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ARTICLE I.

Ce qu'ont de commun les adjectifs déterminatifs.

Exemples.

1049 Qu'importe qui vous mange, ноMME ou loup? LA F. 10, 4.

Il faut que cet HoMME-là ait la médecine universelle.

Observations.

Homme est ici pris d'une manière vague, indéterminée. Aussi n'est-il précédé d'aucun adjectif déterminatif.

C'est par l'adjectif déterminatif cet que le mot homme est tiré de son espèce pour Mol. Méd. malgré lui, 1, 5. n'être plus que celui qu'on montre. Ici cet homme est Sganarelle, l'homme qui a été dépeint avec une barbe noire, comme fesant des miracles, etc. Voyez la scène.

L'HOMME arrive au Mogol. On lui dit qu'au
Japon

La fortune pour lors distribuait ses grâces.
lly court. La F. 7, 12.

L'HOMME qui va paraitre est riche et le sait

bien.

L'HOMME est de glace aux vérités.
Il est de feu pour les mensonges.

C'est par l'adjectif déterminatif le que le mot homme est tiré de sa classe pour ne plus être que l'homme dont on a déjà parlé, celui qu'on est déjà censé connaître, ou qu'on va faire connaître.

Dans cette phrase et autres semblables, homme est déterminé par l'adjectif le LA F. 9, 6. comme comprenant toute l'espèce.

Voilà mon HOMME aux plaids.
RAC. les Plaideurs.

L'adjectif, tout à-la-fois déterminatif et qualificatif mon, tire le mot de la classe générale pour l'individualiser et en faire l'homme mien, c'est-à-dire l'homme qui est ici le sujet de mon discours.

1050 Sans doute les adjectifs ce, le, mon, ton, son, notre, votre, leur, déterminent d'une manière plus précise que les suivants; mais le plus ou le moins ne fait rien ici, où il n'est question que du caractère général qui distingue cette sorte d'adjectif des trois autres.

Exemples.

Battre un HOMME à jeu sûr n'est pas d'une

belle âme,

Et le cœur est digne de blâme

Observations.

Il est vrai qu'il n'est question là que d'une unité vague. Mais prendre un nom général sous l'idée d'une unité quelcou

Contre les gens qui n'en ont pas (de cœur).que, c'est restreindre son étendue, c'est

MOL. Amphitr. 1, 2.

Je vois devant notre maison
Certain HOMME dont l'encolure
Ne me présage rien de bon.

déjà déterminer.

rait

Certain, ainsi placé, réveille à-peu-près la même idée que l'adjectif un. On aupu dire, je vois un homme dont l'enMOL. Amphitr. 1, 2. colure ne me présente rien de bon. Cependant, certain marque quelque chose de plus positif.

Il va trouver

Quelque HOME afin de le sauver.

Quelque homme, c'est un homme quel conque. Ce mot détermine de la même

LA F. 4, 7. manière que un.

1051

Un, certain et quelque ne sont donc pas des articles indéfinis, puisque tous trois ils déterminent le substantif auquel ils se joignent à ne plus signifier qu'une unité prise dans toute la collection des individus renfermés sous le nom générique.

Plusieurs se sont trouvés... LA F. 2, 5.

C'est-à-dire plusieurs hommes se sont

trouvés.

Deux HOMMES demandaient à le voir prompte

ment:

Ces deux hommes étaient les jumeaux de
l'éloge. LA F. 1,4.

Plusieurs détermine par l'idée d'une pluralité vague. Mais prendre un nom générique sous l'idée d'une pluralité quelconque, c'est déjà restreindre son étendue, c'est déjà le déterminer.

Deux désigne un nombre précis, mais n'individualise pas démonstrativement

comme ces.

Un, deux, trois, etc., Dix, vingt, trente, cent, mille et autres numératifs sont donc aussi de vrais adjectifs déterminatifs; car ils restreignent le substantif auquel ils sont joints, à ne plus être dit que d'un nombre plus ou moins grand d'individus.

Chaque HOMME

ou

Tout HOMME

}

Par chaque, tout, aucun et nul, le sub

à son état doit plier son cou- stantif HOMME est désigné avec diverses

rage.

n'est exempt d'erreur.

nuances, comme pris distributivement et un à un, ce qui est encore une manière d'être déterminée.

Aucun HOMME
Nul (HOMME)
L'ancienne nomenclature qui appelait ce pronom démonstratif, le ar-
ticle défini, un article indéfini, mon, ton, son, etc., pronoms possessifs,
quelques, plusieurs pronoms indéfinis, chaque, tout, aucun, nul pronoms
généraux, deux, trois, quatre, etc., noms de nombre, laissait donc échap-
per les deux traits communs qui de tous ces mots ne font qu'une seule
classe parfaitement bien caractérisée par le double nom d'adjectif determi-
natif.

