue de son erreur. BESCA Theor. du part. Ils s'étaient avisés du bon expédient. DUVIV. Gram. des gram. Nous nous étions attendus à votre ingratitude. Duviv. Gram. des gram. Elle s'est attaquée à une femme estimable. Id. C'est-à-dire, elle a soi apperçue; l'action d'appercevoir a été faite sur ellemême par elle-même. Il y a dans toutes ces phrases un substantif passif avec lequel l'adjectif apperçue, doutées, etc. a dû s'accorder. Mais comment peut-on douter soi, attendre soi? Qu'on explique comme on voudra cette tournure, le fait est incontestable; nous nous contenterons de l'avoir constaté. Ainsi, dans les phrases citées et autres semblables, imaginé n'est point en rapport avec un substantif passif exprimé, il doit rester invarié. Par la même raison, il doit varier dans la phrase suivante : Les folies qu'ils se sont imaginées les tourmentent. Première analogie. 11° PERSUADÉ. Ils se sont persuadé tout ce qu'ils ont voulu. BESCH. Théor. du participe. Deuxième analogie. Ils se sont persuadés mutuellement, c'est-à-dire, l'un a persuadé l'autre. BESCHER, Théorie du participe. Quoiqu'on puisse dire persuader quelque chose à quelqu'un, et persuader quelqu'un de quelque chose, on n'est pas libre, comme le croit M. Boniface, de faire accorder ou de ne pas faire accorder l'adjectif persuade; car on dit nécessairement l'un ou l'autre. Dans le premier cas, comme dans ils se sont persuadé ce qu'ils ont voulu, c'est à soi qu'on a persuadé, sɛ est au datif, 226 997 et ne peut exercer aucune influence sur l'adjectif passif. Dans le second, se est un accusatif; ils se sont persuadés l'un l'autre l'accord avec se est donc nécessaire. : AINSI nous n'approuvons pas, avec M. Boniface, les Permettez pourtant que je vous désa- Ils s'étaient persuadés qu'il ne naissait des soldats qu'en France. 1228 buse, si vous vous êtes persuadés que ce grand prince... BoiL. Remarq. à l'acad. fr. Ils se sont persuadés que cela leur suffit. BUFFON, Manière de traiter l'histoire. GARNIER, Histoire de France. Il est certain que les jeunes métromanes se sont persuadés que la rime disde la raison. LAH. Cours de littér. pense Car ils se sont persuadé, ils s'étaient persuadé quelque chose, savoir que cela suffit, que la rime dispense de la raison, etc. Or l'objet persuadé n'est pas exprimé, ou ne l'est que par une phrase, l'adjectif passif devait donc rester invarié. 1229 1230 12° CONSEILLÉ. C'est-à-dire, mes amis ont conseillé á Madame Maintenon disait : mes amis m'ont conseillé de m'adresser à M....moi de m'adresser à M........ Ils m'ont mal conseillée, c'est-à-dire, ils ont moi mal conseillée. Pour bien écrire l'adjectif passif, il faut donc, de toute nécessité, se comprendre soi-même, et surtout savoir distinguer les deux cas appelés accusatif et datif, quels que soient les noms qu'on donne à ces deux fonctions. 13 VÉCU, DORMI, DURÉ, etc. Si l'on peut vivre mille ans en un, Toutes les heures que vous avez dormi, je les ai passées à écrire. BESCH. Théor. du part. Il est resté caché pendant les dix an nées que la guerre a duré. C'est-à-dire, les jours pendant lesquels on aura vécu. C'est-à-dire, pendant lesquelles vous avez dormi. C'est-à-dire, pendant lesquelles la guerre a duré. D'abord dormi, vécu et duré, sont de leur nature invariables; car ils ne peuvent jamais se rapporter qu'à un substantif passif neutre sous-entendu. Ainsi le que, que semble régir le verbe avoir dans les phrases citées, est le régime d'une préposition sous-entendue. Une semblable ellipse se reproduit avec des verbes transitifs mêmes. Il y a eu des grammairiens qui ont prétendu que les adjectifs passifs féminins plainte, crainte, pouvant se confondre avec les substantifs homonymes, il fallait les éviter. Mais les grands écrivains ne se sont jamais arrêtés à des craintes, je dois le dire, aussi puériles. Car qui peut jamais confondre des choses aussi différentes ? Qui pourrait regarder comme un adjectif la crainte du vers suivant : Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte. ou comme un substantif, celui de la phrase de M. Duvivier? la maladie que j'ai crainte? 15° excepté, vu, ATTENDU, SUPPOSÉ, oui, etc. Exemples. 1232 J'aime tous les hommes, excepté les méchants. Oui les conclusions du commissaire du Roi, le tribunal ordonne... C'est toi qui m'as retenu ma montre? heure il est. MOL. Explications. C'est-à-dire, ceci étant excepté, savoir, Sles méchants étant exceptés. C'est-à-dire, ceci étant oui, savoir, les conclusions étant ouies. montre, afin de savoir, etc. Vu par la Cour la requête présentée C'est-à-dire, ceci étant vu, savoir, la (*) Cité par Girault-Duvivier. C'est-à-dire, ceci ou ce que je vais dire Sétant attendu, savoir, son infirmité.... |