Cette sorte d'adjectif n'exprime ni ce qu'est, ni ce que fait, ni ce que souffre le substantif qu'il modifie. Sa propriété, sa destination est d'en marquer, d'en limiter l'étendue.

D'où il suit qu'il ne peut jamais se placer que devant un nom commun qui ait besoin d'être déterminé; qu'ainsi il ne peut se rapporter ni à un nom propre, comme Caton, ni à un substantif relatif, comme moi, toi, lui, etc.

Suite.

J'ai lu chez un conteur de fables,
Qu'un second RODILARD, l'ALEXANDRE des
chats,

L'ATTILA, le fléau des rats

Rendait ces derniers misérables.

LA F. 3, 18.

De quelle œillade altière, impérieuse,
La DUMENIL rabattit mon orgueil !
La DANGEVILLE est plaisante et moqueuse,
Elle riait: Grandval me regardait
D'un air de prince, et Sarrasin dormait.
VOLTAIRE, Pauvre Diable.

Cette HÉLÈNE, qui trouble et l'Europe et | Et que m'a fait à moi,cette TROIE où je cours?

l'Asie,

Vous semble-t-elle un prix digne de vos ex

ploits? RAC. Iphig. 4, 4.

Je puis voir une TROIE où je vois une HÉLÈNE.

LEMERCIER, Agam. 4, 2.

RAC. Iphig.

Ce CHAPELLE, ce BACHAUMONT
Ont fait un moins heureux voyage.
VOLT. Poés, mêlées.

Rodilard, roi des chats; Alexandre, roi des Macédoniens; Attila, roi des Goths; Amphitryon, roi des Thébains; Sosie, valet d'Amphitryon, sont des noms propres lorsqu'ils sont employés pour désigner le chat, l'homme ou l'individu pour lequel ils ont été créés. Mais dans les passages que nous venons de citer, ce sont de vrais noms communs, puisqu'ils expriment chacun une collection d'idées qui conviennent à toute une classe d'objets. Il ne faut donc point s'étonner s'ils sont précédés d'un adjectif déterminatif.

La DUMENIL est pour l'actrice ou la femme Duménil.

Cette HÉLÈNE réveille la même idée que cette femme appelée Hélène.
Cette TROIE est pour cette ville appelée Troie.

Ce CHAPELLE est pour le poëte appelé Chapelle, etc.

Le besoin d'être bref a rendu ces ellipses nécessaires.

Il est impossible de ne pas reconnaître dans ces phrases un intermédiaire de franchi. Car autrement il faudrait dire qu'on y suppose qu'il existe plusieurs Troies, plusieurs Hélènes, plusieurs Chapelles, que la Troie où je cours en suppose une autre où je ne cours pas, etc., etc. L'esprit rapporte donc l'adjectif déterminatif de ces phrases à un nom commun que le sens appèle invinciblement.

On pourrait croire aussi que lorsqu'on dit : cette Troie, cette Hélène, etc., on parle comme s'il y avait plusieurs Troies, plusieurs Hélènes, recourant à cette supposition afin de pouvoir déterminer la Troie où l'on court, cette Hélène qui est l'objet de tant de jalousie. Mais alors Troie et Hélène seraient regardés comme des noms communs; ce qui rentrerait dans la grande théorie.

Des curieux demanderont pourquoi on emploie l'adjectif déterminatif devant les noms propres des actrices, et non devant ceux des acteurs ? Pourquoi l'on dit Granval, Sarrasin, et la Dangeville, la Raucourt?

Puisque nous avons dit que l'adjectif déterminatif placé devant un nom propre l'assimile à un nom commun, que pourrions-nous ajouter? sinon que c'est un manque de respect pour les princesses et les majestés de la scène française qui a fait ainsi employer leurs noms.

1052 L'adjectif déterminatif ne peut non plus précéder le substantif relatif, à

moins que ce substantif ne cesse d'être relatif et ne devienne un nom

commun.

1053

Emploi ordinaire.

En nous formant, nature a ses caprices;
Divers penchants en nous elle fait observer,
Les uns à s'exposer trouvent mille délices,
Moi, j'en trouve à me conserver.
MOL. Amph. 2, 1.
1

Emploi extraordinaire.

On m'est venu troubler et mettre en peine.
Qui? - Sosie, un mor de vos ordres jaloux,
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène,
Et qui de vos secrets a connaissance pleine,
Comme le moi qui parle à vous.
MOL. Amph. 2, 1.

Dans la première colonne, moi est pris dans son sens naturel et primitif, il équivaut à un nom propre. Moi, j'en trouve à me conserver, c'est-àdire moi, Sosie, etc.

Dans ce sens le substantif relatif ne pourra jamais être précédé d'un adjectif déterminatif; car les relatifs ne peuvent avoir une plus ou moins grande étendue.

Dans la seconde colonne, Sosie, persuadé par les coups et les menaces de Mercure, se croit double, et parle comme si moi pouvait en effet être multiple.

L'adjectif déterminatif marquant toujours la quantité ou le nombre du nom commun, il s'ensuit qu'il ne peut représenter son substantif que sous l'idée d'une ou de plusieurs unités similaires.

Car l'élément de toute quantité ou nombre est essentiellement limité; ou en d'autres termes, tout nombre est essentiellement multiple de UN. Trois hommes, c'est deux hommes, plus un homme.

Deux hommes, c'est un homme, plus un homme.

Ainsi, soit qu'il s'agisse d'un entier ou d'une fraction, c'est toujours le même élément, l'UNITÉ. Deux tiers, c'est un tiers, plus un tiers.

On voit que les unités élémentaires d'un tout quelconque, soit indivisé, soit fractionnaire sont nécessairement de même nature. On ne pourrait pas dire, un poirier et un pommier font deux, ni trois quarts et un cinquième font quatre. Car un pommier et un poirier ne font point deux unités similaires. Ce n'est ni deux pommiers, ni deux poiriers. A la vérité ce sont deux arbres. En ce sens on pourrait dire un pommier et un poirier sont deux arbres. Trois quarts et un cinquième ne font ni quatre quarts, ni quatre cinquièmes.

On a dû dire:

AINSI

1054 A ces mots il lui tend le doux et tendre ou-
vrage. BoIL. Lutr. 5.

Venge-moi d'une ingrate et perfide parente.
MOL. Misantr.4, 2.
Vous n'avez faim que des bétes inno-
centes et douces, qui ne font de mal à
per-
sonne, qui s'attachent à vous, qui vous
servent et que vous dévorez pour prix de
leurs services. J.J. R. Emil. 2.

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Parce que daus l'une et dans l'autre colonne le substantif déterminé est unique, que c'est le même ouvrage qui est doux et tendre, la même proie qui est douce et, innocente, les mêmes bêtes qui sont innocentes et douces, la même pratique qui est utile et louable. Il fallait dans ces deux sortes de phrases n'employer qu'une seule fois l'adjectif déterminatif.

La douce et l'innocente proie annoncerait deux proies, savoir la douce proie et l'innocente proie. Les auteurs sont rarement tombés dans une semblable faute; mais ils fournissent de nombreux exemples de l'analogie de la première colonne.

Jusques ici, Madame, aucun ne met en doute

Les longs et grands travaux que notre amour vous coûte. CORN. Rodog. 2, 5.

Les bons et vrais dévots qu'on doit suivre à la trace

Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace. MOL. Tartuffe, 1,6.

Il ne s'agit que des mêmes travaux qui sont tout à-la-fois longs et grands, etc.

Cependant, 1°

Lorsqu'on veut attirer l'attention et multiplier en quelque sorte ce qui n'est qu'un, on peut répéter l'adjectif déterminatif.

O le sot, l'impertinent auteur! Mais ceci prouve en faveur du principe. C'est comme si l'on disait : ô le sot auteur! ô l'impertinent auteur ! Dans cette circonstance on évite l'emploi de et. L'on ne dirait pas ô le sot et l'impertinent auteur! parce qu'on semblerait additionner les auteurs.

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Il faut dire en répétant l'adjectif déterminatif :

1055 Je vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus inouie, la plus singulière, la plus incroya ble, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, etc., etc., etc. M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui?

Mad. DE SEV. 15 déc. 1670.

La mer la plus terrible et la plus orageuse
Est plus sûre pour nous que cette cour trom-
peuse. RAC. Esth. 3, 1.

De tous les moyens de faire sa fortune, le plus court et le meilleur est de mettre les gens à voir clairement leurs intérêts à vous faire du bien. LA BruY.1, 6.

C'est comme si l'on disait la chose, qui est la chose plus étonnante, la chose plus surprenante, etc. que toutes les autres; la mer qui est la mer plus terrible, etc. C'est une tournure consacrée dont il n'y a jamais rien à retrancher, quel que soit le nombre des répétitions.

Ainsi Racine a fait une faute, quand il a dit :

Déjà sur un vaisseau, dans le port préparé,

Chargeant de mon débris les reliques plus chères,

Je méditais la fuite aux terres étrangères. Rac. Baj. 3, 2.

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